par Quentin Billard
- Publié le 01-01-2008Rares sont les musiques de film à avoir autant divisées les foules quand à la qualité intrinsèque du travail du compositeur sur le film. Pourtant, nul ne peut nier que John Williams a écrit une nouvelle grande partition symphonique de qualité pour ce premier épisode de la nouvelle trilogie, une partition qui, sans être aussi mémorable que les oeuvres précédentes, rappelle que le compositeur a muri et que son style s'est affiné à merveille au fil des années. Analysons maintenant d'un peu plus près la musique de John Williams pour ce nouveau « Star Wars ». Toujours interprétée par le prestigieux London Symphony Orchestra, la musique de « The Phantom Menace » est écrite pour une formation orchestrale plutôt conséquente, incluant entre autre un pupitre de cuivres massif incluant 5 trompettes, 8 cors, 4 trombones et un tuba, les cordes, les bois, les percussions et les choeurs du London Voices. Rappelons d'ailleurs que c'est la première fois que John Williams écrit de très larges parties chorales dans une partition d'un « Star Wars », le précédent score utilisant des choeurs de façon plus discrète étant « Return of the Jedi » (pour les morceaux illustrant l'empereur Palpatine). Les fans seront ainsi ravis de retrouver le très célèbre thème principal repris comme le veut la tradition en ouverture du « Star Wars Main Title », qui nous ramène enfin aux grandes ouvertures des films de l'ancienne trilogie. Cette célèbre fanfare héroïque (dont les premières notes ont été inspirées du thème de la musique du film « Kings Row » d'Erich Wolfgang Korngold) résonne dans l'esprit du grand public comme une sorte d'hymne à l'aventure, aux exploits héroïques et aux batailles spatiales, une mélodie ultra populaire et bien connue de tous, totalement indissociable de l'univers de « Star Wars ».
Evidemment, comme on aurait pu s'y attendre, la nouvelle partition de « The Phantom Menace » n'atteint pas les sommets des trois musiques précédentes de l'ancienne trilogie « Star Wars », considérés aujourd'hui comme des classiques incontournables de la musique de film. Les thèmes sont ici bien moins évidents à retenir et moins inspirés, même si le rapport image/musique reste tout bonnement impeccable de bout en bout. John Williams reprend ainsi la technique des leitmotive présente dans les partitions des « Star Wars » depuis 1977. Anakin Skywalker - futur Dark Vador - possède ainsi son propre thème, un « Anakin's Theme » plus léger aux notes ascendantes, qui ne reviendra pas par la suite dans les épisodes II et III - à noter d'ailleurs que le « Anakin's Theme » ressemble étrangement au thème que John Williams écrivit pour le film « Frenzy » d'Alfred Hitchcock en 1972. Anakin est encore un jeune enfant plein de fougue dans le film. John Williams lui a ainsi attribué un thème plutôt doux, innocent et optimiste confié aux cordes et aux vents, écrit avec un certain classicisme d'esprit typique du maestro américain, mais dont l'innocence sera très vite tempérée par d'habiles allusions très discrètes au futur thème de l'empire, comme pour annoncer un futur bien sombre pour le jeune Anakin (il deviendra le futur Dark Vador, grand chef Sith de l'Empire). Même le personnage ultra agaçant de Jar Jar Binks a droit à son propre motif, un motif assez grotesque et léger, entendu dès le début de « Jar Jar introduction », thème rappelant d'ailleurs le motif des méchants dans « Superman » (1978). A noter aussi que le motif sautillant de Jar Jar Binks rappelle parfois la musique des Ewoks de « Return of the Jedi », dans un style proche des partitions plus légères de Prokofiev.
Mais le nouveau thème majeur de « The Phantom Menace » reste sans aucun doute l'incontournable et magistral « Duel of The Fates », thème de Dark Maul, l'apprenti de l'empereur qui défie les rebelles dans une superbe séquence de combat au sabre laser à la fin du film (« Duel of The Fates » est devenu très populaire dans l'oeuvre de John Williams !). Ce thème est écrit pour l'orchestre et un choeur épique, sur des textes en sanskrit - langue choisie par le compositeur pour ses sonorités éminemment mystiques, idéales pour le climax du combat final. Les cordes installent dès le début de la scène un motif mélodique de 9 notes qui créent un rythme frénétique en continu tout au long du combat. Le motif des cordes sert en fait de base au morceau, par dessus lesquelles vont venir se greffer progressivement les cuivres dans un crescendo de tension progressif, puis les chœurs en sanskrit. « Duel of The Fates » évoque, comme son nom du morceau l'indique, la confrontation des destins, l'un des duellistes devant inévitablement mourir à l'issue du combat. La chorale offre pour la première fois dans l'univers musical de « Star Wars » une dimension épique, mystique et quasi religieuse à cette scène de bataille anthologique. Le thème de Dark Maul prend alors une tournure réellement épique, et devient associé pour l'occasion au thème des combattants, Qui-Gon et Obi Wan face au seigneur Sith, un morceau puissant et monumental qui apporte une puissance incroyable aux images, à la manière d'une chorégraphie proche d'un ballet classique ou d'un opéra, tout simplement inoubliable - et un grand moment de musique de film ! Les parties orchestrales et chorales semblent s'affronter à travers la musique de Williams, comme pour suggérer l'idée d'un puissant duel musical en parallèle du duel opposant Dark Maul à Obi Wan Kenobi et Qui-Gon Jinn : une nouvelle pièce maîtresse dans l'univers de « Star Wars » !
Le reste de la partition développe ainsi les nouveaux thèmes composés par John Williams pour ce premier épisode, ainsi que les thèmes plus connus issus de la trilogie précédente. Le thème d'Anakin revient ainsi à plusieurs reprises, ainsi que celui de Jar Jar et le thème martial et cuivré de l'invasion des droïdes dans le début du superbe « The Droid Invasion », thème de bataille rappelant d'ailleurs le début du « Belly of the Steel Beast » de « Indiana Jones and The Last Crusade ». A noter d'ailleurs que la plupart des grands morceaux d'action de « The Phantom Menace » rappelle tout à fait le style action massif des « Indiana Jones ». John Williams reste donc fidèle à lui-même, et même s'il n'apporte rien de bien neuf à ces déchaînements orchestraux virtuoses, fait preuve d'une énergie incroyable lorsqu'il s'agit d'illustrer l'action ou les batailles démesurées du film. On ne pourra évidemment pas passer à côté de la qualité toujours assez exceptionnelle des orchestrations fourmillant d'une multitude de détails instrumentaux toujours aussi passionnants à analyser d'un morceau à une autre, preuve de l'immense savoir-faire classique de l'un des grands maîtres de la musique de film américaine actuelle (toujours inspiré des grands maîtres de la musique classique, qu'il s'agisse de Prokofiev ou Bartok en passant par Strauss, Holst et Wagner).
On pourrait ainsi évoquer les trompettes puissantes de « The Droid Battle » ou celles de « The Droid Invasion », sans oublier le virtuose et triomphant « Anakin Defeats Sebulba » pour la scène de la victoire d'Anakin à la course des modules. La musique de Williams reste toujours très efficace à l'écran, apportant un impact considérable à chaque scène du film, dans la plus pure tradition des Space Opera d'antan. John Williams relève ainsi avec brio un défi très risqué, celui de renouveler son propre univers musical qu'il créa 22 ans auparavant en assurant une continuité en sens inverse, dans le sens où cette nouvelle partition est censée accompagner des films dont l'histoire est antérieure à celles de l'ancienne trilogie. Le maestro américain a donc dû réfléchir en amont à la façon dont il allait assurer la transition entre les musiques de la nouvelle trilogie (chronologiquement, l'histoire du passé) et celles de l'ancienne trilogie (l'histoire du futur). Pour cela, le compositeur a donc choisi de poser de nouvelles bases thématiques (« Anakin's Theme », « Jar Jar's Introduction », « The Droid Invasion », « Duel of The Fates ») en rappelant plus discrètement certains thèmes des précédentes œuvres de la saga : le thème principal bien sûr, mais aussi le thème de la force, que l'on entend surtout dans le film pour les scènes où le jeune Anakin débute son éducation de chevalier Jedi. Les auditeurs plus attentifs pourront même reconnaître à certains endroits quelques vagues allusions au thème de l'empire et aussi au thème de Yoda et à celui de Jabba le Hutt lors du préambule de la course des modules. A noter pour finir l'utilisation plus étonnante de certaines sonorités comme les choeurs grandioses lors de l'arrivée dans la cité sous-marine de « The Swim to Otoh Gunga », rappelant que si John Williams a non seulement réussi à créer de nouvelles ambiances d'action épiques et virtuoses, il a aussi su créer des atmosphères musicales plus mystérieuses et grandioses évoquant ces nouveaux univers que George Lucas nous introduit dès « The Phantom Menace ».
On notera pour finir deux derniers morceaux marquants dans la nouvelle partition de John Williams, le superbe « Qui-Gon's Funeral » pour les funérailles de Qui-Gon à la fin du film, le maître d'Obi Wan Kenobi tué lors du duel avec Dark Maul. Les choeurs interprètent ici une sorte de requiem élégiaque et funèbre en hommage au personnage de Liam Neeson (un morceau puissant et tragique que certains comparent parfois trop vite au « O Fortuna » du « Carmina Burana » de Carl Orff). Puis, la grande conclusion du film se fait entendre au son du jouissif « Augie's Great Municipal Band », un morceau festif qui se trouve être calqué sur le final de la fête des Ewoks dans « Return of the Jedi ». Effectivement, Williams reprend ici les formules musicales du morceau de « Return of the Jedi » (qu'il avait d'ailleurs dû retravailler spécialement pour la nouvelle réédition du film sortie en 1997), à savoir une chorale d'enfant chantant des « Yaaah-Ooooh » triomphants sur un accompagnement de fanfare/samba purement festif, morceau inattendu et aussi très critiqué par certains fans, enchaînant directement sur le « End Credits » qui reprend le thème de « Star Wars » (finalement peu utilisé dans le film) avec celui de « Duel of The Fates » et d'Anakin Skywalker. On pourra d'ailleurs regretter que le thème de Star Wars soit aussi peu utilisé durant tout le film, pour ne pas dire pratiquement pas utilisé, un choix qui s'explique peut être par le simple fait que « The Phantom Menace » évoque la naissance du mythe et d'une aventure balbutiante qui prendra véritablement son essor dans les épisodes suivants.
En définitive, « The Phantom Menace » est une nouvelle oeuvre de choix et une partition symphonique monumentale signée John Williams, qui ajoute ainsi une pierre à un édifice cinématographique spectaculaire et populaire. Néanmoins, la partition de ce « Star Wars Episode I » a été très critiquée pour la qualité plus quelconque de ses nouveaux leitmotive (hormis le thème inoubliable de « Duel of The Fates »). Ceux qui s'attendent alors à retrouver de nouveaux thèmes facilement mémorisables à la première écoute risquent fort d'être déçus, car le maestro américain joue davantage ici sur une certaine forme d'introspection (« Anakin's Theme ») et une approche plus nuancée de sa thématique, reflétant aussi un regard plus mature sur une oeuvre musicale appartenant déjà au passé du compositeur. Comme chacun pourrait s'en douter, John Williams a vieilli depuis « Return of the Jedi », et sa musique avec. Mais que l'on se rassure immédiatement : malgré tout ce que l'on a pu lire à droite à gauche à la sortie du film en 1999, la partition de « The Phantom Menace » s'avère bel et bien être la nouvelle grande oeuvre maîtresse que l'on était en droit d'attendre de John Williams sur ce nouveau film. Moins inspirée et nettement moins aboutie qu'un « The Empire Strikes Back », « The Phantom Menace » apporte néanmoins un souffle épique monumental au film de George Lucas, annonçant un nouvel univers musical particulièrement riche et mouvementé. A chacun maintenant de faire l'effort d'analyser et d'apprécier toutes les subtilités d'un score bien plus riche qu'il n'y paraît, même si l'on sent clairement ici qu'il manque encore deux partitions pour pouvoir permettre à la musique de John Williams d'atteindre une certaine cohérence globale dans la nouvelle trilogie « Star Wars » !
par Quentin Billard
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