Dans le premier morceau de l'album édité par Varèse Sarabande, on ressent une sorte de musicalité « insectoïde », c'est étrange ! Le piano semble figurer une sorte de lien entre la représentation symbolique de la plaie (malédiction) et les sentiments du personnage principal.
Cinezik.org : Quels sont les instruments spécifiques que vous avez utilisés pour figurer les plaies ou certains de vos tissus atmosphériques ?
John Frizzell : Pour THE REAPING, j'ai écrit un score pour un orchestre composé de 80 instruments et un chœur de 60 voix. Le chœur chante en « Gaëlic », c'est ce qui donne ce côté mystérieux. J'ai également composé des morceaux d'ambiance, plus électroniques, que Frederik Wiedermann a produit pour l'album.
En quelques mots, que chantent les choeurs "Gaélics" ? Est-ce que c'est extrait de morceaux originaux déjà existants ou bien les avez-vous écrits pour les besoins du film ?
Nous avons, en quelque sorte, utilisé un ancien dialecte « Gaëlic ». Par conséquent, nous avons eu un grand nombre de vocabulaires, et pas seulement des « Ahhhh… !! » les mots avaient une grande signification. Ils devaient sortir du contexte du scénario mais être influencés uniquement par l'intrigue générale. Cependant, nous sommes restés éloignés de « The Monks of Doom » (NDLR : groupe de rock alternatif utilisant des chants funéraires type Grégoriens). Le chœur était équilibré entre hommes et femmes, ce qui nous a permis de ne pas nous enfermer dans le registre du chant calme et plaintif, abusivement utilisé aujourd'hui. Nous avons essayé d'apporter une sonorité différente avec ce chœur.
Avez-vous réutilisé des temps tracks, issues d'autres de vos oeuvres, qui n'ont jamais vu le jour ? Ou bien vous efforcez-vous de faire toujours quelque chose de nouveau ?
J'aime beaucoup écrire quelque chose de vraiment différent par rapport à ce que j'ai composé précédemment. C'est peut-être la raison pour laquelle je me suis retrouvé sur un aussi large éventail de films. J'ai été très chanceux pour ça. Mon type de projet préféré est le genre de score complexe, dans lequel je dois faire cohabiter de façon originale, des instruments et des tessitures sonores. J'apprécie réellement le fait de pousser les limites de la technologie, afin de trouver de nouvelles approches ou directions musicales.
Vous aimez illustrer les films fantastique et d'horreur, est-ce parce qu'ils vous donnent l'opportunité et la liberté de développer et de tester de nouvelles sonorités, comparés à d'autres genres cinématographiques ?
La “peur” est stimulante pour garder l'attention, mais c'est également épuisant quand il s'agit de la retranscrire dans la composition musicale. J'adore vraiment l'inventivité qui se dégage des scores composés pour les films d'horreur. C'est pour moi une chance de pouvoir explorer musicalement des idées étranges et décalées.
Je suis réalisateur d'un dessin animé pour les petits, je vous propose d'en composer la musique... vous dites oui sans hésiter, ou vous êtes overbooké ?
Je vous demanderai de voir ça avec mon agent.
THE REAPING est un mélange entre "plaies d'Egypte" et "malédiction"… une sorte de rencontre entre THE MUMMY et THE OMEN, tous deux de Jerry Goldsmith… Est-ce que la comparaison est heureuse ou bien avez-vous horreur de ceux qui vous disent « ça ressemble à… », « ça me rappelle… » ?
Chaque score est unique, mais j'apprécie grandement la comparaison, étant donné que Jerry Goldsmith est l'un de mes compositeurs préférés !
PRIMEVAL (la sortie du film est prévue pour le 15 août en France) est un score à l'image du film et de son acteur principal (un énorme crocodile), à savoir perfide et traître : l'orchestre joue comme un animal endormi, en léthargie, se préparant à l'attaque et soudain les tambours Burundiens mélangés aux effets sonores que vous avez enregistrés en Afrique nous explosent à la figure comme une violente attaque éclair… Vous jouez avec la musique en fonction des réactions du crocodile, tantôt calme ou immobile et en quelques secondes, la tornade meurtrière s'abat sur nous dans un tonnerre acoustique.
Pouvez-vous nous expliquer le choix des instruments pour figurer l'animal et ses réactions ? Et également nous parler de votre première rencontre avec des musiciens tribaux Africains ?
J'ai écouté environ une vingtaine d'heures d'enregistrements de musiques traditionnelles Africaines et j'en ai extrait une "playlist" de trente minutes environ, représentant les instruments et les performances techniques que je jugeais les plus appropriées pour coller au film.
J'ai également trouvé d'extraordinaires séquences de film des années 30 et 40, au Smithsonian, desquels j'ai tenté d'identifier des instruments que l'on n'a pas l'habitude de voir ni d'entendre, afin d'en comprendre leur fonctionnement. J'ai été frappé par la sonorité inquiétante d'un instrument traditionnel du Burundi appelé « Inanga Chochotee ». C'était une histoire sur la technique employée par un musicien et de sa façon de jouer de petits pincements sur sa harpe tout en chuchotant sur un ton menaçant. Toutes ces recherches m'ont conduit à la conclusion que je devais aller enregistrer ce genre de morceau directement en Afrique.
Ça a été un vrai parcours du combattant pour rencontrer les joueurs de tambour Burundiens de Cape Town. Ces gars ont fuit les atrocités qui ont envahit le Burundi venant du Rwanda et ont voyagé à pied, jusqu'à Cape Town. Ce qui fait pas loin de 1600 km. Le voyage a duré plusieurs années et tous les membres du groupe n'ont pas survécu à l'exode. Ils ont été recueillis par l'Eglise Catholique de Cape Town qui leur ont offert une vie meilleure. Ils étaient si excités à l'idée de jouer leur musique pour ce film, d'ailleurs on voit certains d'entre eux sur certaines séquences du film aussi.
La musique Africaine a sa propre histoire, d'abord dans le but de communiquer par le biais de tamtams ou pour raconteur des histoires, d'autres fois pour figurer des croyances mystiques, ce qui est assez éloigné de notre conception occidentale, de la musique. Comment avez-vous utilisés ces sources musicales cabalistiques pour les intégrer dans un traditionnel film Américain de série-B ?
La plupart de la musique traditionnelle Africaine diffère de la musique Européenne, en ce sens que bien souvent le musicien et le public ne sont pas clairement « définis » (la musique n'est pas toute tracée). J'ai écouté pas mal de musique traditionnelle Africaine que je pourrais décrire comme "intuitive", c'est pour eux comme respirer. S'emparer de cette essence musicale afin de la mélanger avec l'acte de filmer a été un vrai challenge, mais je pense que notre but a été atteint et a permis de transporter le public dans un environnement unique.
Vous avez également utilisé des bibliothèques de sons électroniques qui semblent avoir étés distordus. Comment avez-vous utilisé l'ordinateur pour produire ce genre d'effets ?
Combiner les instruments Africains dans un score a été un énorme défi à relever. Je me suis arrêté à un nombre de 800 prestations et expressions musicales qui ont été méticuleusement assemblés, mis en boucle et montés par mon associé Frederik Wiedmann, avec le logiciel « Native Instruments Intakt ». Ce qui m'a ensuite permis d'ajuster le tempo et les clés de chaque séquence comme si je composais directement avec le visionnage du film. Les instruments électroniques ajoutés à l'orchestre, composé de 70 pièces, s'est achevé par ce score de 80 minutes, qui je dois l'avouer, a été la partition la plus complexe qui m'ait été donnée de composer.
Est-ce que vous avez des regrets, eu égard de votre musique, compte tenu d'un manque d'argent ou à cause des plannings serrés ?
Non, parce que Michael Katleman (NDLR : le réalisateur) m'a embauché bien avant de commencer à tourner. Ce qui m'a donné suffisamment de temps pour réfléchir sur comment j'allais approcher ma partition par rapport au film. A partir de cette planification, je me suis rendu en Afrique et j'y ai constitué une impressionnante palette de sonorités Africaines ; et c'était d'ailleurs très bien d'avoir tout ce temps devant nous, car nous l'avons utilisé au maximum. Durant la composition musicale nous avons eu tout loisir d'expérimenter, d'essayer de nouvelles choses, nous avons connus des réussites et des échecs.
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