Propos recueillis par Benoit Basirico
- Publié le 08-05-2023
Cinezik : Vous vous êtes rencontrés en 2009 sur un court-métrage intitulé "Climax". Comment s'est déroulée cette rencontre ?
Vladimir Cosma : Ça a été le résultat d'un heureux hasard. Une jeune femme assistante m'a parlé d'un réalisateur très talentueux qu'elle souhaitait que je rencontre pour une possible collaboration. Elle faisait référence à Frédéric Sojcher, que je ne connaissais pas encore, mais que j'ai découvert lors de cette occasion. Notre rencontre a été un véritable coup de foudre. Cela a marqué le début d'une collaboration qui dure depuis un certain temps. Je dis ça, car peut-être qu'elle n'est pas encore terminée. Mais jusqu'à présent, ça représente déjà plusieurs films et quelques années. Notre première rencontre a donc eu lieu sur "Climax". Ce court-métrage m'a énormément plu et a suscité en moi l'envie de travailler avec Frédéric. Pour moi, ce court-métrage avait autant de valeur qu'un long métrage.
C'est en découvrant ce film qu'il vous a envoyé que vous avez accepté d'en faire la musique ?
Vladimir Cosma : Oui, c'est ça.
Après, il y a eu "Hitler à Hollywood" en 2010, le documentaire "Je veux être actrice" en 2016 et maintenant ce nouveau film "Le cours de la vie". Pour un jeune réalisateur, collaborer avec Vladimir Cosma, c'est quelque chose de spécial, un amour pour sa musique ?
Frédéric Sojcher : Je pense que lorsqu'il y a une rencontre entre un réalisateur et un compositeur et qu'ils ont tous les deux envie de travailler ensemble, on peut dire la même chose d'une collaboration avec un acteur ou un scénariste, c'est une série de rencontres qui permettent au film de prendre vie. Pour moi, c'était un rêve auquel je n'osais même pas penser. Plus qu'un rêve, car en tant que spectateur, je connaissais beaucoup de musiques de Vladimir Cosma pour les avoir entendues dans les films qu'il avait composées. Je les écoute aussi en dehors des films. C'était quelque chose d'inattendu. Comment imaginer qu'un compositeur aussi talentueux que Vladimir Cosma accepterait de travailler sur un court-métrage ? Car il a vu le montage sans la musique. Il y avait aussi deux grands acteurs, Patrick Chesnais et Lorànt Deutsch. J'étais intimidé et je n'osais pas lui dire ce que je voulais comme musique. Il a accepté de faire la musique et quand je suis revenu le voir, il m'a dit : "Voici les musiques que je vais vous proposer, elles ont une ambiance judéo-balkanique". Ce qui est incroyable, c'est que c'était exactement ce que j'avais en tête, des musiques à la fois tristes et drôles, la musique juive ou balkanique. Et en réalité, c'était lui-même, Vladimir Cosma, avec toute son expérience, qui avait trouvé les mêmes mots que ceux auxquels j'avais pensé, sans même que je les exprime. Donc c'est extraordinaire quand il y a cette rencontre, cette même envie. Bien sûr, je ne suis pas compositeur, je ne suis pas musicien, mais c'était cette musique dont j'avais envie, la musique du film. Alors il y a cette magie, et je suppose, Vladimir, que vous l'avez rencontrée à plusieurs reprises, avec de nombreux réalisateurs, quand il y a une sorte d'évidence, quand vous composez une musique pour un film et qu'on ne peut plus imaginer le film sans cette musique, même si le film existait peut-être déjà en termes de montage avant que la musique ne soit proposée.
Vladimir Cosma : Pour moi, ce n'est pas du tout une évidence. J'ai bien plus d'exemples où j'ai eu du mal à trouver une idée musicale qu'à établir une connexion comme celle que j'ai eue avec vous. Même pour des musiques célèbres comme "Le Grand Blond" ou autres, ce sont souvent le fruit de longues discussions avec le réalisateur sur ce que la musique doit exprimer dans le film, plutôt qu'une osmose immédiate.
C'est vrai que dans votre parcours, vous parlez beaucoup de batailles pour défendre vos idées. Concernant "Le Grand Blond avec une Chaussure Noire", Yves Robert voulait initialement un pastiche de James Bond ?
Vladimir Cosma : Ce n'était pas vraiment Yves Robert qui souhaitait ce pastiche de James Bond, mais plutôt le scénariste, Francis Veber, qui est devenu par la suite un collaborateur régulier, puisque j'ai fait presque tous ses films. Il avait écrit, dans la première scène où Pierre Richard apparaît à l'aéroport avec son violon, comme indication musicale : "accompagnement musical genre James Bond". Ça m'a beaucoup dérangé, car l'idée de faire des pastiches ne me séduit pas. D'autant plus que faire un pastiche d'une musique ultra connue et célèbre, c'était quelque chose que je n'envisageais pas du tout et qui, au contraire, me déplaisait. Donc, immédiatement, j'ai réfléchi à ce que je pourrais faire d'autre pour obtenir l'efficacité que souhaitait le réalisateur, sans tomber dans les clichés les plus connus et évidents.
On a l'impression qu'avec Frédéric Sojcher, c'est beaucoup plus simple et ça passe moins par des références ?
Vladimir Cosma : C'est vrai, c'est plutôt une question de feeling, de sensations et de sentiments, plutôt que de se baser sur des modèles préétablis.
Pour le dernier film, "Le cours de la vie", à quel moment la musique est-elle intervenue ?
Frédéric Sojcher : Il y a plusieurs types de musiques dans le film et différents moments où la musique intervient. Il y a une chanson écrite spécialement par Vladimir Cosma qui est jouée et chantée par certains des jeunes acteurs. Évidemment, nous devions avoir cette musique avant le tournage. Certaines choses ont aussi évolué en cours de route. Par exemple, au départ, dans le scénario, il était prévu que des extraits de films soient montrés à de jeunes étudiants. Pour différentes raisons, dont des raisons de production car nous n'avions pas le financement pour acquérir les droits des films auxquels nous pensions, j'ai eu une idée, qui je crois a plu à Vladimir Cosma : rester sur les spectateurs pendant qu'ils regardent le film, sans montrer le film lui-même, qui reste hors champ, et on ne sait que c'est un film que par la musique. Ainsi, pour chaque extrait, il y a une musique qui appartient à un genre cinématographique : musique type thriller, musique type comédie romantique, musique type film d'aventure. C'était formidable d'avoir des musiques qui évoquent le cinéma. Donc, ça, c'est quelque chose qui est apparu en cours de route, car à l'origine, dans le scénario, il y avait des extraits de films et non pas de la musique à ces moments-là.
Agnès Jaoui incarne une scénariste qui arrive dans une école de cinéma pour animer une masterclass. La masterclass est très parlée et constitue le cœur du film. Comment la musique se positionne-t-elle par rapport à cet aspect didactique du scénario ? C'est justement intéressant ce qu'on vient d'entendre : les extraits de films ne sont pas montrés, mais la musique les fait exister. Alors c'est vrai que la musique de Vladimir Cosma crée immédiatement une atmosphère cinématographique. On sort du cadre de ce huis clos très parlé pour avoir des images grandioses en tête. L'idée, au-delà de la musique originale, était de puiser dans son répertoire existant. C'est presque, Frédéric, un hommage à la musique de Cosma et plus largement un hommage au cinéma ?
Frédéric Sojcher : Si cela est perçu comme tel, j'en suis ravi, puisque c'est ce que je souhaitais. C'est un film d'amour sur le cinéma et c'est un film d'amour sur les musiques de Vladimir Cosma. Donc c'est les deux à la fois. Il y a en fait trois types de musiques dans le film. On en a déjà évoqué deux : celle des extraits qu'on ne voit pas, qui passent par l'imaginaire et par la musique, et la musique originale créée spécialement pour le film, pour le générique de début, de fin, et pour la chanson dont j'ai déjà parlé. Et puis il y a, évidemment, comme dans beaucoup de films, des musiques qui apparaissent à d'autres moments pour l'émotion. "Le cours de la vie" est, je pense, avant tout un film qui offre toute une gamme d'émotions. On y trouve de la mélancolie, mais aussi parfois de la comédie. J'étais très heureux que Vladimir accepte, par exemple, que le téléphone portable du personnage interprété par Agnès Jaoui sonne avec la musique du "Grand Blond avec une Chaussure Noire". C'était l'un de mes souhaits et qui a été accepté.
Et il y a évidemment cette romance, c'est une puissante histoire d'amour qui est liée aussi à une nostalgie, car Agnès Jaoui retrouve dans cette école son amour d'enfance, Jonathan Zaccaï. Vladimir Cosma, vous avez souvent été étiqueté comme compositeur de comédie. C'est une grande qualité de l'avoir réussi, mais c'est aussi dommage de vous résumer à cela, parce que vous êtes aussi un grand compositeur romantique...
Vladimir Cosma : Vous savez, les étiquettes qu'on a mises sur mon personnage de compositeur de musique de film, c'est une étiquette que je n'ai jamais acceptée et qui m'a toujours semblé fausse dans sa philosophie même. C'est-à-dire qu'en tant que musicien, je trouve qu'il n'y a pas un genre de musique de film, de musique de cinéma, ou alors c'est le genre de la mauvaise musique.
D'où vient l'inspiration et le choix de la guitare pour le thème d'ouverture ?
Vladimir Cosma : D'où me viennent les idées, comment on compose la musique... C'est le mystère de la création littéraire, musicale, picturale, il n'y a pas de règles. J'ai écrit la musique de "Diva" pour piano parce que je n'avais pas les moyens nécessaires d'un orchestre pour écrire et qu'un piano pouvait dire tout ce que j'avais à dire. J'aurais eu beaucoup plus de moyens, j'aurais écrit certainement une autre musique. Peut-être aussi bien, moins bien, je ne sais pas. L'inspiration n'entre pas en ligne de compte. Dans "Diva", c'est comme ça. Dans ce film-là, la guitare est un instrument complet, harmonique, mélodique, etc. Donc, c'était une des seules possibilités pour faire une musique qui entre dans l'économie qu'on avait pour le film.
La guitare est interprétée par Jacky Tricoire. Aujourd'hui, les jeunes compositeurs sont obligés de faire de la M.A.O., la musique par ordinateur, de faire des maquettes et donc faire une fausse guitare avant qu'elle soit interprétée. Pour vous, le guitariste était là dès le début ? Comment la collaboration s'est faite avec le musicien ?
Vladimir Cosma : Ça me semble grotesque, surtout quand on fait une musique pour un instrument, de faire une maquette sur un autre instrument qui n'est pas celui qui est choisi pour arriver à quelque chose de moins bien et expliquer au metteur en scène que ce n'est pas la bonne version, qu'on va le faire avec une guitare. Pourquoi on parle de maquette ? Pour faire entendre au metteur en scène quelque chose qui le convainc du bien-fondé de notre inspiration et de notre choix. Donc la maquette a l'intérêt d'être le mieux possible, plus près de ce que va être l'original. D'autant plus que pour une guitare seule, je trouve qu'il n'y a pas d'hésitation.
Mais très souvent aussi, la maquette est utile quand il y a des changements de montage qui nécessitent de changer la musique sans déranger à chaque fois le musicien. Mais dans ce film-là, "Le cours de la vie", le placement musical était déjà défini, ce qui fait qu'il n'y avait pas eu de changements ?
Frédéric Sojcher : Il faut parler de quelqu'un avec qui j'ai travaillé, le monteur du film, que Vladimir Cosma a rencontré. Il s'appelle Christophe Pinel, il a déjà fait beaucoup de longs-métrages, notamment les films d'Albert Dupontel. On ne connaissait pas la durée de chaque scène avant de monter, donc évidemment il y a une interaction entre le montage image et le placement des musiques. On a travaillé ensemble là-dessus. Nous sommes tous les deux de grands admirateurs de la musique de Vladimir Cosma. Ce qui était formidable, c'est qu'on écoutait plein de morceaux de films de Vladimir Cosma, on faisait des essais sur sa musique. On était presque troublés parce qu'on avait trop de choix. Il y a la musique originale, et les musiques préexistantes. Il fallait faire vivre tout ça ensemble, et j'ai pris un immense bonheur de travailler avec ce monteur pour le choix des placements, avec l'accord de Vladimir Cosma évidemment, qui donnait toujours son avis. Il est responsable de ses musiques, mais il y a évidemment une interaction avec le montage d'images qui intervient aussi.
Vladimir Cosma : Le monteur a une très très grande place au cinéma, et dans ce film-là, c'était un très bon monteur qui a participé et qui nous a beaucoup aidé à avoir le résultat que vous avez vu.
Frédéric Sojcher : J'adore les musiques mélodiques, les musiques dont on se souvient après avoir vu un film. La musique participe à la narration. On change la musique d'un film ce n'est évidemment pas la même perception qu'on a de l'histoire. Et donc elle participe à la manière dont le film est raconté. Il y a le côté scénaristique, c'est comme un scénario qui passe aussi par la musique.
Il est aussi question du deuil. Et la musique ne s'adapte pas forcément à la romance et ne s'adapte pas au deuil, c'est presque finalement la musique qui va être colorée différemment en fonction de l'image. C'est dans ce sens-là, en fait, c'est le film qui va diriger la musique ?
Vladimir Cosma : Tout à fait d'accord. La musique, c'est comme un caméléon. Elle prend la couleur du film et pas le contraire. Vous mettez un concerto de Mozart sur une scène horrible de meurtre dans un film d'Hitchcock, la musique de Mozart, qui est sublime en soi, devient terrifiante, parce que les gens la mixent complètement avec le film. La même musique, vous la mettez sur une belle scène d'amour, elle devient romantique, elle devient très belle, etc. Donc la musique a cette possibilité de changer de couleur.
Alors on a évoqué la chanson, il y a cette chanson, "Et si", interprétée par l'étudiant dans le film, sur des paroles de Jean-Pierre Lang. Alors souvent la question qu'on se pose sur les chansons, c'est d'abord la musique et ensuite les paroles, ou l'inverse ?
Vladimir Cosma : L'idéal, c'est d'abord la musique et ensuite les paroles, parce qu'il y a une liberté dans le fait de faire de la musique sans le carcan des paroles qui est irremplaçable. On peut faire des musiques sur des paroles, mais il y a une contrainte qui se ressent forcément. Même chez les plus grands compositeurs, quand vous voyez des "Lied", des choses qui sont faites sur des grands textes de Schiller ou de Goethe, la musique est plus belle quand elle est écrite librement et que les paroles viennent après. Je ne sais pas, ça doit être la même chose pour le texte, mais moi, en tant que musicien, je le sens. Donc si on me donne le choix, je préfère écrire ma musique avant et que le parolier écrive le texte par la suite.
Frédéric Sojcher : La musique a été écrite avant les paroles, et ça va même plus loin que ça puisque Vladimir Cosma m'a conseillé de prendre contact avec Jean-Pierre Lang, qui a déjà travaillé avec lui par le passé et qui a accepté d'écrire les paroles pour cette chanson sur la musique de Vladimir Cosma qui existait déjà.
Cette chanson est entendue dans une très belle scène sous un arbre, très beau moment dans le film. L'étudiant qui la chante devait être intimidé de devoir être à la mesure de cette chanson ? Est-ce que vous avez travaillé directement avec lui ?
Vladimir Cosma : Non, j'ai travaillé avec le parolier, mais pas avec les interprètes parce que j'espérais des interprètes meilleurs que ce que j'ai eu. Il était question à un moment donné de faire chanter Agnès Jaoui, il y a eu toutes sortes de discussions. Quand je lui ai demandé pourquoi elle ne voulait pas, elle m'a dit qu'elle voulait. C'est une des choses que je regrette, parce qu'une voix humaine qui interprète quelque chose peut être un plus par rapport à un instrumental, aussi bon guitariste soit-il ou aussi bon pianiste. La voix est un des instruments les plus porteurs.
En tout cas maintenant, la chanson existe, et éventuellement dans vos concerts vous pouvez la faire interpréter par des chanteurs. Parfois les compositeurs doivent faire des musiques, des chansons, qui sont dans le cadre du film destinées à être mal interprétées parce que c'est un personnage qui n'est pas chanteur...
Frédéric Sojcher : C'est ce qui se passe. Je ne sais pas si on peut dire mal interprété, mais en tout cas ce n'était pas un chanteur, c'est un acteur qui joue le rôle d'un étudiant. Et donc, dès lors qu'il ne chantait pas faux, ce n'était pas grave pour moi, parce que ça apportait même un plus grand réalisme. Agnès Jaoui intervient aussi et chante quelques couplets. J'adore l'entendre chanter, mais je n'ai pas pu obtenir de la production que la chanson soit entièrement chantée par Agnès pour le générique final du film. Cependant, c'était un souhait de mise en scène d'avoir ce côté faussement improvisé autour de l'arbre. C'est faussement improvisé, car la musique et les paroles étaient conçues avant, mais elle devait être perçue comme étant improvisée.
Vladimir Cosma : C'était quelque chose que j'ai pu accepter et tolérer. Mais j'aurais souhaité avoir un moment où on entend la chanson comme elle doit être chantée et qu'elle apporte l'émotion dont elle est capable. Voilà, ça on n'a pas eu lieu, parce qu'il faut quand même avoir des interprètes à un certain niveau, des chanteurs.
Frédéric Sojcher : C'est ce qui était prévu, et moi aussi j'aurais aimé l'avoir.
Dans le film, dans cette leçon de scénario donnée par Agnès Jaoui, il y a une petite clé de leçon, il y a "Et si". Pour un jeune scénariste, elle leur dit "Imaginez donc, et si, il se passait ça". Et pour traduire cette question pour un compositeur, est-ce qu'il y aurait une clé pour un compositeur, pour l'inspiration, si vous deviez faire une leçon de musique de film, quel serait l'équivalent du "Et si" ?
Vladimir Cosma : Je suis juste un compositeur qui écrit des notes harmonieuses et voilà. Le "Et si" n'est pas si simple que ça. Je fais mes musiques telles qu'il me semble qu'elles doivent venir, dans l'ordre. La musique est un langage artistique tellement complexe que je ne peux pas le définir simplement.
Peut-être qu'on peut comprendre, d'après vos propos, que pour un jeune compositeur, l'idée est de se laisser porter par l'intuition et de ne pas avoir une clé préétablie ?
Vladimir Cosma : Oui, je pense que c'est un bon début. Mais ça ne donne pas l'inspiration ni le côté positif. Qu'est-ce qu'il faut faire pour ça ? Vous savez, on ne peut pas convaincre aisément, toute ma vie j'ai essayé de convaincre les réalisateurs que la musique que je leur compose ou que je leur propose était belle. Et je n'ai pas d'argument quand je me trouve face à quelqu'un qui me dit "je ne l'aime pas". Je n'ai pas d'argument scientifique ou philosophique pour "je n'aime pas". Je n'ai qu'une seule chose à faire, c'est en faire une autre. J'ai souvent proposé plusieurs thèmes, parfois cinq thèmes différents aux réalisateurs. Chacun des thèmes que j'ai proposé me plaisait, et s'ils en avaient choisi un plutôt qu'un autre, pour moi ça aurait été presque équivalent. Mais j'ai remarqué que le thème qu'ils choisissaient était souvent le troisième. Je pense que le premier était loin de ce qu'ils imaginaient. Les réalisateurs essaient d'imaginer une musique, mais comme ils ne sont pas musiciens, ils ne peuvent pas vraiment imaginer ce qu'ils veulent. Alors, quand vous venez avec quelque chose de concret, ce n'est pas du tout ce qu'ils avaient en tête. La deuxième proposition provoque souvent une hésitation, mais ce n'est pas encore ça. Et quand vous passez à la troisième proposition, je crois qu'ils en ont marre et disent : "Bon, c'est ça, prends la troisième et c'est tout."
Et quel est l'avis du réalisateur ? La bonne musique de film, comme on vient de l'entendre, est-ce finalement celle qui est acceptée par le réalisateur ?
Frédéric Sojcher : Je n'ai pas le souvenir d'avoir vécu ces trois propositions dont Vladimir Cosma fait référence pour d'autres films. Sur "Hitler à Hollywood" (2011), par exemple, il y avait plusieurs propositions de musique, mais il n'y avait pas d'ordre puisque Vladimir me les avait confiées sans ordre. Donc, je ne sais pas si j'aurais réagi de la même manière ou pas. Je pense que quand on a confiance et quand on sait la chance qu'on a de travailler avec quelqu'un, que ce soit pour la musique ou pour un acteur, il y a déjà 50% du chemin parcouru. Ce n'est pas tout le chemin, car aimer travailler avec quelqu'un et l'admirer ne signifie pas être complaisant. On peut avoir des avis contraires. Si un acteur ou un réalisateur dit toujours "c'est parfait", je pense que c'est le premier à être déçu. Il a envie de savoir quand il y a quelque chose qui peut évoluer différemment, dans un échange. Mais à la base, il y a l'envie de travailler avec quelqu'un. C'est pour cela que c'est le quatrième film que je fais avec Vladimir Cosma. Je considère que c'est une grande chance et un honneur. Comme l'a dit Vladimir au début de notre entretien, je touche du bois pour qu'il y ait une cinquième collaboration, car c'est un tel bonheur !
Propos recueillis par Benoit Basirico
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