,@,sindrome_stendhal,morricone, - Le Syndrome de Stendhal (Ennio Morricone), murmure macabre et rêveries mélodieuses Le Syndrome de Stendhal (Ennio Morricone), murmure macabre et rêveries mélodieuses

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par Quentin Billard

- Publié le 01-01-2008




Ennio Morricone retrouve Dario Argento 26 ans après leur rencontre sur la trilogie policière constituée de L’oiseau au plumage de cristal (1970), Le chat à neuf queues (1971) et Quatre mouches de velours gris (1971).

Pour sa quatrième collaboration à un film d’Argento, le grand Ennio Morricone nous offre une partition sombre et envoûtante, un score noir et hypnotisant qui rappelle à quel point le compositeur a toujours été très attiré pour les musiques expérimentales et avant-gardistes qu’il a côtoyé tout au long de sa formation musicale dans sa jeunesse. La partition de Morricone s’articule autour d’un thème principal qui ne laissera aucun auditeur indifférent, une obsédante et envoûtante mélodie de 8 notes (construite de façon symétrique, 4 notes puis 4 notes en mouvement contraire) intitulé ‘The Stendhal Syndrome Theme’. Morricone a parfaitement sut représenter à travers cette espèce d’air de berceuse hypnotisante toute la fascination morbide et malsaine d’Anna pour les oeuvres d’art et son rapport viscéral et quasi surnaturel avec le serial-killer qu’elle traque (on penserait presque par moment à certains motifs hypnotisants de Bernard Herrmann pour ses vieilles partitions thriller). Le thème est ici confié à la chanteuse soliste Alexys Schwartz (crédité dans le livret de l’album comme "little girl") qui chante l’air sur des ‘la la la’ un brin enfantin, le tout sur fond d’ostinato de cordes et de vents (le thème s’apparente à une passacaille avec une basse obstinée répétée constamment) et une utilisation assez particulière de quelques sonorités électroniques utilisées de façon un peu bizarre, jouant ici un petit motif de 5 notes en contrepoint avec la mélodie principale. Morricone développe cette mélodie malsaine durant plus de 7 minutes jusqu’à provoquer un profond malaise chez l’auditeur. Dans le film, on ne l’entend qu’environ 3 minutes durant le générique de début du film, mais ces quelques 3 minutes suffisent déjà à installer une atmosphère troublante, dérangeante, malsaine. Une fois encore, Ennio Morricone frappe fort et nous prouve qu’il sait décidément comment traduire les plus fortes émotions en musique avec une profondeur musicale toujours aussi viscérale et poignante. Cette mélodie fascinante et obsédante sera véritablement au coeur de la partition de La Sindrome di Stendhal, présente du début jusqu’à la fin du film.

Avec ‘Entering the Opera’, la musique bascule dans l’horreur totale avec ici une très forte réminiscence de certains précédents travaux du maestro dans le registre de l’horreur et du suspense (on pense par exemple à certaines mesures de The Thing). Morricone articule son morceau autour d’un tapis de cordes dissonantes/stridentes baignant dans une atmosphère atonale crasseuse, avec une excellente utilisation de quelques notes de piano, d’une trompette en sourdine et d’une utilisation étrange et mystérieuse de voix chuchotées perverses, qui traduisent ici un malaise constant, étouffant, presque irritant. L’utilisation des voix renvoie constamment tout au long du film au personnage d’Asia Argento, aux implications psychologiques quasi Freudiennes de l’intrigue du film. Le morceau accompagne la scène du viol et du meurtre au début du film, créant un malaise intense tout au long de la scène. Morricone installe très rapidement une atmosphère cauchemardesque particulièrement prenante durant cette première séquence ‘choc’ du film où les voix occupent une place majeure (ce n’est certainement pas un hasard si le mot ‘opéra’ apparaît dans le titre du morceau), à l’instar d’un autre morceau voisin de ‘Entering the Opera’, ‘From Caravaggio to Canaletto’, où le maestro mélange chuchotements féminins étranges associés à l’étrange maladie dont souffre Anna à la vue d’oeuvres d’art, le tout sur fond de cuivres dissonants, cordes envoûtantes et dissonances électroniques mystérieuses. Morricone se paie aussi le luxe de dédier l’un de ses morceaux à sa soliste, Alexys Schwartz dans ‘Canto for Alexis’, où il reprend son hypnotisant thème fascinant joué ici par les vents sur fond de synthétiseur kitsch un peu décalé et faussement ironique. On appréciera au passage une superbe reprise rapide de ce thème dans ‘Desperation and Madness’ qui évoque la descente aux enfers d’Anna et l’univers de folie décrit par Argento dans son film. A noter ici une utilisation des percussions typiques du maestro, avec des glissendi de cordes dissonantes et un orchestre toujours extrêmement sombre et tendu. A l’instar de ‘Canto for Alexis’, Morricone dédicace ‘For Fiore and Asia’ à Asia Argento elle-même, une bonne idée qui prouve à quel point le maestro prend toujours particulièrement à coeur son travail, avec ici une nouvelle variation mystérieuse et faussement douce de l’entêtante mélodie de 8 notes (cf. le retour des "la la la" faussement enfantins dans ‘A New Reality’ ou en version a cappella dans ‘Only Alexis’). On appréciera une passage une reprise extrêmement lente et pesante de la mélodie dans ‘For Flower and Asia’, tellement chargée de dissonances rampantes et jouées doucement qu’elle en devient véritablement angoissante, avec son tapis de cordes dissonantes et ses quelques notes de piano baignant sans une véritable ambiance à la The Thing parfaite pour le film de Dario Argento.

Comme semble vouloir l’indiquer le titre de la septième piste, ‘A Bad Dream’, la musique nous plonge dans une atmosphère troublante et suffocante pour une scène où Anna fait un cauchemar dans laquelle elle se voit à nouveau plonger dans des profondeurs à la suite d’un nouveau trouble lié au syndrome de Stendhal. Morricone utilise ici l’orchestre de façon extrêmement tendu avec ses motifs tournoyants symbolisant le trouble psychologique de l’héroïne et ses cuivres dissonants agrémentés de synthétiseurs ‘cheap’ assez inattendus dans le contexte de la musique. Dans le même ordre d’idée, ‘The Offices’ nous propose une atmosphère suffocante et dissonante baignant dans un cluster massif de cordes avec piano et effets de flatterzunge de flûtes (attaque du son en roulant la langue). A noter une utilisation plus intrigante des synthétiseurs dans le sombre et brutal ‘A Silent Cry’ qui apportent une couleur vraiment particulière à la musique de Morricone, complétant les différentes couleurs instrumentales que le maestro manie évidemment avec brio. Si ‘Perturbated Mind’ rappelle une dernière fois l’atmosphère mystérieuse et sombre du reste du score, ‘Sopo Il Silenzio’ achève de transformer cette véritable expérience musicale en cauchemar sonore à l’aide de clusters de cuivres et d’effets de cordes en tout genre dans un style qui rappelle inévitablement certains grands noms de la musique savante du 20ème siècle tels que Ligeti, Penderecki, Boulez ou Nono.

En grand défenseur de la musique avant-gardiste d’aujourd’hui, Ennio Morricone nous offre une partition suffocante et envoûtante où se mêlent sonorités cauchemardesques, voix entêtante, instrumentation inventive et dissonances multiples et massives. La musique évoque tout le trouble, le malaise, la folie et la perversité du film de Dario Argento avec une maestria rare, l’entêtante mélodie de 8 notes de la passacaille introductive étant parfaitement indissociable de l’univers de ce long-métrage sinistre et dérangeant. Si vous ne connaissez pas la facette plus macabre et expérimentale d’Ennio Morricone, vous devriez jeter une oreille attentive sur cette superbe partition très difficile d'accès à l’atmosphère cauchemardesque et macabre à souhait, sans aucun doute l’une des meilleures BO écrites par le grand Ennio Morricone pour un film de Dario Argento !

par Quentin Billard


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