,@,bon_brute_truand,morricone, - Le Bon, la brute et le truand (Ennio Morricone), Orchestration hors du commun Le Bon, la brute et le truand (Ennio Morricone), Orchestration hors du commun

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par Quentin Billard

- Publié le 01-01-2008




Des trois westerns spaghettis de Sergio Leone, « Il Buono, Il Bruto, Il Cattivo » est de loin la partition la plus populaire d'Ennio Morricone et aussi la plus aboutie. Qui n'a jamais entendu le célébrissime thème d'ouverture du film, sur un balancement de deux notes auxquelles répondent trois autres notes ! 

Parlons d'abord de l'instrumentation incroyable de cette partition ! Ennio Morricone utilise ici divers instruments, une trompette-piccolo, une guitare "mexicaine", les sifflements du soliste Alessandro Alessandroni qui chante aussi un peu de yodel (une idée exceptionnelle pour la musique d'un western !), une guitare électrique, des cris guerriers d'un choeur d''hommes ("Go", "Go", un son très reconnaissable dans les musiques western d'Ennio Morricone et que l'on retrouve dans les deux autres westerns-spaghettis de Sergio Leone), sans oublier la flûte à bec soprano, les instruments médiévaux aux sons parfois étranges, un arghilofono (sorte d'ocarina basse construit en terre cuite et originaire de la région des Arbuzzes), un harmonica, quelques chanteurs solistes tels que l'inévitable Edda Dell'Orso (grande complice de toujours d'Ennio Morricone !) et bien sûr, l'orchestre symphonique traditionnel. D'emblée, la partition du maestro italien s'avère être particulièrement originale et recherchée - avec une instrumentation assez unique en son genre, reflétant l'inventivité incroyable du musicien et son goût pour les approches musicales souvent uniques, éclectiques et personnelles.

Rappelons pour commencer que la composition de la partition d'Ennio Morricone débuta bien avant le tournage du film, un fait assez exceptionnel dans le sens où le maestro italien n'eut pas cette liberté sur les deux films précédents, pour des raisons purement budgétaires. Du coup, Sergio Leone en profita pour faire jouer la musique de Morricone sur le plateau du tournage, stimulant ainsi de façon plus active le jeu des différents interprètes du film. La partition de « Il Buono, Il Bruto, Il Cattivo » s'articule donc autour de ce célèbre thème principal constitué de deux parties, la première contenant le fameux motif en réponse, puis la seconde avec une mélodie de guitare électrique très cavalière, associée aux trois personnages évoqués par le titre du film. Et pour que chaque personnage puisse posséder sa propre identité sonore, Morricone décida d'associer à chacun un instrument différent. Ainsi donc, Blondin est associé à la flûte à bec, Sentenza à l'arghilofono et Tuco à la voix humaine. Conceptuellement parlant, le thème de « Il Buono, Il Bruto, Il Cattivo » est assez unique en son genre, puisque le maestro l'a écrit pour imiter le hurlement des coyotes dans le désert. Véritable leitmotiv du trio, Morricone tient à rappeler ce thème par une évocation de quelques secondes au tout début du film, lorsque l'on découvre chacun des trois personnages, de manière théâtrale et amusante : le film fait alors une pause sur leur visage avec le nom du personnage, "Le Bon" par exemple, un effet assez kitch qui participe au charme de ce film typique des années 60. Le thème s'attache ensuite à suivre le personnage du Blondin - excellentissime Clint Eastwood et son fameux running gag « le monde se divise en deux catégories », ou sa réplique cinglante du style « ça, c'est pas une farce, c'est une corde » ! Anthologique ! Les deux célèbres notes du thème sont toujours évoquées dans le film lorsqu'on voit apparaître le personnage à l'écran ou lorsqu'il fait preuve d'héroïsme. Quand à savoir où et comment Ennio Morricone est allé chercher son inspiration pour trouver les deux notes les plus célèbres de l'histoire du cinéma, cela reste un mystère tout entier, le mystère de la création ! Toujours est-il que le fameux thème en question reste plus que jamais indissociable de l'univers crée par Sergio Leone dans son film.

Le reste de la partition est tout aussi remarquable. Alors que le thème se taille une grosse part du lion dans le film, le chant « Story of a Soldier », qui s'avère être assez présent durant la scène du camp de prisonniers, demeure tout bonnement intriguant. En effet, il s'agit d'une magnifique pièce chantée dans le film par un choeur chargé d'accompagner en musique la torture de Tuco (Le Truand) par Sequenza (La Brute) et son acolyte. Plus le choeur chante fort et plus le bourreau doit frapper fort. La musique reflète pourtant un décalage émotionnel assez saisissant sur les images qu'elle accompagne. Pour une scène aussi brutale et violente, Morricone décida de mettre une musique belle et extrêmement chantante par dessus la séquence (le rôle de la musique étant ici de couvrir les bruits du prisonnier torturé !). Encore une audace conceptuelle de plus qui rend cette partition assez déroutante par moment, mais tout bonnement géniale dans ce qu'elle cherche à véhiculer. Même style pour « Marcia », chant extrêmement simple, qui prend des allures d'air populaire dépouillé de la moindre fioriture, joué par un harmonica doublé par le sifflement d'Alessandro Alessandroni pour la fin de la scène du camp et lors de la séquence du chant de bataille pendant la guerre de sécession. Ce morceau magnifique qui prend parfois des accents de marche militaire accompagne parfois des séquences qui n'exigeaient pas forcément à la base un tel lyrisme ni une telle beauté, comme notamment pour la scène où Tuco et Blondin font exploser le pont. On retrouve ici aussi cette idée de décalage audacieux entre la musique et les images, la partition du maestro faisant bien souvent office de véritable opéra baroque, avec son mélange improbable et très complexe entre touches d'humour et lyrisme.

Les choeurs interviennent de temps à autres, et notamment dans l'excellent « The Carriage of the Spirit », musique quasi-spirituelle/religieuse pour la scène où le chariot de Bill Carson apparaît dans le désert pendant que Tuco est en train de malmener Blondin sous la chaleur écrasante du désert. La musique, souvent décalée avec les images, tend à créer un certain second degré très subtil à l'écran, Sergio Leone ne cachant d'ailleurs pas le caractère légèrement parodique de ses westerns-spaghettis. Une guitare « à la mexicaine » vient ensuite illustrer l'arrivée de Tuco dans un village au début du film, tandis que les premiers méfaits brutaux de Sentenza sont évoqués à travers quelques pièces atonales et dissonantes (non présentes sur le CD de l'ancienne édition !). Autre morceau non retenu sur le CD, celui de la scène où Tuco et Blondin vont s'attaquer aux hommes de Sentenza dans un village en ruines. La musique, très atonale et dissonante, met en valeur les percussions, les effets de flûte et de piano. Elle illustre alors le suspense de la scène et rappelle au passage le goût du maestro italien pour la musique savante atonale et avant-gardiste des années 50/60. La musique du désert est quand à elle particulièrement inquiétante : le hautbois interprète la partie principale, une pièce qui annonce d'ailleurs clairement le Ennio Morricone plus atonal et sinistre des années 70/80 (cf. sa musique pour « The Thing » de John Carpenter). La musique accompagnant la scène où le capitaine meurt sur le champ de bataille après avoir vu le point exploser s'avère être particulièrement belle et poignante, tout comme celle où Blondin offre un cigare à un soldat en train de mourir. C'est dans ces passages que l'on retrouve toute la sensibilité et le lyrisme exceptionnel du grand Ennio Morricone !

Enfin, on ne pourra pas passer à côté de deux grands moments incontournables dans cette musique d'exception, le fameux « Ecstasy of Gold » et « The Trio », la première rappelant les harmonies et le thème de « Per qualche dollaro in più » avec la voix bouleversante de la soprano Edda Dell'Orso (la muse du maestro italien depuis toujours !), un morceau aux proportions épiques pour la scène où l'on voit Tuco courir comme un dératé dans le cimetière, à la recherche de la tombe où le fameux trésor est caché. La scène prend des proportions de plus en plus grandioses au fur et à mesure que le caméra de Leone devient de plus en plus floue à force de tourner sur elle-même à toute vitesse, représentant la confusion et la folie dans la tête de Tuco, complètement obsédé à l'idée de retrouver le trésor, pris comme le titre du morceau l'indique par la fièvre de l'or, tout comme le furent autrefois les pionniers de l'Ouest. On pourrait d'ailleurs s'imaginer que c'est en référence à cette grande époque de l'histoire des Etats-Unis que Morricone a eu l'idée de faire de ce morceau une sorte de grand hymne épique et héroïque, la chanteuse soprano et l'orchestre étant très rapidement rejoints par les choeurs majestueux - rappelons d'ailleurs que cette musique a connue elle aussi une popularité grandissante au fil des années, à tel point que certains musiciens y font aujourd'hui constamment référence, comme le groupe Metallica par exemple, qui a pris l'habitude d'ouvrir tous ses concerts en interprétant « Ecstasy of Gold » . Enfin, « The Trio » évoque la confrontation finale anthologique entre les trois personnages-clés du film. Toute l'intensité et le suspense de la scène sont représentés dans la musique de Morricone, utilisant ici la guitare accompagnée par un petit motif de piano. « The Trio » illustre à merveille les différents plans axés sur le regard de chaque personnage dans un triple duel qui déterminera qui ira prendre le trésor. Signalons simplement pour finir qu'il y a manifestement un véritable problème dans le mixage de la musique du film, puisque cette dernière sature régulièrement dans les passages où le volume sonore est bien plus élevé !

En conclusion, il s'agit probablement là d'une des plus grandes musiques de western d'Ennio Morricone, audacieuse, osée, innovante, recherchée, magnifique et enlevée, un thème célèbre et exceptionnel. La musique de Morricone devient très vite puissante à l'écran de part la présence d'une certaine forme de second degrés musical très subtil, mais aussi grâce à la puissance d'évocation de la musique décidemment inséparable des images du chef-d'oeuvre de Sergio Leone. Dès le début de la musique, on retrouve immédiatement toutes les images du film. Rajoutez à cela une instrumentation originale et recherchée, et vous obtenez « Il Buono, Il Bruto, Il Cattivo », chef d'oeuvre impérissable aussi bien dans le domaine des westerns que dans celui de la musique de film, résultat d'une collaboration intense et passionnante entre Leone et Morricone, qui aboutira finalement trois ans plus tard avec le bouleversant « C'era un volta il West », un véritable hymne poignant à l'Ouest américain. Un chef-d'oeuvre absolument incontournable, en somme !

par Quentin Billard


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