par Quentin Billard
- Publié le 01-01-2008Aujourd'hui, 'Batman' (et surtout 'Batman Returns') fait partie des chefs d'oeuvre de la musique de film et ce quelque soit les défauts que l'on pourra lui trouver. Partition symphonique massive et sombre, 'Batman' illustre à merveille les exploits du super-héros de l'ombre avec un célèbre thème principal sous la forme d'une marche sombre considéré comme le plus grand thème écrit par le compositeur (composé à une époque où Elfman se souciait encore d'écrire de grands thèmes mémorables). La musique du générique de début du film ('Batman Theme') est vraiment resté gravé dans les mémoires des béophiles du monde entier, même si l'on a beaucoup reproché la ressemblance du thème avec une oeuvre de Bernard Herrmann (le compositeur de référence d'Elfman). En s'ouvrant sur le fameux motif de 5 notes sur des cuivres sombres, Elfman crée pour le sombre générique de début une ambiance de mystère nocturne (la majorité du film se passe la nuit dans l'obscurité) avant que l'orchestre prenne une envolée aboutissant sur le thème principal déjà préparé dans l'introduction du morceau. La sombre marche de Batman retentit alors sur un rythme soutenu avec cordes et cuivres illustrant à merveille ce personnage de l'obscurité (la bonne idée du compositeur est d'avoir évité un thème qui sonne trop héroïque comme dans 'Superman' pour se concentrer sur le côté sombre et la face caché du héros, et ce même si le thème possède un côté tout de même suffisamment entraînant pour nous faire comprendre qu'il s'agit du héros du film). Après cette célèbre ouverture, Elfman nous plonge tout de suite dans le coeur de l'histoire avec le sombre 'Roof Fight', premier morceau d'action du score. Le style fantaisiste du compositeur apparaît déjà brièvement dans les orchestrations assez spéciales du morceau, tandis que le compositeur fait allusion au thème de Batman pour sa mystérieuse première apparition dans le film pour la scène où il règle son compte à deux bandits, Elfman le faisant apparaître (comme le fait Burton dans sa mise en scène) comme un être mystérieux, sombre et intriguant. L'action culmine dans 'First Confrontation' pour l'affrontement de Napier et Batman dans l'usine d'Axis Chemical au début du film. En maintenant un ostinato de piano, Elfman plonge le spectateur dans un univers à la sombre et sinistre. (notons l'excellente fluidité des orchestrations privilégiant tous les pupitres d'instruments, que ce soit les vents, les cuivres, les cordes et même le piano ou les percussions - notons l'utilisation typiques des xylophones (comme dans 'Beetlejuice') et de quelques tambours) Elfman ménage le suspense de cette traque où Napier se retrouve prisonnier dans l'usine avec les flics à ses trousses. Batman apparaît soudainement et défait le bandit qui fait sa chute dans le bac à produits toxiques.
On entre dans une nouvelle phase du score dans 'Kitchen, Surgery, Face-Off'. Bruce Wayne et Vicki ont un dîner en tête à tête plutôt paisible tandis que Napier se trouve dans une sombre infirmerie où il s'est fait refaire le visage (changement total de climat: cordes et piano créent ici une ambiance glauque et sinistre pour évoquer la folie naissante du personnage) et c'est finalement l'hilarant 'Face-Off' qui conclut le morceau, une sorte de valse de type viennoise évoquant la folie hilarante du Joker qui tue dans la scène son ancien patron tout en dansant. Cette valse (reprise plus tard dans 'Waltz to The Death') d'esprit viennoise apporte ici la très intéressante touche d'humour noir du score, un humour noir qui illustre à merveille le côté délirant du Joker qui prend un malin plaisir à commettre ses crimes. On retrouve vaguement ce style d'humour noir dans 'Clown Attack', où le Joker tue le remplaçant de son ancien patron tout en s'entourant de ses potes clown qui se prennent pour des automates. On retrouve ici aussi l'humour noir du personnage avec un début très sautillant avec le piano en échange entre plusieurs instruments, l'orchestre augmentant progressivement en puissance jusqu'à ce que les sbires du Joker se mettent à tirer avec leur mitraillettes avant de s'enfuir lâchement.
Dans 'Batman To The Rescue', le héros vient sauver Vicky prise par le Joker dans la scène du musée. Rappel entraînant du thème principal et style action très soutenu, cet excellent morceau d'aventure permet au compositeur de développer le thème autour des cuivres frénétiques (typique du compositeur!) tandis que la poursuite dans la ruelle s'intensifie avec l'utilisation accentuée des percussions (tambours, xylophone, caisse, blocs de bois et timbales/cymbales), un autre grand passage d'action du score (notons la très brève utilisation d'un orgue pour exprimer une fois encore le côté gothique et mystérieux du personnage). Dans 'Photos/Beautiful Dreamer', on notera la nouvelle touche d'humour lié au personnage du Joker où Elfman utilise un son proche du théremin sous la forme d'une petite valse mystérieuse avant que le joli morceau 'Beautiful Dreamer' de Stephen Foster ne se fasse entendre dans un arrangement orchestral évoquant le côté une fois encore dérangé du personnage qui admire une photo de Vicky (j'aime beaucoup l'utilisation de 'Beautiful Dreamer' dans ce morceau, cela donne une fois encore un côté hilarant et décalé avec le personnage qui n'a absolument rien en commun avec le côté tendre et nostalgique du morceau). Le hit du score d'Elfman est atteint avec le superbe 'Descent into Mystery', probablement le morceau le plus apprécié de tout le score. Batman et Vicky sont dans la batmobile et foncent vers le repaire secret du héros avec un style très mystérieux et de plus en plus agité (notons l'ostinato de cordes/piano qu'installe le compositeur pour la rythmique du morceau). Ici, c'est l'utilisation d'un choeur de femmes qui accentue le côté épique du morceau avec de nouveau une allusion au thème de Batman mais ici avec un côté plus héroïque et puissant au fur et à mesure que la batmobile se rapproche du repaire secret.
Nouvelle touche d'humour noir dans 'The Joker's Poem' où un violon soliste soutenu par un glokenspiel illustre une fois encore le côté fou et décalé du personnage alors qu'il vient rendre une petite visite à Vicky en lui offrant son cadeau. Mais le film prend un tournant dans 'Childhood Remembered' avec un ostinato de cordes installé au début du film et un choeur de femmes lointain évoquant les souvenirs de la jeunesse de Bruce au moment où ses parents se sont fait tuer. On a ici un côté à la fois sombre et résigné renvoyant à ces mauvais souvenirs que Bruce n'arrive pas à oublier, le tout enveloppé dans un côté sinistre évoquant le meurtre de ses parents et le côté menaçant du jeune Napier, celui qui est le véritable responsable de tout cela. La vérité nous est alors dévoilé et Batman ne peut plus reculer dorénavant. La vengeance de Batman ne fait alors que commencer. Un bref 'Love Theme' basé sur un arrangement orchestral de 'Scandalous' de Prince évoque la relation amoureuse entre Vicky et Bruce, même si Elfman a assez peu mis l'accent sur le côté intime de leur relation dans sa partition. C'est dans 'Charge of The Batmobile' que commence la vengeance de Batman. Dans la scène, le héros envoie sa Batmobile détruire l'usine d'Axis Chemical dans lequel il pense que le Joker se cache. Toujours soutenu par des percussions et une reprise héroïque du style de 'Descent Into Mystery' (qui apparaît après une envolée orchestrale soutenue par les choeurs), ce bref morceau de bravoure est suivi de 'Attack of The Batwing', où Batman s'attaque alors au Joker et à ses sbires qui font un défilé dans la rue en balançant un gaz toxique dans l'air avec ses baudruches. L'action s'intensifie dans ce morceau au rythme frénétique toujours soutenu par des orchestrations intéressantes (notons la manière frénétique dont Elfman conduit le pupitre des cuivres, surtout au niveau des trompettes qui sont habitués à galoper dans la plupart de ses grandes partitions d'action/aventure) et une certaine puissance orchestrale réellement prenante (probablement l'un des meilleurs morceau d'action du score) dans la scène du film. Le thème de Batman revient sans cesse ici comme une sorte de leitmotiv entraînant illustrant ici la détermination acharné du héros qui va tout faire pour vaincre son ennemi juré.
La confrontation finale commence dans 'Up The Cathedral' s'ouvrant sur ses trompettes étranges répondant en écho aux autres cuivres. Elfman évoque la cathédrale avec un orgue d'ambiance gothique et un style qui ne va cesser de monter en intensité jusqu'à l'affrontement final et inévitable. Elfman rappelle une fois encore son thème mais uniquement par fragment ici. L'astuce du compositeur est de rendre son morceau de plus en plus intense au fur et à mesure que le Joker/Vicky et Batman montent jusqu'au sommet de la cathédrale. C'est finalement le superbe 'Waltz To The Death' qui sert d'ouverture malicieuse à la séquence de l'affrontement final au sommet de la cathédrale. Elfman reprend ici la valse viennoise (inspiré probablement d'une valse de Johann Strauss) de 'Face-Off' en l'intensifiant et en développant le morceau pour la scène où le Joker danse de manière frénétique avec Vicky pendant que Batman affronte les sbires du Joker. On a une fois encore une grande touche d'humour noir d'autant que la valse ne va cesser de monter en intensité de prendre une tournure de plus en plus frénétique et enjouée (le Joker se trouve à la limite de sa folie). 'The Final Confrontation' aborde finalement la deuxième et dernière partie de cette confrontation finale. La musique sonne plus dure et plus action. Batman est déterminé à régler son compte au Joker dans un combat dont l'issue est inévitable. Percussions (sans oublier les xylophones), cuivres galopants et cordes tendues, ce morceau permet à la partition d'atteindre son apogée dans un final sombre et agité. Avec un rythme de percussions martelés, le Joker fait sa chute mortelle et s'écrase tout en bas. Notons l'ultime touche d'humour noir avec une reprise très brève sur une sorte de boîte à musique de l'air de 'Beautiful Dreamer' pour le dernier plan sur le cadavre du Joker qui, même mort, a gardé son rictus ignoble. 'Finale' conclut le film de manière triomphante après une reprise du Love Theme (inspiré de la chanson 'Scandalous' de Prince) et une montée orchestrale atteignant son paroxysme alors que l'on voit un plan du célèbre logo de Batman flotter dans le ciel. C'est un ultime rappel du thème de Batman qui conclut le film, Elfman reprenant une dernière fois la marche du thème principal au début du générique de fin.
Partition massive et prenante, le score de 'Batman' est resté à ce jour l'un des plus grand chef d'oeuvre du compositeur attitré de Tim Burton, un compositeur qui s'est montré une fois encore très inspiré par le sujet du film de son camarade. Malgré les bruits qui entourent ce score (soit disant que l'orchestratrice du score Shirley Walker aurait tout composé, ce qui n'a jamais été prouvé une seule fois ou qui semble avoir été mal interprété par certain, sans oublier le rapprochement que l'on fait souvent du thème de Batman à celui de 'Journey To The Center of The Earth' de Bernard Herrmann -Elfman n'a jamais caché son admiration pour la musique de son compositeur fétiche-, sans oublier la fameuses anecdote à propos de Jean-Claude Petit dans son score pour 'Cyrano de Bergerac' qui a plagié quelques mesures du score d'Elfman entraînant un procès entre les deux musiciens), nul ne peut nier que le compositeur a accouché ici d'une grande partition de qualité avec son style fantaisiste habituel (qui sera en revanche nettement mis en avant dans 'Batman Returns') et un côté résolument très sombre. Le thème de Batman fait désormais partie des grands thèmes de la musique de film. Le score d'Elfman est l'illustration parfaite du film de Tim Burton qui doit beaucoup à ce que le compositeur a écrit pour 'Batman'. C'est ce style de score qui a provoqué l'adhésion de nombreux fans à la musique énergique et survitaminée du compositeur particulièrement inspiré en cette fin des années 80. Virtuose de l'écriture orchestrale (toujours sous la supervision de son fidèle collaborateur d'Oingo Boingo, Steve Bartek), Elfman a crée la partition parfaite pour les aventures de l'homme chauve-souris!
par Quentin Billard
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