par Quentin Billard
- Publié le 01-01-2008La musique de Morricone parle de sacrifice, du don de soi, d’amitié, de fraternité, l’idée de pouvoir exaucer un jour son rêve le plus cher, etc. Tour à tour mystérieuse, entraînante, envoûtante, lyrique, poétique, la musique de Morricone ne gâche en rien les images du film, contrairement à ce que certaines critiques prétendent. C’est justement le décalage qu'il peut parfois y avoir avec certaines images qui fait la richesse de cette partition. Même plus qu'un simple décalage, ce qui constitue l’esprit de cette BO est en fait l’idée d’explorer les sentiments bien au delà des images. Le ton est clair : le film reste en superficie à propos de certaines idées et on peut prendre conscience de ces dernières à la simple condition de faire attention à la musique de Morricone. Aller au-delà des images, c’est à rapprocher de l’idée du film: aller au delà de notre monde pour découvrir quelque chose de secret qui se cache là, sur une autre planète (à fortiori, Mars).
La partition d'Ennio Morricone est très inventive. Le compositeur italien utilise un orchestre avec quelques choeurs souvent mystérieux et parfois même envoûtants (on pense au End Credits de Casualties of War et ces choeurs semblant venir de l’au-delà) mais aussi quelques parties électroniques du synthétiseur possédant des sons vaguement kitsch (est-ce volontaire ? Si oui, on pourrait penser que cela exprime le fait que l’homme est très en retard d’un point de vue technologique par rapport à l’espèce extra-terrestre qu’ils découvrent sur Mars) mais qui apporte quelque chose d’assez surprenant au sein de la musique, une couleur pas forcément "futuriste", mais plutôt "technologique" (un aspect qui reste ceci dit assez superficiel dans la musique de Morricone, qui ne semble pas trop se préoccuper de ce genre de détail, préférant rentrer en profondeur dans certaines idées ou sentiments du film), comme c’est le cas dans l’étrange 'And Afterwards' et ses sonorités électroniques qui sonnent plutôt musique techno. Sa musique s’organise autour de quelques thèmes, dont un motif de 4 notes qui exprime le danger de la mission et de son côté inquiétant (les astronautes partent à la recherche de l’équipe avec laquelle la base a mystérieusement perdu le contact) mais aussi un superbe thème plutôt solennel qui exprime l'idée du Sacrifice et du courage dans 'Sacrifice of a Hero' pour la scène où Woody (Tim Robbins), dérivant dans l’espace, se suicide en enlevant son casque, afin que sa femme Terri (Connie Nielsen) puisse rejoindre l’équipe de sauvetage et éviter ainsi qu’elle perde tout son oxygène pour tenter de venir le récupérer. Woody fait cela pour elle et Morricone souligne cette magnifique preuve d’amour après un adieu déchirant avec une musique qui évite d’en faire de trop et reste touchante de bout en bout. 'Sacrifice of a Hero' évoque dans un premier temps le danger et la mort imminente pour Woody, puis la musique prend une tournure tragique (cordes mises en avant, mais aussi flûte soliste que l'on retrouve tout au long de la partition dans les moments les plus émouvants) lorsque tout le monde comprend que Woody est perdu. Mais c’est le suicide de Woody qui est mise en avant à la fin de la musique avec le thème solennel du sacrifice et du courage (la trompette soliste exprime le courage) avec un côté solennel qui rappelle vaguement le style du thème principal de The Untouchables. Triste et lent, ce thème ne se veut en rien larmoyant mais exprime la beauté d’une des grandes valeurs humaines.
L’autre thème exprime plutôt la quête d’une autre forme de vie, un thème aussi solennel avec une dimension philosophique voire métaphysique. On sait à quel point Morricone est attaché à la notion de spiritualité (quelque chose qu’il a beaucoup exploité dans The Mission) et Mission To Mars reste la preuve que ce compositeur conçoit très souvent sa musique sous l’angle de la réflexion ou mieux encore, celui de l’introspection comme le dit lui même le compositeur à propos de cette musique. Effectivement, avec Mission To Mars, on est loin des clichés du genre: tout reste dans un cadre méditatif, spirituel, réfléchi, ce qui n’empêche pas le compositeur de souligner quelques passages plus tendus dans la musique voire un peu action ('An Unexpected Surprise' par exemple, pour la scène où la première équipe d’astronautes se fait balayer par une mystérieuse tornade). La musique joue beaucoup aussi sur les contrastes. Par moment très mystérieuse puisque le film se passer dans un autre monde encore peu connu de l’homme, par moment plutôt solennelle (mais jamais vraiment trop héroïque), la musique de Morricone apporte une touche d’humanité considérable à un film enseveli sous les effets spéciaux. Cette humanité apparaît dans la scène du début, 'All The Friend' et sa flûte paisible avec des cordes douces, alors que l’équipage est encore sur Terre, entre amis (on pense par exemple à 'Brothers' de The Mission). Notons aussi 'Where' alors que Jim McConnell (formidable Gary Sinise) rejoint les extra-terrestres dans leur vaisseau avant de retourner "chez lui". Le morceau illumine ce final touchant (on pense beaucoup à la fin de Close Encounters of The Third Kind de Spielberg) avec un sentiment épique reprenant le thème solennel de la quête de la vie au delà de notre monde dans une sorte de communion entre les espèces humaines et extra-terrestres. Les choeurs font leur apparition au sein d’un orchestre très cuivré. Notons l'utilisation d'un excellent contrepoint de trompettes solennelles pour un final brillant et grandiose.
Notons au passage le surprenant 'Towards The Unknown' dans lequel Morricone utilise du synthétiseur et notamment un orgue sur un ostinato rythmique répétitif qui rappelle beaucoup ce qu’a fait le compositeur italien sur le The Thing de John Carpenter en 1982 (un score qui alternait pièces orchestrales avec pièces synthétiques très eighties au niveau des sonorités). 'Towards The Unknown' est assez surprenant et plutôt inhabituel sur la scène que le morceau accompagne. L'équipage doit faire face à de gros problèmes techniques dans le vaisseau et cherche le trou dans la coque, provoqué par des micrométéorites. Au lieu d’utiliser l'orchestre pour exprimer de manière conventionnelle le danger et la tension de la scène, Morricone préfère une approche plus statique, répétitive et lente, faisant progressivement gonfler le son comme dans The Thing. L'orgue est vraiment très surprenant sur cette scène et une fois encore, l’approche originale de Morricone risque d’en surprendre plus d’un. 'A Martian' évoque cette idée de rencontre pacifique avec une forme de vie extra-terrestre. Notons le début du morceau qui reprend le très touchant thème de la quête avec l’utilisation kitsch d’un son de hautbois du synthé plutôt surprenant, le tout suivi par l’orchestre et des choeurs en tapi sonore plutôt discret mais néanmoins présent pour accentuer la magie de cette scène.
On fini le film avec 'A Heart Beats in Space' pour le générique de fin du film, alors Jim McConnell s’en va vers un autre monde. Le morceau fait intervenir un son de battements de coeur sur un fond sonore mystérieux des choeurs semblant venir de loin, de très loin. Le motif entendu caractérise le personnage de Jim (déjà entendu dans 'A Wife Lost' notamment, morceau qui concernait aussi ce personnage et les souvenirs qu’il garde de sa femme décédée) avant que les cordes n’entament des traits ascendants (notons l'utilisation surprenante et furtive d’une guitare - Morricone semble décidément apprécier les expérimentations musicales!) au sein d’un climat tout en suspend et mystérieux avec un côté paisible semblant venir de l’au-delà (encore cette idée spirituelle et métaphysique dans la musique du compositeur italien) lorsque le thème de la quête est repris une dernière fois avec les choeurs et un hautbois solitaire. La section centrale du morceau utilise les sons "techno" du synthé au sein de l’orchestre (quelque chose d’assez inhabituelle chez Morricone) avant de revenir sur les traits ascendants du début du morceau rejoints par une trompette solitaire (on pense par exemple au final de City of Joy) pour finir de nouveau sur les battements de coeur, symbole de la vie dans un autre univers.
Très contrastée et subtile, la musique de Mission To Mars est loin des conventions du genre. Morricone a toujours manifesté son goût pour l’expérimentation et il nous le prouve à travers cette très belle oeuvre alternant passages dissonants et moments harmonieux avec un côté paisible, spirituel, solennel, touchant, émouvant. Sa musique dépasse largement les images. Elle apporte une touche vraiment humaine au film et ce décalage avec les images est parfaitement maîtrisé (c'est pourtant ce qui a provoqué pas mal de critiques envers cette musique, la plupart du temps par des gens qui n’ont rien compris au travail d’Ennio Morricone). On ne sait pas si l'on peut considérer Mission To Mars parmi ses chefs d’oeuvre, mais il est certain que cette BO reste du 100 % Morricone dans sa conception et que son impact dans le film est réellement surprenant - Mission To Mars est encore ce style de film qui ne serait rien sans sa musique. Une oeuvre émouvante, spirituelle, sensible et mystérieuse à la fois. Une nouvelle grande partition signée Ennio Morricone!
par Quentin Billard
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