Propos recueillis par Benoit Basirico
- Publié le 25-09-2023Benoit Basirico (Cinezik) : Michael Tordjman et Maxime Desprez, votre binôme a débuté avec "Baby-Sitting" (Philippe Lacheau & Nicolas Benamou, 2014). Avant cela, quel a été votre parcours ? Quel a été votre rapport avec le cinéma ? Vous étiez d'abord compositeurs d'album, n'est-ce pas ?
Michaël Tordjman : En réalité, nous étions déjà dans le monde du disque ensemble. Maxime avait un rôle un peu plus de réalisateur, producteur, ingénieur du son, mais il était aussi compositeur. Quant à moi, j'étais davantage axé sur la partie créative. Nous nous sommes rencontrés grâce à des remixes et des chansons que nous avons réalisées ensemble pour d'autres artistes. Avec le temps, nous avons réalisé que nous collaborions de plus en plus. C'est ainsi que nous avons décidé de nous associer de manière naturelle et rationnelle. Ensemble, nous nous sommes orientés vers la musique de film. J'avais commencé un peu avant Maxime, ayant travaillé sur quelques longs métrages et séries télévisées. J'ai alors suggéré à Maxime de se joindre à moi dans cette aventure. Notre collaboration s'est renforcée lorsque nous avons eu l'opportunité de rencontrer Tarek Boudali et Philippe Lachaud. Depuis mon plus jeune âge, j'ai toujours été passionné par la musique et le cinéma, un véritable cinéphile.
Tarek, nous vous connaissons en tant qu'acteur, auteur et réalisateur. Quelle place occupe la musique dans votre parcours ?
Tarek Boudali : La place de la musique dans le cinéma est primordiale. Pour moi, le son et la musique représentent 50% du travail. L'autre moitié, c'est l'image. Une séquence émotionnelle, même si elle est parfaitement tournée, peut perdre tout son impact si la musique ne la soutient pas. Il en va de même pour une scène d'action. Le travail que Michaël et Maxime accomplissent sur chacun de nos films est incroyable. Chaque fois que je termine le montage d'un film et que nous passons à la phase musicale, le film est sublimé grâce à leur talent.
Les compositeurs affirment souvent que la musique de comédie est la plus complexe à réaliser. Confirmez-vous cela, notamment en termes de timing et de précision ?
Maxime Desprez : C'est effectivement une question de timing, et également de spotting, c'est-à-dire savoir où placer la musique. Dans la musique de comédie, le plus difficile, je pense, et cela peut sembler étrange, c'est qu'il faut que la musique se fonde dans le film. Quand on regarde le film, on doit oublier la musique. Il faut que la musique s'intègre parfaitement à l'ensemble. Il y a différentes approches, parfois la musique doit vraiment être mise en avant. C'est pour cela que nous discutons souvent avec Tarek de l'aspect immersif du son, qui englobe également le mixage du film. Avec Tarek et Fifi (Philippe Lacheau), avec qui nous avons réalisé plusieurs films, nous avons une véritable collaboration. Nous ne parlons pas tant de notes que de sensations. Tarek nous fait vraiment confiance. Nous sommes très précis dans notre travail à l'image, que ce soit pour les calages, les arrêts, les silences, les reprises, l'intention d'une note, une rupture, etc. Nous passons beaucoup de temps en studio à discuter de ces détails.
Tout ce travail de placement et de précision se fait-il nécessairement lors du montage, une fois celui-ci terminé, ou peut-il être anticipé dès l'écriture du scénario ?
Michaël Tordjman : Il est préférable d'avoir un montage car la densité de la musique dépend beaucoup de la longueur des séquences. Mais il faut toujours aborder cela avec du recul. Une musique réussie est celle qui prend en compte la totalité du film. Il faut le voir comme un ensemble. La densité de la musique ne sera pas la même selon qu'il y ait beaucoup ou peu de musique dans le film.
Tarek, dans la collaboration entre le compositeur et le réalisateur, il est souvent nécessaire de trouver un langage commun. En comédie, si une séquence ne fonctionne pas, si elle ne fait pas rire, ça ne pardonne pas. Est-ce un souci constant d'efficacité ?
Tarek Boudali : Effectivement, il y a cette évidence. La musique peut renforcer la comédie. Parfois, une séquence qui ne me semble pas exceptionnelle au montage peut être sublimée par la musique et devenir beaucoup plus drôle.
Michaël Tordjman : Tarek est modeste car ses scènes sont souvent drôles même sans musique. Nous avons du mal à proposer des thèmes dès la lecture du scénario car il est essentiel de confronter nos idées à l'image, au montage, et d'échanger avec le monteur. Parfois, nous créons des musiques nécessaires pour le tournage, comme pour ambiancer une scène dans une boîte de nuit. Mais il est crucial de visionner le film plusieurs fois pour bien le comprendre. Sur le dernier film, "Trois jours max", la suite de "30 jours max", nous avons regardé le film ensemble, discuté du spotting, de ce que nous voulions ou ne voulions pas. Travailler sur des comédies d'action est un réel plaisir pour nous, car cela nous offre une grande liberté créative.
J'ai l'impression, bien qu'il n'y ait pas de recette, que la meilleure musique pour une comédie, et en tout cas pour les vôtres, est celle qui se prend au sérieux. C'est-à-dire qu'elle est au premier degré. Lorsqu'il y a une scène d'action, la musique accompagne cette action. Si à un moment précis il y a une chute, la musique s'interrompt brusquement. Pouvez-vous confirmer ?
Michaël Tordjman : Nos héros sont souvent maladroits, mais ils finissent par triompher grâce à leur bienveillance. Les scènes d'action burlesques nécessitent une certaine rigueur musicale. Pour obtenir de la comédie d'action, nous utilisons parfois le "Mickeymousing", une synchronisation très précise. Nous jouons aussi avec l'ironie, créant des décalages. Mais tout cela se fait en immersion totale dans le travail, en essayant différentes choses, en faisant des erreurs. C'est un marathon constant. Si on perd cette première impulsion, on risque de s'égarer. Après avoir confronté notre travail à une première audience, souvent proche du réalisateur, nous recueillons les avis et travaillons de manière collégiale. La musique étant l'un des derniers éléments de la post-production, cela peut générer de l'angoisse, surtout pour quelqu'un comme Tarek pour qui c'est crucial.
Tarek Boudali : Je suis confiant quant au résultat final, mais je sens que Maxime et Michaël sont parfois anxieux. Lors du mixage des musiques, nous avons passé une soirée ensemble et je les ai sentis tendus. Cela montre leur passion et leur souci du détail.
Dans une comédie qui joue sur des archétypes à déconstruire, avec de la romance, de l'action, de l'espionnage, Tarek donnez-vous des références cinématographiques ou musicales ?
Tarek Boudali : Notre dernier film explore justement plusieurs univers : espionnage, aventure, action, romance, émotion. Maxime et Michaël m'ont remercié pour cette diversité, car cela leur offre un terrain de jeu riche. Ils aiment discuter en amont, dès les premières ébauches de script, pour comprendre mes intentions. Ils commencent donc leur travail avant même le tournage.
Michaël Tordjman : Nous nous rencontrons régulièrement, discutons autour d'un verre, échangeons des idées. Nous avons tous été influencés par des réalisateurs comme Robert Zemeckis ou Spielberg, qui mêlent émotion et divertissement. Grâce à Tarek, nous ne sommes pas cantonnés à la comédie. Nous aimerions d'ailleurs composer pour une comédie romantique. Dans ses films, l'émotion est toujours présente, ce qui est stimulant. Le défi est de trouver une unité musicale, de respecter une certaine palette d'instruments tout en s'autorisant quelques libertés. C'est un peu comme concevoir un album : il doit être riche mais digeste.
On observe souvent dans les comédies actuelles un appauvrissement musical, avec un recours systématique à des musiques préexistantes, ce qui donne un résultat très hétéroclite. Ce qui est remarquable dans votre travail, c'est que malgré des références et des genres hétéroclites, il y a une unité grâce à une musique originale sur mesure. J'imagine que cela implique également un travail sur la mélodie, avec des thèmes récurrents ?
Michaël Tordjman : Comme je le mentionnais, avoir un montage complet nous donne le recul nécessaire pour trouver cette homogénéité. Il s'agit de composer pour l'ensemble du film, pas seulement scène par scène. Maxime et moi avons des rôles complémentaires : lui est plus organisé, tandis que je suis plus spontané. Nous nous complétons bien.
Parlons de "Épouse-moi mon pote" (2017), votre première collaboration avec Tarek à la réalisation. La musique peut s'absenter puis revenir pour rythmer une scène, l'action, et propose une parodie d'espionnage. Comment avez-vous conçu cette musique ?
Michaël Tordjman : Cela dépend des séquences. Nous avons voulu refléter l'état d'esprit du personnage. Nous avons essayé de suivre la séquence de manière didactique. Nous sommes également attachés à notre héritage français, même si nos musiques ont une sonorité américaine. Nous aimons Vladimir Cosma et son style. L'enjeu avec les silences est de conserver une musicalité. Normalement, une note s'arrête à la fin d'une mesure et reprend à la suivante. Mais avec un montage qui n'est pas calibré, il faut s'adapter. La musique de comédie ne permet pas une infinité de variations. Tarek est le maître d'œuvre en matière de timing comique. Nous passons des heures en studio à ajuster chaque détail. Tout doit être fluide et musical pour le spectateur. Tarek est le chef d'orchestre de ce processus. Il est essentiel que nos outils, comme Pro Tools, soient bien organisés pour ne pas perdre de temps. Le rôle du monteur, Antoine Varel, est également crucial dans ce processus.
C'est le même monteur que pour les comédies de James Huth, comme "Brice de Nice" ou "Lucky Luke". J'imagine qu'il a l'habitude ?
Michaël Tordjman : Oui, il est très précis, parfois même un peu trop. C'est vraiment un travail collaboratif. Avec Antoine, on discute souvent avant de commencer. Lorsqu'on développe une complicité avec les équipes, c'est un véritable luxe. Gagner la confiance du monteur n'est pas toujours facile, car il est très proche du réalisateur. Mais une fois que cette confiance est établie, tout se passe bien, et c'est vraiment agréable.
Les monteurs utilisent souvent des musiques temporaires (temp track) pour rythmer une séquence. Est-ce qu'Antoine Varel fait de même avec vous ?
Michaël Tordjman : Ça dépend des films. Sur certains, il a besoin de donner des intentions claires avec une musique temporaire. Ce qui est bien, c'est qu'il respecte le BPM. Certains monteurs peuvent le modifier, mais lui non. D'autres travaillent sans musique temporaire. L'important est que les intentions soient justes.
Dans "Épouse-moi mon pote", il y a deux chansons originales : "Raise your fist" et "My love". Comment sont-elles nées ?
Maxime Desprez : Pour "Raise your fist", nous avions initialement pensé à quelque chose de hip-hop. Finalement, nous avons opté pour une fusion entre le rap et le métal, qui correspondait mieux au personnage. Cela nous permet d'ajuster les chansons en fonction du montage. C'est enrichissant d'avoir une musique originale adaptée au film, même pour les chansons.
Tarek Boudali, en tant qu'acteur, utilisez-vous de la musique sur le plateau pour aider au rythme ou aux chorégraphies ?
Tarek Boudali : Dès l'étape d'écriture, j'écoute beaucoup de musique. Elle m'aide à me mettre dans l'ambiance des scènes que j'écris, que ce soit pour l'émotion ou l'action. Sur le plateau, je peux aussi écouter de la musique pour me mettre dans un certain état d'esprit. La musique stimule mon imagination, influence mon jeu d'acteur et même ma mise en scène. Lorsque je prépare une scène, j'écoute une musique qui m'aide à visualiser comment je veux la réaliser. Ces musiques peuvent ensuite être partagées avec les compositeurs, mais il y a toujours un travail de création. Je fais confiance à Maxime et Michaël pour leur créativité. Parfois, je leur demande de partir d'une feuille blanche et de me surprendre.
Michaël Tordjman : Nous avons la chance que Tarek nous laisse travailler librement au début. Nous lui demandons souvent quelques semaines avant de lui présenter nos propositions. Cette confiance est précieuse. Pour réussir, il faut parfois s'isoler, et Tarek nous accorde ce temps. Je le remercie pour cela.
Comment abordez-vous l'étape de la maquette ? Est-ce que tout est d'abord réalisé par informatique avant d'être interprété ?
Michaël Tordjman : En réalité, nous ne passons pas par l'étape de la maquette. Nous poussons la production au maximum pour obtenir le rendu final directement. Les gens sont désormais tellement habitués à avoir une musique proche de l'image que sans ce rendu final, il est difficile de se projeter. Dans les années 70, avec les thèmes, on pouvait simplement jouer au piano et laisser imaginer. Mais aujourd'hui, les gens sont plus impatients.
Vous voulez dire que vous procédez à l'enregistrement très tôt ?
Michaël Tordjman : Exactement, nous enregistrons directement. Parfois, des contraintes budgétaires nous obligent à faire des choix. Si la musique est très dense et orchestrale, et que nous n'avons pas accès à un grand orchestre philharmonique, il est préférable de programmer et d'orchestrer plutôt que d'utiliser un petit ensemble de musiciens. Cependant, lorsque le budget le permet, nous privilégions l'enregistrement avec un orchestre. C'est à la fois un risque et une récompense. La programmation offre plus de flexibilité, mais l'enregistrement apporte un certain résultat. Aujourd'hui, avec les technologies actuelles, tout est modifiable en permanence. Notre défi est donc d'apporter de l'humanité à notre musique programmée.
Sur "30 jours max" (2020), vous avez utilisé des guitares électriques. À quel moment décidez-vous de l'intervention de certains instruments, comme cette guitare électrique ?
Michaël Tordjman : En fait, je suis guitariste. Nous voulions explorer de manière ironique l'univers à la Dirty Harry, avec ce côté un peu "blouson en cuir". Nous avons cherché à traiter l'aspect comique proche de "L'Arme fatale", sans tomber dans le cliché du saxophone. Nous avons voulu contrebalancer les moments d'action avec un orchestre bien présent et les moments de comédie et d'action ironique avec une formation trio : basse, batterie, guitare, agrémentée de percussions. Cela permet d'illustrer à la manière d'un "Mickey Mousing". Le public de Tarek compte de nombreux enfants, et nous ne devons pas les négliger. Dans leurs films, il y a cet aspect burlesque, rappelant un peu Buster Keaton, qui fait rire autant les petits que les grands. C'est un peu comme dans certains Pixar où les enfants rient en compagnie de leurs parents.
Il y a effectivement un aspect cartoon dans tout cela.
Michaël Tordjman : J'adore vraiment. Tarek a une présence physique burlesque à l'écran. Nous, nous sommes plutôt réservés derrière nos machines. Il réalise lui-même ses cascades. Sur son prochain film, vous verrez. Quand nous avons vu les premières scènes où il s'accroche à des hélicoptères, c'était impressionnant. Nous avons eu peur pour lui.
Pour ce nouveau film, "3 jours max" (sortie le 25 octobre 2023), suite de "30 jours max" (2020), quels ont été les défis musicaux par rapport au premier film ? Y avait-il plus d'action ?
Michaël Tordjman : Effectivement, il y avait plus d'action. Nous avons abordé la comédie d'une manière un peu différente, en jouant davantage sur l'action et les silences. C'était une expérience différente, avec une musique d'action plus directe. Nous avons également accentué l'aspect aventure du film. Travailler sur ce film est un souvenir particulier pour nous. C'était pendant la première vague de la pandémie, la plus intense. Malgré les restrictions, nous avons continué à travailler, en nous retrouvant régulièrement au studio, en dépit des mesures de confinement. C'était une période à la fois étrange et mémorable pour nous.
Pour finir, évoquons Philippe Lacheau, sa direction musicale est-elle différente ?
Michaël Tordjman : Oui, c'est complètement différent. Ils exercent la même discipline avec la même sémantique, mais leur expression en studio d'enregistrement est distincte. Le résultat final diffère également. Chacun a sa propre signature. C'est délicat de parler de Philippe en son absence, il est également très précis et très impliqué dans l'écriture, mais peut-être un peu moins dans le spotting. Il aime profondément la musique, tout comme Tarek. Cependant, je pense que ses films nécessitent un peu moins de musique. Sur les films de Tarek, il y a toujours un rebondissement, alors que ceux de Philippe sont peut-être davantage axés sur les dialogues.
Propos recueillis par Benoit Basirico
Interview B.O : Audrey Ismaël (Le Royaume, de Julien Colonna)
Interview B.O : Audrey Ismaël (Diamant brut, de Agathe Riedinger)