,imbert, - Interview B.O : Raphael Imbert Interview B.O : Raphael Imbert

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Entretien réalisé à Aubagne le 14 avril 2006 par Benoit Basirico - Publié le 14-04-2006




Musicien, compositeur, saxophoniste, professeur de jazz originaire de Marseille, il alterne depuis les années 90 entre concerts de petites formations (Duo, Quintet, trio), concert d'un Big-band de 14 musiciens (Hémlé orchestra), ainsi que l'animation d'Atelier sur le rapport Musique et image, jazz et cinéma. Il compose au cinéma pour les films de Philippe Carrèse MALATERRA (2004) et LIBERATA (2005).

Quel est votre parcours ?

J'ai commencé la musique à l'âge de 15 ans avec le saxophone. J'ai découvert cet instrument de manière radicale. Cela a changé toutes les directions dans ma vie et je me suis consacré à cet instrument, au jazz, à l'improvisation, et à la composition.

Je viens d'une famille de peintres, et j'ai donc toujours eu un rapport privilégié entre l'image et la musique. J'ai eu de la chance de travailler sur le tournage du film de Antonioni et Wenders PAR DELA LES NUAGES. J'y ai rencontré pleins de gens de ce milieu là qui m'ont à la fois donné la passion et dégoûté de travailler dans ce milieu là.

J'ai eu l'occasion de jouer de la musique pour ces gens là. Je faisais la régie et ils ont fait appel à moi pour animer quelques soirées. Ce fut une belle expérience de comprendre ce milieu à part.

Puis j'ai eu la chance de rencontrer Philippe Carrèse qui est connu comme écrivain, réalisateur et musicien. On a fait des musiques institutionnelles ensemble, puis deux longs métrages. On a collaboré de manière très étroite.

Pour le cinéma, s'agit-il de compositions ou d'improvisations ?

Les deux sont essentiels. Le temps passé sur une table pour trouver une ligne mélodique est essentiel, autant pour mes projets personnels que pour le cinéma, mais l'improvisation intervient à chaque fois.

Ce qui est valable pour un concert de jazz est valable pour le cinéma. Un compositeur peut construire et déconstruire quelque chose en même temps, et le potentiel que cela évoque est passionnant. Et Philippe comprend ce sens musical.

Le jazz et le cinéma ont en commun une histoire... Quels sont d'après vous les similitudes et confrontations entre ces deux domaines ainsi associés ?

Les similitudes sont nombreuses. Pour paraphraser Clint Eastwood, je dirais que l'Amérique a inventé deux choses essentielles : le cinéma de studio et le jazz. Ces deux choses sont nées en même temps, l'un a nourri l'autre. Les films muets étaient accompagnés par un pianiste, et sont apparues les Mazurkas et les Polkas à l'écran, jouées sur tout genre de films. Dans ce cas là, il y a improvisation. Ce fut souvent des ghettos avec le cinéma blanc et le cinéma noir. Il y avait des instrumentistes et des pianistes organistes exceptionnels qui improvisaient. Cela rejoint les musiciens d'église, qui improvisent lorsque le cercueil ou la marié sont en retard.

Ce que je trouve détestable actuellement, ce sont toutes les tentatives de fixation de musique de films muets que l'on observe maintenant, car c'est un excellent moyen de remettre un film du droit public dans le droit d'auteur. Sous prétexte d'ajouter une musique originale sur un film muet, on se redonne un droit moral sur un film, alors que ces films étaient faits pour improviser, dans un rapport avec n'importe quel musicien, tandis qu'aujourd'hui certains ayant droits exigent tel pianiste pour tel film. C'est ridicule, c'est antinomique avec l'esprit de ces films là.

Alors bien sûr, si on cite des films comme INTOLERANCE de Griffith pour lequel une partition a été écrite, c'est autre chose. Mais dans le cadre de Slapsticks , de films burlesques et de Cape et d'épée, tout est possible. Je rêverais d'improviser sur un film de Méliès, mais c'est impossible pour les raisons évoquées.

Quand on parle de rapports privilégiés entre jazz et cinéma, on pense à SHADOWS, ASCENSEUR POUR L'ECHAFAUD, AUTOPSIE D'UN MEURTRE, et plus récemment FESTIN NU de Cronenberg avec Ornette Coleman, et même des films plus hollywoodiens. Et je suis aujourd'hui amer car Louis Malle n'est plus là, la nouvelle vague ou le cinéma plus populaire des années 50 qui employait le jazz n'est plus d'actualité, et maintenant pour une raison de culture, les réalisateurs ne veulent plus de jazz, en ne considérant pas les musiciens de jazz comme de véritables compositeurs. Tavernier est le dernier des Mohicans. C'est un problème des deux côtés d'ailleurs. Les musiciens de jazz, cela fait cinquante ans qu'ils ne s'intéressent pas à grand chose d'autre. Les cinéastes qui se targuent d'être cinéastes d'auteur ont une idée superficielle et anecdotique de la musique et du jazz en l'occurrence. Cela fait partie d'un nivellement esthétique vers le bas que l'on remarque actuellement dans tous les domaines esthétiques.

Sarde, qui a travaillé avec Stan Getz, nous disait qu'un musicien de jazz ne pouvait être sur un film que par la présence d'un véritable compositeur à ses côtés...

Dans le cas de Sarde je comprends pourquoi il dit cela, il est un improvisateur en quelque sorte. Dans COUP DE TORCHON de Tavernier, sa musique sonne comme un orchestre improvisé. Je ne suis pas d'accord avec ce qu'il dit, mais je comprends pourquoi il le dit. C'est un grand mélodiste, un grand compositeur. Un improvisateur est par essence un grand compositeur. Il y en a qui travaille dans l'instant. Le même Stan Getz sans Sarde aurait été bon aussi. Par contre, j'aime bien la musique que Sarde a proposé à Getz, c'est une improvisation collective.

Il y a la musique composée en studio pour des images qui existent déjà comme une improvisation sur un film muet, et il y a des morceaux improvisés avant que les images soient montés, ce qui fut mon cas avec Philippe Carrèse.

Le jazz est souvent une musique de source (la musique dans un café par exemple)...

Cela ne m'intéresse pas. La musique pour moi est un personnage à part entière. C'est le cas de SHADOWS. C'est ce que réussit Clint Eastwood avec Lennie Niehaus qui est avant tout un grand saxophoniste à la base.

L'histoire de la musique hollywoodienne est très particulière, car les grands compositeurs comme Herrmann ou Maurice Jarre ont leur musique enregistrée d'une part par des musiciens classiques, mais aussi par des musiciens de jazz de la Côte Ouest. Il y avait des cas de figure économiques qui ont permis à des musiciens de jazz d'improviser à la dernière minute la bande son d'un film.

Et en tant que compositeur de jazz, comment appréhendez-vous de composer pour un orchestre symphonique ?

Je rêverais de faire improviser un orchestre symphonique pour le cinéma... c'est mon grand rêve. Dans le cadre de COUP DE TORCHON, Sarde a été le premier à réussir cela avec une mini fanfare. Mais c'est quand même écrit pour que ça sonne improvisé. Même s'il pense qu'un interprète a besoin d'un compositeur, il est content de trouver de bons interprètes, et je suis même persuadé qu'un musicien de jazz comme Monk ferait mieux que lui dans le naturel de l'improvisation.

Le budget consacré à la musique au cinéma ou à la télé, la musique publicitaire, est réduit malgré la masse plus importante de travail exigé. La musique pour l'image a quand même une histoire forte et non seulement l'improvisation a une place, mais elle a inventé le cadre de la musique à l'image.

Dans le cadre d'un atelier que vous avez encadré à Aubagne avec de jeunes compositeurs en vue d'un ciné concert improvisé sur un film de René Clair ENTR'ACTE, et un autre de Max Linder, quelles ont été les indications ?

Les compositeurs ont oublié ce que c'est de jouer avec d'autres musiciens, et la première chose est de retrouver la connexion de groupe, du jeu collectif, de l'écoute en temps réel. C'est un exercice de style important dans la recherche de choses essentielles, sans tomber dans l'illustration sonore. On a pris deux partis pris complémentaires. La musique du René Clair est un long développement d'un accord et d'une couleur harmonique qui colle très lentement à l'image. Sur le Linder, très foutraque, on a joué la carte plus illustrative, sans le souci de l'arrangement et de l'orchestration. O n ne se prive pas de se remettre dans la peau des musiciens de l'époque avec l'accompagnement rythmique des passages burlesques.

Votre actualité ?

LIBERATA de Philippe Carrèse sera diffusé sur France 3. Philippe travaille sur son troisième film. J'ai travaillé sur un court-métrage réalisé par Isabelle Claverie sélectionné par RFI sur une thématique africaine, même si au départ cela ne devait pas être dans ce cliché. La musique a un rôle important dans le cinéma, parfois extrêmement collée au cliché, et parfois qui s'en décolle. La réalisatrice, contrairement à Philippe, ne connaît pas la musique et me faisait donc confiance.

Les propositions qui m'ont été faites et dont le rapport était biaisé, je les ai refusées. Le pire des cas, c'est le réalisateur qui ne connaît pas la musique mais qui prétend la connaître, ou un autre qui est trop mélomane et qui colle pleins de musiques préexistantes au film et me demande de faire une musique qui s'adapte.

 
Entretien réalisé à Aubagne le 14 avril 2006 par Benoit Basirico

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