par David Reyes
- Publié le 01-01-2008A gauche, on retrouve un Besson en pleine forme, en pleine possession de son art cinématographique (dans Léon, il ne cherche plus à expérimenter des nouvelles manières de filmer, comme ce fut par exemple le cas dans Nikita, mais il pousse ses connaissances au maximum), épaulé par un scénario fort et captivant (Besson a expliqué que en plus d'avoir conçu le rôle pour Jean Reno, il avait écrit Léon en un mois, la rage au ventre, parce que la Gaumont avait refusé de se lancer dans le Cinquième Élément à l'époque. Le scénario de Léon n'a d'ailleurs connu que deux versions). En outre, Besson fait preuve d'une perfection dans la direction d'acteurs qui laisse pantois.
Et à droite, Eric Serra réussit ce qui est peut-être son plus bel album. Il se sert de ses connaissances symphoniques acquises sur Atlantis pour les mélanger à ses instruments de prédilection, les synthétiseurs (dans Atlantis il alternait les deux plus qu'il ne les mélangeait). Et il est arrivé à un parfait équilibre entre ces deux pôles (équilibre qui sera légèrement rompu dans Le Cinquième Élément et Jeanne d'Arc dans lesquels, malgré leurs qualités exceptionnelles, les musiques se révèleront par moments trop massives).
Serra, dans Léon, est touché par la grâce et écrit pour ce polar sur fond d'histoire d'amour (à moins que ce ne soit l'inverse) quelques-unes de ses plus belles pages.
Et pour la première fois de sa carrière, Serra réutilise à plusieurs reprises ses thèmes, les associant ainsi à des personnages et des situations, mais surtout, à leurs évolutions. On trouve ainsi :
- un thème associé à Léon (plus précisément à sa face "noire")
- un thème associé aux séquences dramatiques qui touchent Léon ou Mathilda (le massacre de sa famille ; la bagarre finale),
- un thème associé au Léon heureux (après sa rencontre avec Mathilda, le thème sera en do majeur, et non plus en mineur. Léon dit lui-même : « tu m'as appris à aimer la vie » et la musique retrace ce sentiment),
- et un thème qui illustre la relation qui se crée entre Léon et Mathilda (rencontre, déclaration d'amour, séparation).
En outre, Eric Serra élargit sa palette sonore d'emprunts à des musiques étrangères, créant par là des associations des plus judicieuses. Et le mixage lui-même a atteint la perfection.
La BO s'ouvre avec "Noon", le morceau qui illustre le massacre de la famille de Mathilda, élément déclencheur de l'histoire. D'une noirceur insondable (comme la majorité de l'album d'ailleurs), la pièce s'ouvre sur un solo de violon qui évoque de loin le thème du drame. Puis, développement sombre des percussions, et enfin, apothéose dramatique pleinement exposée par des violons d'une intensité rare. Et, parfait exemple de l'osmose entre l'image et la musique, Stansfield semblera danser sur cette mélodie alors qu'il accomplit sa besogne. Du très grand art.
"Cute name" expose le thème de la relation entre Léon et Mathilda (elle se réfugie chez lui à la suite du massacre), mais en plus, la musique décrit toute la tristesse de l'enfant suite à la mort de son petit frère. On est véritablement touché par cette mélodie pure et simple, mais à la charge émotionnelle extrêmement forte. « Les sanglots longs des violons... »
"Ballad for Mathilda" introduit le personnage de manière subtile et attendrissante. Un tapis de cordes très doux, une guitare sensible et surtout, le thème, tristement poétique, à l'apparence enfantine mais pourtant déjà mature (à l'image de l'héroïne), et dont la sonorité évoque ces xylophones pour enfants aux touches colorées que nous avons tous connus. Superbe. C'est même dommage que l'on ait l'occasion de l'entendre qu'une seule fois...
Le morceau de bravoure du score est, à mon sens, "Feel the Breath", qui nous tient en haleine pendant 3 minutes 20 et sert de support à la séquence la plus réussie du film. Le temps y semble comme suspendu (et la pédale de mi ininterrompue amplifie cet effet), et notre propre respiration finit par se mettre en osmose avec la musique. Extraordinaire.
On pourrait passer des heures à analyser toutes les plages une par une. Mais je pense que "A bird un New York" est sans conteste l'une des plages les plus intéressantes, car elle contient tout le score du film en 1 minute 19. En effet, après les trois notes de synthé qui ouvrent le film (et qui ne sont pas sur le CD), et qui rappellent immédiatement au spectateur Nikita - on est donc dans un film policier - le travelling sur l'eau est accompagné par un violon gazouillant qui évoque un oiseau. Puis, New York apparaît, et la musique se fait plus orientale (Serra, en voyant les images, a pensé aux pyramides d'Egypte) et plus sombre. On entend les instruments qui seront un peu les leitmotivs du score : flûte chinoise, hautbois, violon, accompagnés par des cordes et du synthé. Toute la matière est exposée, il restera à la développer...
Et si, avec "Can I Have a Word with You", Serra semble écrire un clin d'oeil à ses précédentes compositions, "The Game is Over" est lui annonciateur de la chanson de fin de Goldeneye ("The Experience of Love")...
Même si l'orchestre peut sembler sous-employé, en raison de la très forte dominance des cordes sur les autres instruments (les cuivres, par exemple, sont à peu près inexistants), on ne peut cependant pas le déplorer, car les images ne sont de la sorte pas noyées sous des déferlantes de trompettes qui amplifieraient chaque coup de feu. Au contraire, Serra ne cède pas à l'esbroufe mais préfère s'attacher à décrire les vrais sentiments (l'espoir ou le désespoir) avec une sensibilité et une humanité remarquables.
Léon représente donc l'aboutissement de la collaboration Serra / Besson. L'osmose entre la musique et les images est totale (c'est même la première fois qu'elles se fondent l'une dans l'autre à ce point). Arrivés à ce stade, nos deux Golden Boys n'auront plus "qu'à" entretenir leur niveau...
par David Reyes
Interview B.O : Pierre Desprats (Les Reines du drame, de Alexis Langlois)
Interview B.O : Audrey Ismaël (Diamant brut, de Agathe Riedinger)