par Thibaud Henry
- Publié le 28-02-2023C'est un événement qui s'est déroulé sur le sol français : le premier colloque scientifique consacré à John Williams, à l'occasion des 90 ans du compositeur toujours actif. Il n'a échappé à personne qu'il a composé la bande originale du dernier film de son ami Spielberg, "Fabelmans" (2022), et celle d'"Indiana Jones 5" qui sortira l'année prochaine.
Organisé à l'université d'Évry d'une main de maître par les musicologues Grégoire Tosser et Chloé Huvet, spécialiste française reconnue de John Williams, on y vit se succéder du 7 au 9 décembre 2022 plus d'une vingtaine d'intervenants du monde entier, sur des sujets musicaux et sociologiques liés au pionnier du néo-symphonisme hollywoodien.
Les choses commencèrent en fanfare avec l'intervention de Martin Knust sur la fanfare, justement, et la "Marche" chez le compositeur ; mais surtout avec une introduction par le musicologue dynamique Emilio Audissino, qui revint sur la succession du maestro à Arthur Fiedler à la tête du Boston Pops au début des années 1980, qui permis de démocratiser la musique de film au concert ; ce qui ne se déroula pas sans quelques frictions avec l'orchestre.
La matinée se poursuivait avec Tom Schneller, qui nous fit voir et entendre que l'analyse musicale est un art, et où il présenta sa recherche sur la combinatoire autour du thème du Dies Irae comme filigrane dans l'œuvre de John Williams. On comprenait mieux l'implacable peur qui nous saisissait lorsque entendions ces quatre sons de cloche inquiétants, et apercevions le personnage de Marley dans "Home Alone" (1990).
L'après-midi, Jérôme Rossi fit une intervention riche sur le soliste chez John Williams, en analysant les Suites de "Catch Me If You Can" (2002), "Mémoires d'une geisha" (2005)... La journée se conclut par un concert avec le Star Pop Orchestra et le chœur des étudiants de l'université d'Évry. On y entendit les pièces qui firent le succès de John Williams, avec les immanquables tubes d'"Il faut sauver le soldat Ryan" (1998) et de "Star Wars" (1977), mais aussi des pièces moins jouées, avec "Essay for Strings" (1965) au langage avant-gardiste qui préfigure à certains égards "Rencontres du Troisième Type" (1977) ; et une belle interprétation du "Main Title" de "Seven Years Au Tibet" (1997) avec violoncelle solo.
Le lendemain, Chloé Huvet nous présentait sa recherche sur l'écriture orchestrale dans la dernière trilogie de "Star Wars", après avoir consacré une thèse sur les deux premières. L'après-midi était également consacré au travail musical autour de "Star Wars", comme celui de Jason Juliott sur l'adaptation de la musique de "Star Wars" dans le rock métal.
La dernière session de la journée aborda un thème privilégié de Williams et de Spielberg, l'enfance, et où des intervenants irlandais et polonais analysèrent les topiques de l'enfance, dans la filiation de la musicologue Janet Bourne.
Tout au long du colloque, les échanges furent animés et sympathiques, entre autres sous la houlette du musicologue américain Franck Lehman, spécialiste de l'harmonie à Hollywood, et qui gratifia les auditeurs et intervenants qui ne souhaitaient pas quitter l'amphithéâtre à la fin du colloque de quelques réductions harmoniques de grands thèmes filmiques au piano. Mais il commençait la dernière journée avec un papier sur la scène "Remembering Petit Coat Lane", issue de Jurassic Park (1993).
L'avant-dernière session était consacrée aux Etats-Unis d'Amérique, et comment Williams les incarne musicalement dans des films comme "JFK" (1991) ou "Nixon" (1995). Le dynamique Yann Descamps, du département STAPS de Bourgogne, fit une intéressante intervention sur la mise en musique des Jeux Olympiques par le maestro, et le mythe du héros-athlète. Enfin Philippe Gonin, de Dijon également, apporta des éléments de réponse à la question du colloque, « John Williams, dernier des symphonistes ? », en présentant le travail du compositeur français Erwan Chandon ("La Dernière Vie De Simon", 2019), en concluant résolument : non.
C'est donc plein d'informations riches et d'idées de travaux prometteurs que les intervenants et auditeurs se quittèrent, non sans un dernier concert à la cathédrale d'Évry, où le pianiste et arrangeur Sylvain Morizet (qui s'excusa de ce que le froid l'empêchait d'être immédiatement volubile au clavier), entouré de solistes, nous offrit à entendre des réductions musicales, telles que l'excellente suite "Escapades" pour saxophone, tirée de "Catch Me If You Can" (2002).
Il est certain qu'en cette période de fraîcheur de ce début décembre, il fut agréable de passer ces trois jours en compagnie de chaleureux musiciens, chercheurs, autour de la personne de John Williams, toujours généreuse. La vie musicale semble bouillonnante de chaque côté de l'Atlantique, et il ne fait aucun doute que la cinémusicologie et la composition à l'image françaises sont entre de bonnes mains.
Détail du programme : https://johnwilliams.sciencesconf.org/
Ouvrages associés :
AUDISSINO, Emilio, The Film Music of John Williams: Reviving Hollywood's Classical Style, University of Wisconsin Press, 2021, 376 pages.
HUVET, Chloé, Composer pour l'image à l'ère numérique. Star Wars, d'une trilogie à l'autre, Paris, Éditions Librairie Vrin, 2022, 432 pages.
LEHMAN, Frank, Hollywood harmony, musical wonder and the sound of cinema, Oxford University Press, 2018, 292 pages.
par Thibaud Henry
Interview B.O : Audrey Ismaël (Le Royaume, de Julien Colonna)
Interview B.O : Audrey Ismaël (Diamant brut, de Agathe Riedinger)