(échange diffusé sur sa chaine Youtube)
- Publié le 28-11-2022Cinezik : Comment êtes-vous arrivé sur ce film ?
David Menke : J'ai reçu le scénario grâce à mon agent Vivien Kiper puis j'ai composé des musiques qui ont plu au réalisateur Pierre Coré. J'adore travailler à partir du scénario, je m'imprègne des émotions de l'histoire pour ensuite composer "dans le vide", sans les images. J'ai commencé à travailler en juin 2021 en faisant des maquettes qui ont permis de définir les thèmes principaux. J'ai eu la chance que le monteur Samuel Danesi et le réalisateur n'aient pas utilisé de musiques temporaires. Le montage du film s'est donc fait uniquement à partir de mes musiques, ce qui n'est pas toujours le cas. Sur des contrats plus courts il faut courir pour boucler la musique en trois mois. Ici, c'est un projet "de cœur" où j'ai eu un an pour travailler. Cela demande un travail plus long de recherches en amont, mais le résultat est toujours plus satisfaisant. Avec ce temps là on prend plus facilement conscience que certaines musiques composées au début ne fonctionnent plus. C'est une distance qui fait du bien car on est moins affecté à l'idée de renoncer à une idée. Généralement, je compose de longues suites que le monteur peut utiliser à sa guise sur les images, avec souvent trois variations du même thème : une première très intimiste, une deuxième un peu plus vaste et une troisième carrément épique. Cela permet de tester quelle version convient le mieux lors du montage.
On sent que vous avez aussi eu la possibilité de composer des thèmes qui prennent parfois totalement en charge la narration...
D.M : Oui, et je suis très reconnaissant au réalisateur de m'avoir laissé cette liberté. C'est assez rare de nos jours de pouvoir composer des mélodies dans un film. Par exemple, la scène de parapente appellait à quelque chose de vaste et expressif. C'est un bonheur absolu d'avoir pu écrire une musique qui exprime la sensation de voler.
Y a-t-il un élément qui vous a touché en particulier dans le film pour composer ?
D.M : J'adore les montagnes, l'eau et le soleil qui se lève. C'est très cinématographique et on peut se permettre une musique expressive. On peut passer d'une musique intimiste à vaste d'une scène à l'autre et c'est tout ce que j'adore. Je mentionnais les montagnes mais il y a aussi la nature et tout ce qui est humain. Certes, c'est un film familial mais qui aborde des sujets profonds comme l'environnement.
Vous succédez à Armand Amar qui a signé la musique des trois premiers films de la saga. Avez-vous reçu des directives en termes de continuité ?
D.M : Non, j'étais complètement libre. Pour être honnête, je ne connaissais pas trop les autres films. Je n'ai donc pas écouté les musiques afin de ne pas être influencé. En revanche, nous avons fait un remix de la chanson de la série en version rock avec Les Limiñanas pour être raccord avec le personnage de la grand-mère. Malheureusement, les ayant droits n'ont pas donné leur accord pour utiliser la chanson.
Pour le thème de Gas, on retrouve Lionel Limiñana à la guitare électrique, avec qui vous travaillez régulièrement. Accordez-vous une place importante au choix des interprètes ?
D.M : Je ne suis pas très rock à la base mais j'adore le son de Lionel. Je savais que pour le côté cow-boy de Gas, la guitare conviendrait bien (sur le titre "Gas Belle Cage"). Lionel sait parfaitement quel son créer pour le film, quel ampli et quelle guitare utiliser. Ce qui est vraiment important dans la guitare, c'est le son et Lionel est très fort pour choisir la couleur qui convient. On a aussi utilisé la guitare acoustique enregistrée très près du micro pour donner un son chaud qui illustre la menace du personnage et le côté désertique. Lionel joue également du ukulélé qu'on a amplifié pour donner une impression d'écho à la fin du film, ce qui donne une couleur assez inédite (sur le titre "À Belle").
On retrouve d'ailleurs The Limiñanas et cette guitare électrique sur « The Last Days of American Crime » (film policier de Olivier Megaton sur Netflix depuis octobre 2022), ce qui donne une continuité au fil de vos bandes originales...
D.M : Oui, nous avons composé cette B.O ensemble avec Lionel. Il est clair que les rencontres influencent la manière dont on créé et je suis influencé par sa guitare. J'adore collaborer avec lui car nous nous complétons bien, moi qui vient du classique et joue de la flûte et du saxophone.
Pouvez-vous nous parler de vos influences de manière générale ?
D.M : Mes parents étaient musiciens à l'Orchestre du Gürzenich de Cologne et j'ai baigné dans l'opéra durant mon enfance. J'ai été marqué par La Petite Renarde Rusée de Leoš Janáček lorsque j'avais cinq ans. Une relation avec un renard, un peu similaire à « Belle et Sébastien » justement ! J'aime beaucoup Wagner aussi car j'aime les extrêmes en musique : le très petit et le très grand, le oui ou le non, je n'aime pas le peut-être. C'est pareil en musique de film, je préfère ne pas mettre de musique du tout plutôt qu'une musique tiède. Au cinéma, j'ai aussi été influencé par Gabriel Yared avec qui j'ai beaucoup travaillé. Jonny Greenwood m'a beaucoup marqué aussi, notamment pour ses musiques de « Phantom Thread » et « There Will Be Blood » avec ce mélange de synthétiseurs et d'orchestre dans une alternance entre un son très cruel aux cordes et doux ensuite, comme chez Wagner finalement.
Vouliez-vous composer des musiques de films depuis longtemps ou bien est-ce venu avec le cours des choses ?
D.M : J'ai démarré grâce à Marie-Jeanne Serero qui était ma professeure au CNSM. J'ai d'abord été son assistant sur « Nannerl, la sœur de Mozart », notamment sur des prises de sons (car je suis ingénieur du son au départ). Marie-Jeanne m'a ensuite présenté Gabriel Yared et j'ai compris que c'était ce que je voulais faire.
En musique de film j'adore la liberté de pouvoir expérimenter en permanence car il n'y a pas de codes précis. C'est avant tout le concept du film qui donne l'orientation pour la musique et, par conséquent, aucune musique de film ne ressemble à une autre.
Quels sont vos autres projets du moment ?
D.M : Un documentaire sur Margaret Tatcher avec Les Limiñanas diffusé sur Arte en décembre 2022 et pour lequel nous avons opté pour une couleur rock très énergique, puis un projet Disney+ co-composé avec Boris Rogowski (« Sam - A Saxon » de Jörg Winger, diffusion prévue en mai 2023) qui raconte l'histoire du premier policier afro-allemand dans les années 80 et les problèmes liés aux néo-nazis, un sujet très sombre et lourd dont la musique est un mélange de Wagner et de hip-hop, et aussi « Après le silence » de Jérôme Cornuau (qui vient d'être diffusé sur France 2 le 16 novembre 2022), à nouveau un sujet dur qui parle du viol domestique pour lequel j'ai utilisé un saxophone que j'ai "torturé" pour un son qui devient méconnaissable et saturé. On y retrouve, dans un autre registre, Alice David et Caroline Anglade, les deux actrices de « Belle et Sébastien ».
(échange diffusé sur sa chaine Youtube)
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