A l'occasion de la sortie de FAIR PLAY (sur les écrans le 6 septembre 2006), nous allons à la rencontre de son réalisateur et de son compositeur. Il s'agit d'un premier long-métrage pour Lionel Bailliu, et d'une première composition de cinéma pour Laurent Juillet, présent dans notre section « Jeunes Talents ».
Cinezik : Lionel, ce premier long-métrage est une adaptation d'un court-métrage s'intitulant SQUASH ?
L.B : C'est parti de là en se demandant comment intégrer la séquence de squash dans le long-métrage avec cette unité d'action et de lieu. Assez rapidement j'ai eu l'idée du canyon final en commençant par des duels puis en réunissant les personnages à la fin.
L'idée du film est que les personnages sont issus de la même entreprise et que leurs relations de travail se révèlent dans des situations sportives…
L.B : C'est plus ciné-génique de les voir discuter au squash qu'à côté de la photocopieuse, et cela permet d'autres comportements. Le sport permet d'éveiller des confrontations.
A propos du choix des comédiens…
L.B : Benoit Magimel avait exprimé un intérêt dés le court-métrage. Marion Cotillard est intervenue par l'intermédiaire de mon agent. Eric Savin, moins connu, jouait déjà dans mon court-métrage. Jérémie Renier et Mélanie Doutey correspondaient à mon envie d'avoir des acteurs jeunes et dynamiques pour ces rôles.
Benoit Magimel a travaillé lui-même son personnage avec son côté extravagant. J'ai essayé de définir très simplement les traits des personnages comme celui de Mélanie Doutey et son optimisme mené jusqu'à l'absurde.
Ce film se situe entre la comédie et le thriller…
L.B : Il n'y a pas de volonté de comédie. Il peut y avoir de l'humour par les dialogues et dans le jeu sur la méchanceté des personnages, mais ce n'est pas construit comme une comédie. Ce qui arrive aux personnages est d'ailleurs terrible, ils soufrent.
Parlons maintenant de la musique…
L.B : On n'est pas du tout parti de la musique du court-métrage. On est ici sur des scènes très longues avec des entrées et sorties de musique très voyantes, donc on a eu un travail important sur l'intervention de la musique en essayant de rendre les scènes d'action le plus haletantes possibles avec une musique assez dramatique, tout en gardant les proportions de l'histoire.
L.J : En plus c'est un film très dialogué, donc il fallait que ma musique intervienne au milieu.
Denis Penot, compositeur du court-métrage, est d'abord envisagé pour ce film...
L.B : Denis a écrit la moitié de la musique et n'a pas pu poursuivre car il a d'autres activités en dehors. Il travaillait déjà avec Laurent qui orchestrait ses musiques, donc le passage de relai fut évident. Laurent s'est trouvé dans cette position inconfortable de créer un score à partir de musiques préexistantes, avec en plus des difficultés liées au film qu'il fallait intégrer, et les délais très courts.
Alors Laurent, comment arriver après une musique déjà composée ?
L.J : La première difficulté est qu'il fallait gérer le délai très court et la deuxième chose était de réunifier tout le score pour suivre la progression du film, de la dramaturgie, ce n'était pas simple. Là où j'étais aidé, c'est que je m'occupais de l'orchestration de la musique de Denis, donc je me suis servi de l'orchestration comme un liant de l'ensemble. Par ailleurs, je ne connaissais pas Lionel, donc il a fallu que l'on se découvre, que l'on confronte nos visions respectives des choses.
Y-a-t'il des thèmes totalement composés par vos soins ?
L.J : J'ai composé toute la fin sur le canyon et l'ouverture aussi. J'ai apporté l'assombrissement sur la fin. Il y a des morceaux uniquement de Denis, d'autres exclusivement de moi, et d'autres de Denis que j'ai réadapté pour le montage du film qui avait évolué entre temps.
L.B : Car Denis n'avait pas composé de manière chronologique. C'est un puzzle à compléter. La musique du canyon avait une contrainte technique car elle devait vivre avec les bruits de cascades.
L.J : Mon souci était de trouver une vraie cohérence, d'unifier pour avoir LA musique du film et non pas coller des morceaux.
Lionel était présent tous les jours, car le délai étant court j'avais besoin de son avis permanent sur chaque chose. Il était très pointilleux sur les points de synchro.
L.B : On était moderne car on se branchait tous les matins sur I Chat , Laurent me faisait écouter des musiques, moi je les calais sur Final Cut sur les images, pour voir ce que ça donnait et je lui faisais mes commentaires en direct. Parfois (sacrilège !), je refaisais un petit montage de la musique et je lui renvoyais pour lui exprimer plus clairement ce que j'avais en tête. On avançait comme cela avec l'image et le son à distance.
Cela ne remplace certes pas le contact humain, et il fut très pratique vers la fin de passer du temps ensemble dans le studio.
Laurent, vous avez été interprète (à la guitare), scénariste, arrangeur, orchestrateur, compositeur d'illustrations sonores (pour des disques Kosinus ) et maintenant compositeur de cinéma...
L.J : J'étais guitariste mais je laisse maintenant à d'autres le soin d'interpréter mes musiques. J'ai dirigé l'Orchestre Philarmonique de Londres qui a une session de cordes magnifique. J'ai en effet plusieurs casquettes, et en ce qui concerne FAIR PLAY, je m'occupais de l'orchestration, de la composition et de la production musicale, ce qui m'a permis d'être réactif, de savoir comment procéder pour gagner du temps. J'avais déjà commencé ce travail avec François Peyrony sur IL NE FAUT JURER DE RIEN en étant à la fois orchestrateur et directeur de production.
En quoi consiste l'établissement d'un budget musical pour un film ?
L.J : On part du cahier des charges et on fait le budget en fonction de ce cahier, avec le choix des musiciens, du studio, de l'orchestre.
Le directeur de production du film établit une enveloppe budgétaire pour la musique, et je regarde dans un premier temps si cela correspond aux exigences artistiques. Il faut que la technique soit au service de l'artistique, que ces deux domaines s'équilibrent. Je dois ensuite à l'intérieur de l'enveloppe diviser les divers secteurs de la conception de la musique.
En illustration sonore (les disques Kosinus sont constitués de musiques formatées), comment cela se passe-il ?
L.J : C'est une école fantastique, on touche à beaucoup de choses, avec de dignes moyens de production. On touche à des thèmes, on apprend à se mettre au service d'une chose précise.
Pour le cinéma, vous pouvez être tenté par manque de temps de reprendre les formats de l'illustration (une musique angoissante pour une séquence angoissante)...
L.J : Quand je compose pour un film, je me mets à son service. Par contre, quand je suis amené comme pour FAIR PLAY à composer pour une séquence de boite de nuit où la musique sort du contexte sportif du film, et bien je ne me gêne pas pour composer une musique de source dans un style totalement différent. Mon expérience dans l'illustration me permet ainsi cette versatilité dans le changement de style, même si la musique d'orchestre reste mon domaine de prédilection.
Quels sont les compositeurs qui vous influencent ?
L.J : John Williams évidemment, mais il a tellement marqué les esprits, qu'il est vain d'essayer de le copier. J'aime aussi beaucoup James Newton Howard ou Elliot Goldenthal. Sur FAIR PLAY, j'ai essayé de jouer sur les émotions, sur l'ambiance dans une constante recherche dramatique. Même dans les séquences d'action, j'ai essayé d'éviter de tomber dans l'épique en demeurant au niveau des personnages et de l'histoire.
Et Lionel, quel est pour vous la place de la musique dans cette collaboration réalisateur/compositeur ?
L.B : Avec Laurent, ce fut formidable car je ne suis pas musicien et de travailler avec quelqu'un qui traduit musicalement ce que je lui dis c'est assez grisant. Puis avec la musique on touche une matière en lien direct avec l'émotion, le rythme, l'énergie… C'est comme si l'on redessinait une cartographie émotionnelle du film. La musique est un argument puissant dans un film. Dans FAIR PLAY, il a fallu être rigoureux sur ce qu'apportait la musique en n'en faisant pas trop. Mais plus on avançait dans le travail, plus on essayait d'être radical sur le choix des musiques et leur positionnement, pour ne pas avoir juste une musique fonctionnelle. On a essayé de privilégier des musiques porteuses d'une émotion forte.
Vous retravaillerez avec Laurent pour un prochain film ?
L.B : En tant que réalisateur, je trouve qu'il est bien d'aborder un film en choisissant ses collaborateurs clefs. Si je fais un film d'époque, c'est important de bien choisir sa costumière et son chef opérateur, et il serait légitime pour la musique de choisir un compositeur qui a déjà exercé dans le même genre. Mais l'avantage d'une collaboration régulière est qu'on finit par se comprendre plus facilement.
Pour finir, Laurent, quelle est votre actualité hormis FAIR PLAY ?
L.J : Je travaille sur un nouvel album Kosinus d'illustration, et sur la pièce de théâtre A FOND LA CAISSE avec Séverine Ferrer qui tourne en ce moment à Paris.
Je retravaille avec François Peyrony pour la direction de production de sa musique pour le nouveau film d'Eric Civanyan. Je suis ravi car j'ai de la chance de ne travailler qu'avec des amis, et en plus j'évolue dans ce cercle amical. Par contre pour Lionel, on ne se connaissait pas, ce fut un pari pour la production qui nous a mis en contact. On s'est très vite apprivoisé.
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