par David Reyes
- Publié le 01-01-2008D'emblée, nous pouvons affirmer que le défi de créer une grande bande sonore de film évoquant un monde merveilleux est relevé. Eric Serra nous offre une musique entièrement symphonique, où la contribution de Geoffrey Alexander, qui l'accompagne depuis Jeanne d'Arc, est indéniable. Les orchestrations raffinées et efficaces de ce dernier ne dénaturent pas l'esprit de la musique du compositeur, mais y ajoutent une richesse considérable et une quantité impressionnante de détails et de reliefs.
Le thème principal (qu'on entend se déployer dans l'Ouverture) est magnifique, tout comme celui d'"Arthur le Héros" ; ils sont vastes et émouvants sans être pompeux, très typiques et représentatifs de la sensibilité profonde du musicien.
Nous retrouvons également avec plaisir des éléments rappelant leurs précédentes collaborations : "Evil Straws", par exemple, avec son rythme martelé et ses chœurs sombres, évoque les batailles de Jeanne d'Arc, tandis que "Bogo Matassalai", avec son thème basse, ses chœurs sombres et ses effets synthétiques sporadiques, rappelle "Timecrash" ou "Lakta Ligunai" du Cinquième Élément. C'est un peu comme une chasse au trésor et un réel plaisir de constater ces connexions tout au long de l'album.
Parce que c'est précisément un peu le regret ici : ce sont ces connexions qui font qu'on est chez Serra, ce n'est pas la totalité. En effet, les influences des grandes bandes originales américaines (demandées par Besson, qui de son côté, a chargé son film de clins d'œil mal placés) sont très présentes, voire trop, car cela se fait au détriment du style propre à Serra qui était très personnel et éclatant dans des musiques comme Léon. L'influence d'Elfman semble très présente (nous trouvons la même façon d'utiliser les chœurs et le même type d'orchestration avec cloches, bassons et autres, particulièrement dans les passages sombres), mais pour les scènes de comédie on se dirige plus vers une orchestration typique des films de famille américains… ("Nice Town" et "Arthur and the Aqueduc" semblent sortir tout droit d'un Williams version "Home Alone", avec même une pluie de clochettes qui pourrait faire croire que le film se déroule à Noël). Quant aux séquences d'action, elles sont très impressionnantes, mais des passages comme "Central Gate" ou "The Blueberry Catapult" pourraient presque faire penser à du James Bond moderne.
Si l'ensemble de la partition est de très bonne facture et témoigne du bon goût du musicien, nous pouvons tout de même émettre quelques réserves concernant des passages tels que "The Phonecall" ou "Ballad for Granny", qui souffrent d'un sentimentalisme un peu mièvre, le même qui entravait "Décalage horaire". La tendresse dégagée par un "In bed with Selenia" (allusion amusante à Madonna) est, par exemple, bien plus subtile. C'est comme si les séquences dans le monde réel n'avaient pas autant stimulé l'imaginaire du compositeur que le monde des Minimoys – et au vu du film, c'est compréhensible, les scènes en direct étant parfois mièvres ou surjouées à l'extrême.
Serra a expliqué ses intentions musicales comme suit : "Luc voulait une belle musique symphonique, à l'image des grands films d'aventure : Le seigneur des anneaux, Indiana Jones, Star Wars…Il fallait que ce soit à la fois beau, grandiose et magique ! Ainsi, il a réussi à me déstabiliser complètement en me forçant à ne pas écrire à l'image, alors que je travaille toujours en totale synchronisation". Du coup, ne pouvant pas travailler sur l'image et extraire de la musique comme d'habitude, mais étant complètement livré à lui-même, il s'est peut-être raccroché aux références évoquées par son ami et a reproduit leurs schémas. De cette façon, le compositeur n'a peut-être pas pu créer l'univers des Minimoys à sa manière, mais a plutôt dû intégrer les références demandées par Luc Besson dans un mélange cohérent, ce qui a rendu les clichés inévitables.
Néanmoins, le résultat final, d'une très grande qualité, est incontestablement l'une des meilleures musiques de l'année – et sans aucun doute la meilleure de Serra depuis Jeanne d'Arc.
par David Reyes
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