Propos recueillis par Benoit Basirico • Dans le cadre d'une rencontre au Festival Music & Cinéma de Marseille.
- Publié le 01-05-2023
Cinezik : A quel moment Vitalic est intervenu ?
Giacomo Abbruzzese : Vitalic était mon choix initial dès le début du projet. Je savais que je voulais travailler avec lui parce que sa techno est mélancolique, lyrique, et capable de verticalité, ce qui correspond parfaitement à l'esthétique que je recherchais pour mon film. C'était un grand honneur pour moi qu'il ait accepté de travailler avec moi. Au début de notre collaboration, j'ai demandé à Vitalic de me fournir des morceaux sans images pour que la musique puisse influencer le film avant même le tournage. J'ai partagé avec lui des références de sa discographie, d'autres musiques, des images du film et le scénario. Il a envoyé des morceaux qui étaient parfaitement pertinents pour moi en termes d'ambiance musicale. J'ai fait écouter ces morceaux à la chef opératrice et aux acteurs pour que le film soit imprégné de la musique dès le début. Nous avons ensuite travaillé plus classiquement sur le montage et les scènes.
Vitalic, quel a été le premier point de contact avec le film ? Quels ont été les éléments pour en tirer une inspiration musicale ?
Vitalic : Tout a commencé avec le scénario. Ensuite, j'ai eu de nombreuses discussions avec Giacomo pour comprendre exactement ce qu'il cherchait. J'ai créé des premières versions de morceaux et nous avons échangé nos idées pour les affiner progressivement. Nous avons travaillé ensemble pour nous mettre d'accord sur des éléments tels que la vitesse et la longueur de la musique. Parfois, les discussions étaient assez techniques car nous ne parlons pas tout à fait le même langage, mais nous avons finalement réussi à nous comprendre. J'ai eu la chance de me retrouver sur l'île de la Réunion pendant le tournage, donc j'ai pu voir certaines des séquences en cours de réalisation. Ensuite, j'ai rapidement reçu des ébauches de montage pour lesquelles j'ai créé une musique adaptée pendant le processus de montage.
Giacomo Abbruzzese : J'ai été agréablement surpris de voir que dès les premiers morceaux, Vitalic a compris ce que je recherchais.
Dans ce récit et ces images, on trouve de la violence et de la dureté, tandis que la musique apporte un contraste doux et anxiogène à la fois.
Giacomo Abbruzzese : Le film contient des passages durs, hypnotiques et écrasants. Je pense qu'il y a un aspect cathartique dans le film et dans la musique créée par Pascal. C'est un film très noir et dur, mais en même temps, il mène vers une utopie à la fin. Je crois qu'il n'y a rien de cynique dans le film, et cela se ressent également dans la musique.
Vitalic, en tant que compositeur d'album, comment voyez-vous le fait de travailler pour un film ?
Vitalic : D'abord, en tant que musicien, je ne peux faire que du Vitalic. Je n'arrive pas à faire autre chose. Donc, si on me demande de composer une musique pour un film, tu sais déjà que ça sonnera très Vitalic. Ensuite, l'inspiration pour un album Vitalic vient de mes expériences personnelles, alors que pour une musique de film, l'inspiration vient de ce qu'on me demande ou du scénario. Ce sont deux sources d'inspiration différentes, mais elles utilisent le même vocabulaire musical qui est le mien.
On retrouve ce qu'on aime chez Vitalic, mais en même temps, il y a une adaptation au film. C'est-à-dire qu'on est vraiment plongé dans des ambiances et des atmosphères, avec les sons du film également... Dans quelle mesure, par exemple, les sons du film ont-ils inspiré la musique ?
Vitalic : J'aime beaucoup créer de la musique d'ambiance, en fait. Ce qu'on entend sur le pont Alexandre 3, par exemple, c'est quelque chose que je ne peux pas faire sur un album Vitalic et que j'apprécie énormément en studio pour le plaisir, pour les textures, mais qui n'a pas sa place sur un album de musique de danse. C'est justement là que je peux explorer ces directions. Il y a toujours, même dans les sons et les textures, une rythmique présente dans ma musique tout au long du film.
Est-ce qu'il y a aussi l'idée de raconter le parcours du personnage, qui voyage de la Pologne à Paris puis à la jungle ? Est-ce que dans la musique, on retrouve cette réflexion narrative ?
Vitalic : La narration, ce n'est pas moi qui la gère, c'est lui qui me dirige. Pour ce film en particulier, il a des idées très précises. Il entend tout, tant pour les aspects positifs que parfois négatifs de la chose. C'est-à-dire que dès que je modifie quelque chose, il me dit qu'il préfère la version précédente, même pour les réverbérations ou les effets. Il a vraiment une oreille très, très affûtée. Donc c'est lui qui dirige tout ça.
Donc Giacomo, il y a cette idée de canaliser un compositeur tout en gardant en tête le soutien narratif ?
Giacomo Abbruzzese : Oui, je pense que tout s'est fait de mon point de vue. Effectivement, on partait de perspectives différentes, parce que Pascal avait seulement réalisé un long métrage en tant que compositeur. De mon côté, j'avais plusieurs expériences de courts métrages et de documentaires où j'avais travaillé avec des compositeurs de cinéma habitués à être stressés par mes demandes et par le nombre de versions nécessaires pour trouver ce que je cherchais. Mais je pense qu'à la fin, on a trouvé un terrain d'entente assez rapidement, et c'est juste sur quelques morceaux qu'on a un peu plus "galéré", des morceaux où il fallait vraiment aller chercher des choses un peu plus loin.
Vitalic : Surtout quand tu me demandes "je veux quelque chose de sombre, mais avec du soleil". C'est arrivé sur la scène de l'hélicoptère. Il faut aller chercher ça.
Giacomo Abbruzzese : Mais tu l'as trouvé à la fin. Je pense qu'à un moment, quand on avait trouvé le thème du film avec Pascal, c'était normal aussi que ce thème, par exemple, allait se décliner. Au-delà du fait d'avoir à travailler un morceau, l'adapter, tout ça. Mais la question parfois, c'est de trouver le thème. Une fois qu'il avait trouvé le thème dans le film, ça pouvait revenir dans le film mais sous des formes différentes. C'est ce qui se passe avec le thème principal de Disco Boy que vous entendez à trois reprises. Et décliné dans la scène de danse en Afrique. Il passe trois fois, mais ce sont trois variations.
C'est aussi un film qui se passe de beaucoup de dialogues. C'est un film qui ne cherche pas à expliquer les choses. Un film qui se situe justement à l'opposé du discours. Et souvent, la musique peut créer du discours, peut créer du sens. Donc vous avez réussi à ce que la musique n'en dise pas trop non plus. Comment trouver ce juste équilibre ?
Giacomo Abbruzzese : Cet équilibre, je pense qu'on le trouve aussi au montage image, au montage son et au mix. Même la plus belle musique du monde, si on la pose simplement sur un film, ça peut être écrasant. Je pense que c'est une question de dosage qu'on réalise en dialoguant avec les compositeurs et les autres collaborateurs. L'équilibre entre le sound design, le montage son et la musique du film est fondamental.
Vitalic : Tu m'as demandé pour une scène "tu dois souligner le drame faustien d'Alexei", moi je ne comprends pas ce que ça veut dire. J'ai demandé à quelle vitesse, à quel BPM, ça, ça me parle. Donc c'est compliqué, ce langage-là est très différent, de trouver les points d'accroche et tout ce qui est narration. Moi, j'interviens par épisodes qui, les uns à la suite des autres, racontent l'histoire.
Et en termes de références, vous parliez de références, elles étaient plutôt cinématographiques et pas musicales ?
Giacomo Abbruzzese : On a découvert que l'une des musiques pour le film préféré de tous les deux, c'était Orange Mécanique. Donc c'est vrai qu'il y avait cette référence commune, mais on n'en avait pas parlé avant la composition, on l'a découvert après en fait. Je pense qu'avant la composition, il y avait des références à d'autres musiques, mais qui étaient cohérentes avec l'univers Vitalic. Je n'allais pas non plus lui faire écouter des choses qui étaient totalement éloignées. J'étais convaincu que ce qu'il allait faire servirait vraiment le film pour trouver le sacré là où on ne s'y attend pas. C'était un peu ça le point de départ du film.
Et la musique électronique au cinéma qui a une histoire, est-ce que vous aviez conscience de cela quand vous faites ce projet ?
Vitalic : J'en ai conscience depuis tout petit, puisque je suis entré dans la musique électronique par Giorgio Moroder, avec ses musiques de film. Donc, c'est quelque chose dont je suis conscient depuis gamin. Après, j'ai fait mon chemin, mais malgré tout, il y a un peu de disco aussi dans la musique que je fais. Ça vient aussi de Giorgio Moroder ("Midnight Express" en particulier).
Et il faut évoquer cette scène dans la boîte de nuit du film. Est-ce que la musique de cette boîte de nuit sur le tournage était la même que celle qu'on entend actuellement dans le film?
Vitalic : Alors dans le club, c'est ma musique, c'est la musique que j'ai écrite pour le film, en partie oui, en partie non, c'est un mélange des deux.
Giacomo Abbruzzese : En fait, ce qui s'est passé sur cette scène de boîte de nuit, qui était l'une des plus complexes à réaliser, c'est qu'on a fait quatre jours avec de la figuration, donc sur des parties où j'avais vraiment besoin d'un contrôle total de l'image, où on n'avait pas une vision d'ensemble de l'église. Et après, on a fait un jour une vraie fête avec je pense 300 personnes, je ne me souviens plus, où Pascal mixait. Et là, c'était vraiment un peu le pari d'un côté d'avoir le côté spontané d'une foule qui danse, éviter le côté un peu figuration, un peu improbable. Ce qui était beau à ce moment-là, c'était que les gens ne savaient pas ce qui allait se passer. C'est quelque chose de l'ordre de la performance, de l'happening qui se passait pendant cette journée-là. Et malgré que c'était très dur de faire du cinéma au milieu d'une boîte de nuit qui marche, parce que c'est très important de communiquer avec tes partenaires, mais j'avoue que c'était une des rares fois où je me suis amusé sur ce tournage.
Et au-delà de cette boîte de nuit, il y a un travail du corps dans ce film, de la chorégraphie... Est-ce que très souvent des musiques de Vitalic étaient présentes sur le tournage aussi pour que l'acteur puisse bouger en fonction?
Giacomo Abbruzzese : Ah oui, j'avais fait écouter aux acteurs déjà certains morceaux de Pascal, notamment le morceau principal, et ils avaient longuement travaillé à la chorégraphie sur ce morceau-là. Du coup, oui, quand on l'a tourné, pour eux, ce n'était pas quelque chose de nouveau.
Il y a aussi une dimension chamanique quand on est en Afrique, avec de la trance, de la méditation même. La musique participe aussi de cela ?
Giacomo Abbruzzese : Je suis très content, par exemple, du morceau sur la danse africaine qui est l'un des morceaux sur lesquels on a le plus galéré. C'était un travail à plusieurs, avec les monteurs, pour trouver. À un moment, Pascal est arrivé avec un morceau qui faisait penser à des grenouilles, c'était très hypnotique, très simple, décalé, et en même temps cohérent. C'était important d'inscrire cette danse dans quelque chose d'universel, de ne pas trop la connoter comme quelque chose de local ou de folklorique, mais d'éviter cela à travers la musique.
C'est vrai que le choix de la musique électronique participe de cette universalité, nous ne sommes pas dans le folklore, dans les géographies traversées par le personnage... Sinon, pour imaginer Vitalic au travail, est-ce que tout est synthétique et fait en home studio, ou alors il y a quand même des choses faites à l'extérieur de chez vous ?
Vitalic : Pour le film, j'ai tout fait en studio chez moi. J'ai voyagé un peu. Pour la scène sur l'île de la Réunion, j'y étais et j'ai écrit la musique de cette scène-là dans ma chambre d'hôtel, avec du matériel très différent, du matériel de voyage, mais je n'ai pas fait intervenir de musiciens.
Aujourd'hui, avec des maquettes, on peut imiter des orchestres, par exemple. Quel est votre regard là-dessus, sur cette idée de pouvoir avoir des orchestres virtuels ?
Vitalic : C'est super, c'est pratique. On peut aussi se servir de ce matériel-là pour enregistrer ensuite avec des musiciens, ou c'est très convaincant déjà à la base. On peut aussi avoir un orchestre africain, on avait un peu essayé en home studio, donc c'est pratique.
Et en ce qui concerne la durée des morceaux...
Vitalic : Il y a eu beaucoup d'échanges sur la durée. Par exemple, la scène d'hélicoptère devait durer 20 secondes, ensuite 1 min 30, et puis ensuite 50 secondes. La petite difficulté, c'est que j'ai une partie de mon matériel qui n'a pas de mémoire, ce sont des synthés analogiques. Donc, une fois que c'est enregistré, si je passe sur un autre morceau, je n'ai plus les sons, donc il faut que je brode à partir de ce qui a été enregistré. Ce sont des tours de passe-passe un peu techniques.
Propos recueillis par Benoit Basirico • Dans le cadre d'une rencontre au Festival Music & Cinéma de Marseille.
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