,Cannes 2023,@,banel-adama2023041701,mar-khalife,Afrique, - Interview B.O : Bachar Mar-Khalifé (Banel & Adama, de Ramata-Toulaye Sy), la musique du sable et du vent Interview B.O : Bachar Mar-Khalifé (Banel & Adama, de Ramata-Toulaye Sy), la musique du sable et du vent

,Cannes 2023,@,banel-adama2023041701,mar-khalife,Afrique, - Interview B.O : Bachar Mar-Khalifé (Banel & Adama, de Ramata-Toulaye Sy), la musique du sable et du vent


Propos recueillis à Cannes par Benoit Basirico

- Publié le 21-05-2023




Bachar Mar-Khalifé, artiste multi-instrumentiste et compositeur franco-libanais, signe la musique du premier film malien de Ramata-Toulaye Sy, "Banel & Adama" (Compétition Cannes 2023 / Sortie en Salles le 30 août 2023). Un piano ethéré et des cordes lancinantes favorisent un climat de désolation et d’étrangeté. La partition représente le monde intérieur de la jeune femme, Banel, liée à une certaine morbidité. Sa romance avec Adama, rejetée par la communauté, n’atténue aucunement ses pulsions de mort. La partition joue avec les éléments naturels d’un village éloigné au Nord du Sénégal (le sable, le vent, les oiseaux, des gouttes de pluie...) avec quelques percussions et des voix.

Cinezik : Quand êtes-vous intervenu sur ce premier film malien ?

Bachar Mar-Khalifé : J'ai commencé le travail d'architecture ou de modelage dès le stade du scénario, mais la création de la musique vient réellement après. Je peaufine les détails tout à la fin et c'est aussi à ce moment-là que j'écris. Nous avons ajusté les choses avec le visuel. L'image et le son se sont fusionnés. La musique que j'ai vraiment conçue et composée entièrement après l'image, c'est la musique de fin, car elle était un peu différente du reste du film. C'est un peu comme la coda, le final.

Commencez-vous par l'écriture d'une partition ou par le jeu d'un instrument pour ébaucher vos premières idées ?

Il n'est pas nécessaire de passer par l'écriture pour obtenir une partition bien construite et bien définie. En réalité, on écrit surtout si on a des problèmes de mémoire ou si on ne dispose pas d'outil d'enregistrement. Dans ce cas-là, je trouve que l'écriture est tout à fait appropriée.

La réalisatrice Ramata-Toulaye Sy a-t-elle donné des directives précises pour inspirer votre composition ?

Elle a utilisé beaucoup de mots, oui. Nous avons beaucoup échangé, et elle a surtout beaucoup parlé du son, parce qu'elle avait une idée précise. Elle m'a décrit le sable, le vent... Elle voulait que la musique émerge du sable et s'envole avec le vent. Elle devait faire partie intégrante de la nature, de cette nature décrite dans le film. C'est une approche géniale parce qu'on se demande comment le sable pourrait être rendu par un instrument, quel style de jeu pourrait évoquer le vent, la présence des animaux, des oiseaux, des lézards, ou même la passion du personnage principal, Banel. Il y a des scènes où on a vraiment l'impression d'entrer dans ses veines, d'être dans son corps de manière très organique. Et ça, ce sont des explorations passionnantes en studio. Étant multi-instrumentiste, je me permets également d'enregistrer des choses qui ne sont pas nécessairement des instruments. Cela peut être n'importe quoi, comme une tasse de café, un balai, etc. Tout cela fait partie, pour moi, de l'environnement du studio et de sa magie.

"Banel et Adama" est une romance. Il y a l'histoire d'amour entre Banel et Adama, avec cette pulsion de vie, mais aussi des pulsions de mort avec le personnage qui tue des animaux. Donc il y a des moments sombres. Et votre musique est assez sombre, finalement. C'est une de vos musiques les plus sombres...

Effectivement, la musique sombre est quelque chose qui me vient naturellement, je crois, depuis que je compose. J'ai toujours essayé de contrebalancer cela avec de la lumière, parce que je sais qu'on ne peut pas se définir uniquement par une seule chose dans la vie. Le sombre ne peut émerger qu'en présence de la lumière, et vice versa. Je ne pense pas que je pourrais définir la musique de ce film comme étant uniquement sombre, parce que pour moi, la musique d'ouverture, liée à cette image initialement incompréhensible, est plutôt lumineuse, même si elle est minimaliste et pas très expressive. Sa définition est floue, on ne sait pas réellement si elle est sombre ou lumineuse. C'est ambigu, cela nous laisse dans le doute, avec des questionnements. De la même manière, lorsque l'on voit Banel au début, on ne sait pas si elle est sombre ou lumineuse, elle incarne les deux visages.

Effectivement, cela se précise progressivement au cours du récit, et en tout cas, il n'était pas question que la musique exprime le romantisme ? Est-ce que c'était précisément une directive de la réalisatrice de ne pas aller jusqu'à la sentimentalité dans la musique ?

Oui, elle était très claire et vigilante à ce sujet. Elle savait exactement quel rôle la musique ne devait pas jouer. Et je pense qu'elle avait une vision tellement précise avant et pendant nos discussions, que je n'ai jamais été tenté d'introduire du lyrisme ou du romantisme dans la musique. C'est ce qui donne à ce film un aspect un peu radical, peut-être. Il n'y a pas beaucoup de concessions dans le film, et je pense que c'est tout à son honneur de défendre un cinéma qui est radical.

Vous êtes aussi un mélodiste, et là la radicalité du film allait aussi avec l'idée de ne pas avoir nécessairement un thème très évident.

Oui, il n'y a pas de thème, ce n'est pas ce genre de musique. On ne va pas sortir du film en fredonnant le thème de la musique du film. Je suis très content de cela, car depuis que je compose pour le cinéma, j'ai découvert beaucoup de choses, y compris qu'on peut créer de la musique sans thème. Je pense qu'il y a des compositeurs, des gens qui ont une certaine idée de la musique de film et qui sont un peu inquiets de la musique qui n'a pas de thème ou qui n'est pas romantique. Or, je crois qu'il est important de rappeler que la musique n'est pas seulement une question de thème ou de rythme. Elle peut être une seule note et surtout, elle est une sensation. Et il ne faut pas oublier que la musique est aussi une expérience physique, et pas seulement un plaisir pour les mélomanes.

On ne retient peut-être pas de thème à fredonner, mais on garde des images, des sensations en effet. Il y a des images stupéfiantes, fascinantes, comme par exemple un plan d'oiseaux qui survole le personnage et le sable... Et la partition contribue pleinement à créer cet effet fascinant.

Oui, il y a de nombreuses images exceptionnelles dans le film, avec de la lumière, des ombres, et beaucoup de scènes filmées la nuit également. C'est une palette, il y a de la peinture, en réalité, dans ce film. Plusieurs formes d'art sont présentes. En fin de compte, c'est du cinéma, ce film. Et tous les films ne sont pas nécessairement du cinéma, tout comme toutes les musiques ne sont pas forcément de la musique.

En tant que spectateur, avez-vous des films préférés qui peuvent vous orienter aussi dans votre musique pour le cinéma ?

En fait, j'essaie d'éviter de m'appuyer sur ces références, car j'ai un peu peur que cela me limite. Donc, quand je regarde un film, je m'efforce vraiment de ne pas le voir d'un point de vue professionnel. Les seuls films qui m'ont peut-être marqué et qui m'orientent un peu, du moins sur le plan sentimental, ce sont les films de Chaplin, car j'ai grandi avec et que la musique y est très centrale. Je reconnais le film à travers la musique, mais c'est davantage une importance sentimentale que technique. J'évite de me conformer ou de me limiter à ce que j'aime. Par contre, je pense que je m'inspire beaucoup plus de ce que je lis plutôt que de ce que j'écoute ou de ce que je vois.

D'où la lecture du scénario qui peut inspirer le musicien ?

Exactement. Je pense que la lecture est un domaine infiniment plus inspirant, qui invite à la liberté, bien plus que l'image ou le son.

 

Propos recueillis à Cannes par Benoit Basirico

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