Cinezik : Comment vous êtes vous retrouvé à faire de la musique de film ?
Stéphane Lopez : Je viens de la scène, je fais du clavier depuis que j'ai sept ans. J'ai habité à Arcachon près de Bordeaux et j'y ai rencontré des amis musiciens avec qui j'ai commencé à tourner à l'âge de 16 ans (groupe de Reggae/Dub/Electro). J'ai fait aussi pas mal de Funk et j'ai commencé à me produire à travers la France en temps qu'intermittent dans un orchestre de variétés.
En parallèle, je compose depuis que j'ai 13 ans de l'électro, me considérant plus comme un musicien de synthé plutôt que comme pianiste classique, n'ayant pas de formation. Et un jour, par hasard dans un salon de coiffure, j'ai rencontré Hervé Limeretz (ancien clavieriste et arrangeur de Daniel Balavoine). Après lui avoir fait écouter ce que je faisais, vers 13 ans, je suis allé chez lui pour me perfectionner en tant qu'arrangeur et même compositeur, émerveillé par tout le matos qu'il avait à l'époque dont je rêvais (rires). Hervé m'a fait rencontrer Franck Dijeau qui avait une école de piano sur Bordeaux et c'est là que j'ai appris mon métier de musicien. J'ai arrêté mes études à 17 ans, puis j'ai rencontré ma copine qui habitait sur Paris (Journaliste/Réalisatrice) et j'ai décidé de la rejoindre pour essayer d'être musicien live. A l'époque, elle bossait sur un projet de documentaire sur Chimène Badi et avait un problème avec un morceau de musique dont elle n'avait pas les droits, donc je lui ai proposé de lui faire un petit morceau rapidement et la production a bien aimé et m'a proposé de faire l'habillage musical de tout le documentaire.
J'ai enchainé ensuite pour un documentaire sur Arthur, des petites émissions sur M6, TF1 et Canal+, et j'ai rencontré Gad Elmaleh pour qui j'ai fait la musique de bonus de DVD. Il a beaucoup apprécié ma réactivité, ma disponibilité, suite à quoi, alors que j'étais toujours sur son deuxième DVD, il m'a convoqué dans ses locaux autour d'un café pour me proposer de faire la musique de son premier film COCO ; et là... grosse pression !! (rires)
Comment s'est passé le travail sur COCO ?
S.L : J'ai commencé par composer une dizaine de morceaux, suite à la lecture du scénario et quelques idées qu'on avait échangées, et il a beaucoup apprécié ce premier jet que j'avais fait chez moi. J'avais intégré des violons, des percussions orientales (Darboukas...), etc... Et là on me dit qu'il faut réorchestrer avec de vrais musiciens, parce que la musique n'était pas exploitable en l'état, et me voilà convoqué par la production (Legend Films) qui m'a demandé ce dont j'avais besoin comme formation. Je voulais une base avec des musiciens que je connaissais et avec qui je voulais bosser, plus quelques extras (violons, violoncelles...), en leur disant qu'ensuite je pourrai faire des Samples pour limiter les frais, et là on me dit que ça serait mieux d'avoir carrément un orchestre...
Le lendemain j'apprenais par téléphone que sous la supervision d'Edouard Dubois (Compositeur, Conseiller et Superviseur musical), l'orchestre de l'Opéra plus quelques autres musiciens spécialisés, étaient à ma disposition ; 80 musiciens (rires) et là gros moment de solitude, j'étais entre l'excitation et la peur viscérale !!
Suite à ça, j'ai rencontré le chef d'Orchestre, Bruno Bertoli (ndlr : avec lequel Stéphane a également collaboré sur Poupoupidou), il m'a expliqué comment on allait réarranger mes morceaux pour qu'ils puissent être joués par l'Orchestre et j'ai appris plein de choses à ses côtés ; et arrive le premier jour d'enregistrement, j'en menais pas large face à toute cette organisation, en voyant des gars régler les micros au centimètre près, l'écart entre les chaises et toute cette effervescence qui monte juste avant l'arrivée de l'orchestre qui déboule dans la salle, et là je suis allé me cacher dans la cabine de mixage (rires).
Le chef d'Orchestre m'a demandé de les rejoindre au micro et je me suis senti super mal à l'aise en traversant toute la salle au milieu des musiciens, je n'avais que 27 ans, c'était une première pour moi, je me disais, qu'est-ce qu'ils doivent penser de moi ?? (rires) Ils ont commencé par un morceau qui faisait 48 secondes, qui débutait légèrement avec un riff de flûte et d'un coup ça partait de façon tonitruante, et moi je savais comment il sonnait dans ma maquette, mais là, c'était la première fois que j'entendais l'un de mes morceaux joué comme ça, comme je l'idéalisais en fait, et à la fin du morceau le chef d'Orchestre s'est retourné vers moi et je me suis retourné pour faire semblant de refaire mes lacets alors que j'avais des chaussures à scratchs, pour ne pas montrer que j'étais en train de pleurer (rires), je suppose que certains ont trouvé ça naïf mais j'étais super ému, et sans exagérer, je crois que c'était un des plus beaux jours de ma vie. L'enregistrement a duré trois jours, c'était le pied.
Quelles sont vos références musicales, vos sources d'inspiration ?
S.L : Ca dépend, je ne suis pas arrêté à un style, puisqu'on m'appelle pour des projets complètements différents, c'est tout ce que j'écoute en fait, j'ai eu une grosse période « Bob Marley and the Wailers » (rires), super beau et tellement bien écrit, y'a que ça qui me faisait vibrer à l'époque, et du Funk, de la Pop, et même les chœurs, j'adore les chœurs...
Pour l'électro au tempo assez lent, j'adore Portishead, Massive Attack, Archive... ce n'est pas juste un mec derrière ses machines à faire de la synthèse, ils mélangent toujours avec des orchestrations de cordes et des grosses basses.
Morcheeba aussi j'adore. Tout ce qui est planant en fait (rires) et le Funk des années 90, Chemical Brothers , Vitalic ou encore Prodigy ; mais y'en a tellement...
Pour ce qui est de la musique de film, c'est malheureux, mais à part quelqu'un comme John Williams que j'adore depuis mes 17 ans après avoir vu "Les dents de la mer", à chaque fois que j'allais à la plage j'avais la musique qui me suivait, je connais personne d'autre qui sache aussi bien faire ça. Récemment je me suis revu la trilogie de "Retour vers le futur" de Alan Silvestri, c'est énorme !! Ce sont des petits accents, des petites virgules musicales qui restent en tête.
Venons-en à POUPOUPIDOU, comment vous êtes-vous retrouvé dans cette aventure d'un film indépendant sans budget ?
S.L : Autant sur COCO, j'ai été intégré au projet alors que le scénario n'était même pas fini, autant pour POUPOUPIDOU, le film était en phase finale de montage, le réalisateur Gérald Hustache Mathieu avait déjà rencontré plusieurs compositeurs auparavant, mais il n'avait pas trouvé ce qu'il cherchait. Avec la monteuse, ils avaient mis des morceaux de Cliff Martinez, de l'album de Wicker Park, et quand il m'a contacté et qu'on s'est rencontrés il m'a dit : "j'aimerais bien que tu t'en inspires et que tu fasses - à la manière de" et j'ai du mal à ça. A chaque fois que je collais trop à la référence, ce n'était plus ma musique, et dès que je m'en éloignais un peu, il me disait : "là tu vois, ça ne ressemble plus trop", c'était chaud. Je n'avais qu'un mois pour faire la musique avec un Quatuor à cordes et je péchais un peu sur quelques morceaux, du coup, je lui ai fait écouter 2/3 morceaux que j'avais composé avant qu'il ne me demande de m'inspirer de la musique de Cliff Martinez et en entendant un de mes morceaux, il m'a dit : "mais c'est exactement ça que je recherche !!" et du coup, c'est devenu le thème principal que j'ai ensuite retravaillé pour développer les autres morceaux.
Parlez-nous du VOYAGE D'INUK (réalisé en 2010 par Mike Magidson, aucune date de sortie prévue en France pour le moment)...
S.L : Pour ce film, j'ai rencontré Mike Magidson (Réalisateur, co-scénariste et co-producteur) par le biais de sa femme, qui est une copine monteuse d'une copine de ma copine (rires) et je lui ai fait écouter mes derniers travaux, et il était enthousiaste pour que l'on travaille ensemble (il était à l'époque sur un projet de reportage sur l'A380, pour Arte/Discovery Chanel) et finalement j'ai fait trois Documentaires pour lui, on est devenus amis et il m'a proposé sa première fiction.
Comment s'est passée la transition entre l'illustration de documentaires à celle de films de fiction ?
S.L : Sur le documentaire "un an avec Gad", j'ai surtout essayé d'illustrer le voyage de Gad, en m'inspirant des musiques et des instruments utilisés dans le pays, alors qu'une fiction, c'est la même histoire qu'il faut suivre, et donc être capable de développer des thématiques autour d'un axe, c'est d'ailleurs ce que j'essaie de faire de plus en plus, notamment sur un reportage Thalassa que j'ai terminé il y a deux semaines.
Où vous voyez-vous dans dix ans ? Toujours dans le milieu du cinéma ?
S.L : Oui, maintenant que j'y ai goûté, j'ai bien envie de poursuivre sur ma lancée (rires), déjà progresser pour l'orchestration, l'harmonisation, rencontrer encore plus de gens et notamment d'autres compositeurs de films, parce que pour être honnête, je ne connais aucun autre compositeur français et encore moins étranger (rires), et pourquoi pas faire de gros films. Mon rêve serait de pouvoir mélanger l'électro et le classique, comme pour "Matrix".
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