,@,oeuvre-de-john-williams,williams, - Interview B.O : John Williams par Jean-Christophe Manuceau (auteur, L'Oeuvre de John Williams) Interview B.O : John Williams par Jean-Christophe Manuceau (auteur, L'Oeuvre de John Williams)

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Propos recueillis par Benoit Basirico

- Publié le 06-05-2024




Jean-Christophe Manuceau est l'auteur de l'ouvrage "L'Oeuvre de John Williams: Le chef d'orchestre des émotions " (Third Editions) paru le 11 avril 2024 où il livre une exploration minutieuse de la carrière de John Williams à travers un prélude et sept chapitres, de ses premiers pas hollywoodiens à sa maturation stylistique et ses collaborations emblématiques avec Steven Spielberg. Il nous présente son livre et son rapport au compositeur.

 

Cinezik : Tout d'abord, avant d'aborder le sujet de votre livre et de John Williams, pourriez-vous nous expliquer d'où vous vient votre intérêt pour ce compositeur ? Avant ce livre, vous aviez déjà écrit à propos d'un autre compositeur de musique de film, Ennio Morricone ("Ennio Morricone - Entre émotion et raison", chez Camion Blanc).

Jean-Christophe Manuceau : Depuis mon enfance, la musique de John Williams m'accompagne, notamment à travers les films que nous avons tous vu au cinéma, tels que Star Wars ou Indiana Jones. Ces musiques ont joué un rôle crucial car elles font véritablement partie intégrante de ces films. Elles ne se contentent pas de les accompagner mais elles en constituent l'essence même. Ainsi, consacrer un livre à cet auteur me semblait essentiel, car il incarne à mes yeux l'excellence du cinéma hollywoodien.

Pour ce livre, votre approche a-t-elle été différente de celle adoptée pour Ennio Morricone, notamment en termes de structure ? Aviez-vous la tentation de proposer une sorte de tome 2 du précédent ouvrage, comme un catalogue de compositeurs, ou avez-vous opté pour une démarche totalement différente ?

JCM : Absolument, j'avais envie de relever un défi un peu différent. Le livre sur Morricone représentait trois ans de travail, avec une immersion profonde dans son œuvre, enrichie par de nombreuses rencontres avec des musiciens et des réalisateurs qui ont collaboré avec lui. C'était un mélange d'entretiens et d'analyses, qui a donné lieu à un ouvrage de 900 pages. Pour ce nouveau projet, avec mon éditeur (Third Editions) nous avons souhaité adopter une approche plus concise, avec moins d'entretiens mais davantage d'analyses. L'objectif était de parcourir les différentes périodes de la carrière de Williams, depuis ses débuts dans les années 60 jusqu'à nos jours, afin d'examiner comment son style a évolué au sein du système hollywoodien et comment il s'est adapté aux exigences de chaque réalisateur. Il s'agissait de pénétrer dans les coulisses du travail du compositeur, de comprendre ses choix de projets et de réalisateurs, et de voir comment il a géré ces différents aspects de sa carrière, tout comme Morricone, qui a mené de front une carrière de compositeur pour le cinéma et pour la salle de concert.

Il existe effectivement un point commun entre les deux ouvrages : le mot "émotion" est présent dans les titres. Le livre sur Ennio Morricone s'intitule "Entre émotion et raison", et celui sur John Williams, "Le chef d'orchestre des émotions". L'émotion est centrale dans les deux livres. Percevez-vous une différence dans la manière dont ces deux compositeurs traitent l'émotion ?

JCM : Je dirais que les deux compositeurs, tout comme d'autres, parviennent à susciter une émotion pure, bien que leurs méthodes diffèrent. Morricone, par exemple, combine un talent mélodique profond avec un aspect très savant de sa musique. Williams, de son côté, possède également une dimension savante, mais elle est moins prédominante, car elle n'est pas aussi intrinsèque à son style. Toutefois, lorsqu'on écoute sa musique de concert, on découvre qu'il peut explorer des terrains très complexes comme l'atonalité et une musique très exigeante, indépendamment de l'image. En revanche, lorsque sa musique accompagne un film, Williams excelle à créer non seulement une atmosphère adéquate pour le film, mais surtout à exprimer les pensées intérieures des personnages. C'est pourquoi le terme "émotion" figure dans les titres des deux livres : ces compositeurs sont des maîtres de nos émotions. Au cinéma, le son représente 50% de notre expérience, et s'adresse directement à notre cœur. Et à ce niveau-là, Williams est véritablement un maître.

L'atout majeur de cet ouvrage sur John Williams réside dans sa capacité à conjuguer différentes approches. Il propose une perspective chronologique et biographique, détaillant la vie de John Williams, ses origines et ses évolutions. L'analyse des musiques et de leur intégration dans les films est approfondie. Des fiches détaillées sur les films marquants de sa carrière sont présentées, ainsi que des anecdotes sur les coulisses des créations musicales. De plus, l'œuvre de Williams est mise en contexte avec l'époque, tant sur le plan de la société américaine que du cinéma. Il y est notamment question de l'émergence du blockbuster à Hollywood. Vous faites une comparaison intéressante de l'œuvre de Williams avec un château, incluant le grenier, la cave et les chambres secrètes. Quelles œuvres de Williams associeriez-vous à ces différentes parties du château ? Existe-t-il réellement différentes "pièces" dans son œuvre ?

JCM : Lorsqu'on mentionne John Williams, la plupart des gens évoquent des éléments emblématiques de ce "château". Que ce soit les pièces de "Indiana Jones", "Star Wars", "Superman", voire "Harry Potter". Toutefois, au-delà de ces pièces célèbres, j'ai eu à cœur d'explorer des zones moins connues. En passant en revue l'intégralité des bandes originales de John Williams, des années 50 à "The Fabelman", y compris le dernier "Indiana Jones", on découvre de nombreuses œuvres qu'il semble avoir lui-même oubliées. En interview, il admet souvent avoir composé énormément et oublié certaines de ses œuvres, se montrant très modeste. En explorant plus profondément, on trouve véritablement des pépites. Parmi elles, "Images" (Robert Altman, 1972) se distingue. Je tiens à souligner ce score car il est son travail le plus atonal et expérimental. Il a collaboré avec un percussionniste japonais et utilisé des instruments rares comme le cristal baschet, créant une ambiance sonore captivante, particulièrement adaptée au thème de la schizophrénie du personnage principal. Cette œuvre, divisée entre tonal et atonal, peut être appréciée indépendamment du film. Cet exemple illustre un des objectifs de ce livre : démontrer que la musique de film peut être écoutée en dehors de son contexte cinématographique. Parmi mes autres préférées, je cite la musique de "The Patriot", avec Mel Gibson, et celle de "Rosewood" de John Singleton, qui plonge dans les sonorités du sud américain. J'apprécie également le troisième "Harry Potter".

Pour explorer ce château et nous en révéler les différentes pièces, quelles ont été les clés pour ouvrir ces portes ? L'écoute des bandes originales a-t-elle été primordiale ? Avez-vous également revu des films ? Quelles ont été vos sources principales ?

JCM : Pour mener à bien ce projet, j'ai revu les 130 films pour lesquels il a composé la musique. Mes sources ont été variées, incluant notamment un podcast américain où chaque bande originale était détaillée avec des anecdotes sur leur création. J'ai également consulté de nombreux ouvrages, en anglais, et un en français publié en 2010. On peut mentionner aussi l'ouvrage de Chloé Huvet sur "Star Wars", qui m'a été particulièrement utile. Lorsqu'on souhaite aborder ces sujets en profondeur, il est essentiel d'avoir une formation musicale, ou de posséder des notions de musique. Il est judicieux de s'appuyer sur des travaux de musicologues reconnus. Même si on ne maîtrise pas tous les aspects de la musicologie, qui est un domaine complexe, il est important de connaître les bases pour éviter les erreurs.

Dans la partie biographique, vous retracez le parcours de John Williams, en soulignant ses racines dans le jazz et sa collaboration avec Henry Mancini. Vous mentionnez également ses influences provenant du symphonisme hollywoodien. Vous abordez l'idée qu'il est à la croisée de deux époques : celle du jazz à Hollywood et celle d'un renouveau du symphonisme. Comment expliquez-vous qu'il soit à l'origine de ce renouveau du symphonisme à Hollywood, tout en ayant des origines jazzistiques ?

JCM : Le parcours de Williams est intéressant car il a bénéficié d'une formation très classique, notamment à la Julliard School. Sa famille a déménagé à plusieurs reprises avant de s'installer définitivement à Hollywood, où son père travaillait. C'est grâce à lui qu'il a pu accéder à l'industrie hollywoodienne. Au début, Williams était pianiste et c'est en cette qualité qu'il a commencé à travailler dans le système hollywoodien, en participant à des bandes originales connues. À l'origine, il ne se voyait ni comme compositeur, ni comme chef d'orchestre. Cependant, il faut souligner que la présence constante de musiciens à son domicile et l'accès à des ouvrages de théorie musicale ont fortement influencé son développement. Dans les années 50, une loi interdisant la réutilisation des musiques dans les séries télévisées a contraint les studios à solliciter des musiciens pour composer de nouvelles heures de musique. Williams se trouvait alors dans un milieu très stimulant, aux côtés de compositeurs comme Lalo Schifrin et Quincy Jones. Sa filmographie, riche en musiques de séries télévisées, témoigne de cette période d'apprentissage intense. Sa carrière a progressé graduellement, passant d'arrangeur à chef d'orchestre, puis à compositeur de bandes originales. Sous l'influence de Henry Mancini dans les années 60, la musique de jazz dominait à cette époque. Ses premières œuvres, fortement marquées par cette influence, comme dans "Comment voler un million de dollars" (William Wyler, 1966), montrent une forte empreinte de Mancini. Progressivement, Williams a su s'éloigner de cette influence pour forger sa propre identité musicale, particulièrement dans des genres comme le western ou le film catastrophe. Cependant, il a conservé une profonde affection pour le jazz, qui constitue les fondations de son éducation musicale et, d'une certaine manière, l'âme de sa musique. Cette influence jazz se ressent fortement lorsqu'il y revient, notamment dans les génériques de "Catch Me If You Can" (Steven Spielberg, 2002) ou "The Terminal" (Spielberg, 2004), ainsi que dans "Tintin" (Spielberg, 2011), offrant un réel plaisir d'écoute, car on perçoit que Williams prend plaisir à composer, et nous partageons ce plaisir avec lui.

Ce livre se lit avec beaucoup de plaisir, grâce à votre talent pour le storytelling, presque comme si c'était un roman. La façon dont vous romancez la vie de John Williams est captivante, avec des rebondissements qui rappellent ceux d'une success story, mettant en lumière les événements qui l'ont soutenu ou entravé. On peut apprécier le passage où vous mentionnez que si Lalo Schifrin n'avait pas été indisponible pour "The Rivers", Williams n'aurait peut-être jamais rencontré Spielberg. Dans ce récit, ce qui fascine, c'est que parfois tout repose sur peu de choses, mais ces petits détails sont à l'origine de grandes œuvres.

JCM : Effectivement, Spielberg était un grand amateur de musiques de film, et il admirait particulièrement deux compositions de Williams, dont "The Rivers". Lorsqu'un responsable de Universal a organisé un dîner pour que Williams et Spielberg se rencontrent, Spielberg a immédiatement évoqué ces musiques, créant ainsi un lien fort entre eux. C'est ce qui a rendu leur collaboration si fructueuse : Spielberg a toujours su laisser une place importante à la musique de Williams, ce qui n'est pas toujours le cas dans d'autres collaborations. Dans l'histoire du cinéma, les meilleures collaborations sont souvent celles où le réalisateur accorde une véritable importance à la musique. Parfois, comme dans le cas de Hitchcock avec Herrmann, cela peut créer des tensions, mais avec Spielberg et Williams, il y a eu une véritable symbiose qui a perduré. Williams appréciait également les choix de scénarios de Spielberg, partageant une communauté d'esprit et de goûts, notamment pour l'histoire et la science-fiction. Leur collaboration est donc très naturelle. C'est pourquoi l'attente autour du prochain film de Spielberg est grande, d'autant plus que Williams a promis de revenir travailler pour lui.

Il est vrai que dans une collaboration, le réalisateur qui sait donner de l'espace à la musique joue un rôle crucial. De même, John Williams est un compositeur qui sait laisser de l'espace au cinéma. Lorsque le film est meilleur sans musique, il sait se faire discret. Cela témoigne d'une profonde compréhension et d'un amour pour le cinéma. Cependant, considérez-vous John Williams comme un véritable cinéphile ?

JCM : Cinéphile, je ne le pense pas vraiment. Comme Ennio Morricone, Williams est avant tout un travailleur acharné, véritablement esclave de son art. Il mentionne passer au moins une heure chaque jour à jouer du piano, à composer. De plus, il a donné de nombreux concerts tout au long de sa vie, ce qui ne lui laissait que peu de temps pour visionner des films. Cependant, il est un lecteur assidu. Comme je le mentionne dans mon livre, il est arrivé à quelques occasions que Williams contacte lui-même un réalisateur pour travailler sur un film après avoir lu et apprécié le livre dont il était adapté. Bien que cela soit rare, Williams l'a fait à trois ou quatre reprises.

Alors, certains critiques de John Williams le considèrent comme un plagieur, et dans votre livre, vous n'évincez pas cet aspect, vous affirmez qu'il est un pasticheur, c'est-à-dire qu'il assume le pastiche ?

JCM : Le style de Williams est à la fois caractéristique et adaptatif. On peut observer des pastiches, qui sont souvent plutôt des citations qu'il aime faire. Williams, à l'instar des grands compositeurs, maîtrise parfaitement l'histoire de la musique classique. Il lui arrive de faire référence au Dies Irae, un poème liturgique, ou d'utiliser la quinte juste dans des motifs héroïques, un procédé fréquent en musique classique. Williams est très érudit, une facette parfois masquée par son apparence affable et son sourire constant. Les musiciens qui ont travaillé avec lui m'ont souvent fait part de sa grande connaissance musicale. Son style ne s'adapte pas seulement aux différents sujets de films, mais aussi aux diverses formes de la musique classique. J'évoque notamment la fusion entre son style et des genres musicaux étrangers. Par exemple, dans "Mémoires d'une geisha" (Rob Marshall, 2005), il tente de s'adapter à l'univers musical japonais, mais la fusion est partiellement réussie, car les éléments restent quelque peu séparés. En revanche, dans "La Liste de Schindler" (Steven Spielberg, 1993), son style s'accorde très bien à la musique yiddish, tout comme dans "Rosewood" (John Singleton, 1997), où il fusionne harmonieusement sa musique avec l'americana du Sud américain.

En effet, dans votre livre, vous abordez la capacité de John Williams à changer de style, bien que vous n'utilisiez pas le terme "caméléon". Vous soulignez aussi sa versatilité à être à la fois mélodique et expérimental...

JCM : Dans nombre de ses compositions, certains morceaux peuvent être atonaux, bien que rarement l'ensemble du score. Cette diversité contribue grandement à la richesse de son œuvre. Par exemple, dans "La Guerre des Mondes" (Steven Spielberg, 2005) ou certains "Indiana Jones", et même dans "Harry Potter", il y a des passages atonaux. Son talent réside dans sa capacité à intégrer différentes formes musicales en une seule, qui sert le film tout en touchant le spectateur. Comme dans les "Indiana Jones", où il y a une scène avec des insectes : il utilise des percussions de manière très efficace. Williams ne se limite donc pas à un style spécifique, il voit la musique comme une boîte à outils à partir de laquelle il peut tout utiliser.

Dans votre livre, vous explorez également le côté humoristique du style de John Williams, en mentionnant qu'il sait aussi composer de la musique drôle.

JCM : Oui, la violoncelliste Cécilia Tsan m'a révélé, à ma surprise, que Williams est une personne très drôle. Apparemment, il fait souvent des blagues entre les enregistrements. C'est vraiment quelqu'un qui a un humour pince-sans-rire. Dans les nombreuses interviews que j'ai vues de lui, il apparaît toujours comme affable, agréable, souriant, et jamais déplacé, contrairement à Morricone, qui semblait être une personne plus complexe et torturée. Williams, bien qu'il n'ait pas ce côté tourmenté, a traversé une période difficile. Au milieu des années 70, le décès de sa femme a été un choc profond pour lui. Il a dû repenser complètement sa manière de travailler. Il a parlé plus tard de cette période comme d'une forme de renaissance, affirmant que cette perte l'avait, d'une certaine manière, poussé à poursuivre sa voie.

Vous mentionnez que la plus grande qualité de John Williams est sa capacité à capturer instantanément l'essence du sujet d'un film...

JCM : Absolument, ce n'est pas un talent donné à tous, et ce n'est pas un hasard si John Williams a souvent été appelé pour remplacer d'autres compositeurs qui ne répondaient pas aux attentes des producteurs. On opte alors pour la solution la plus sûre, et Williams, si on a le financement, est souvent le choix privilégié. Il est intéressant de noter que, contrairement à d'autres grands compositeurs, Williams n'a jamais été remplacé sur un projet. Cela ne signifie pas nécessairement qu'il est meilleur que les autres, peut-être a-t-il eu plus de chance. Mais cela illustre bien sa capacité à s'adapter précisément aux exigences du film. Il a collaboré avec de nombreux réalisateurs, comme Oliver Stone... et a su s'intégrer dans leur univers. L'aspect humain est crucial dans ces collaborations, car au-delà de l'aspect artistique, il faut pouvoir s'entendre avec les personnes impliquées.

Vous avez aussi cherché à être accessible, notamment pour les néophytes de la musique de film, en expliquant des termes techniques comme le spotting ou le temp track. Était-il important pour vous d'insérer ces explications ?

JCM : Oui, il était essentiel de rendre le livre accessible et de ne pas perdre le lecteur. C'était également une volonté de mon éditeur de créer un ouvrage grand public, pas uniquement destiné aux musicologues ou aux fans de musique et de cinéma, mais capable de toucher une audience plus large. Il était important d'expliquer certains concepts qui peuvent sembler complexes afin de donner aux lecteurs des outils pour approfondir leur compréhension s'ils le désirent. Écrire sur la musique présente le défi de devoir verbaliser quelque chose d'impalpable. C'est souvent plus simple dans un format audio, où l'on peut diffuser un extrait musical et les auditeurs saisissent immédiatement le concept. Mais dans un texte, il est crucial d'être précis et d'expliquer clairement les concepts pour que le lecteur puisse les comprendre pleinement.

Et à ceux qui pourraient craindre un ouvrage hagiographique, sans nuances, vous émettez parfois des réserves sur certaines partitions. Par exemple, vous considérez la musique de "Complot de famille" (1976) comme mal utilisée par Hitchcock, et vous émettez aussi des réserves sur "Minority Report" (Spielberg, 2002), où vous dites que "John Williams tourne en rond"...

JCM : C'est vrai, j'ai essayé de garder un esprit critique. Bien sûr, Williams est reconnu comme un grand compositeur, tout le monde le reconnaît, mais il arrive que certaines de ses œuvres soient moins pertinentes, ce qui, après tout, est une question de goût. Par exemple, "Hook" (Spielberg, 1991), que personnellement je trouve moyen, d'autres l'adorent. Il est aussi important de discuter des évolutions dans le design sonore : il y a eu une époque où la musique était très mise en avant, puis, plus récemment, dans les années 2010 et 2020, le design sonore a commencé à prendre plus de place, ce qui a parfois réduit l'impact de sa musique, la rendant moins audible.

D'ailleurs, cela soulève une grande question dans l'appréciation de la musique de film : doit-on juger la musique isolément ou dans son contexte cinématographique ? Avez-vous rencontré ce dilemme pour votre ouvrage, où une musique que vous appréciez isolément ne fonctionne pas aussi bien dans le film, et vice versa ?

JCM : C'est une question qui revient souvent. Williams lui-même dit que le spectateur ne devrait pas remarquer la musique, ce qui pourrait être perçu comme une forme de fausse modestie. Il a même parfois soutenu que la musique ne devrait pas être écoutée hors du contexte du film, puisqu'elle est conçue pour soutenir la narration. Mais en réalité, les bandes originales de Williams sont souvent écoutées indépendamment des films, et il est clair que dans certains cas, sa musique apporte beaucoup à l'œuvre cinématographique, tandis que dans d'autres, elle contribue moins. Néanmoins, il est difficile de séparer certains films de leur musique, comme pour "Indiana Jones" ou "Star Wars". Essayez de regarder les premières minutes de ces films sans son, et vous verrez ce qui manque. Cela illustre l'impact significatif de la musique de Williams sur le cinéma. Cependant, si l'on n'apprécie pas un film, il est rare que la musique nous le fasse aimer.

Vous avez fait un peu de comptabilité. Vous notez que dans ses premières années, John Williams a composé la musique de 25 films en 12 ans, soit deux films par an, ce qui est impressionnant comparé à ses vingt dernières années où il s'est presque exclusivement consacré à "Star Wars" et aux films de Spielberg. Comment expliquez-vous cette diminution de sa production cinématographique, qui ne semble pas uniquement liée à son âge ?

JCM : En réalité, Williams a choisi de libérer du temps pour se consacrer davantage à la musique de concert, un domaine qui a pris une place de plus en plus importante dans sa vie. John Williams n'est pas seulement un compositeur de musiques de films, il a également écrit des concertos, une symphonie, et diverses pièces pour des occasions spéciales. En dehors de la salle de concert, il a contribué à des événements majeurs, comme l'intronisation de Barack Obama ou des moments historiques liés à la déclaration d'indépendance des États-Unis, et a composé plusieurs hymnes pour les Jeux Olympiques. Ces informations sont détaillées à la fin de mon livre et illustrent la diversité et l'ampleur de ses sollicitations. Par ailleurs, pendant 15 ans, il a été le directeur du Boston Pops Orchestra, ce qui lui a demandé beaucoup d'engagement. Avec l'âge, il a pris la décision de réduire sa participation à des projets cinématographiques pour se concentrer sur la musique de concert, non par besoin de reconnaissance - car il était déjà largement reconnu - mais par goût personnel. Il est vrai que sa musique de concert peut être perçue comme plus exigeante et moins immédiatement accessible que ses compositions filmiques.

Et au-delà de ses choix personnels et de son manque de temps, pensez-vous qu'il pourrait y avoir aussi une difficulté d'adaptation de son style et de sa personnalité aux exigences de l'industrie cinématographique contemporaine ? Vous abordez cette question dans un chapitre intitulé "Quel est l'avenir de la musique de film". Cet avenir, tel qu'il se dessine actuellement, est-il en adéquation avec ce que John Williams peut et veut offrir ?

JCM : Je ne dirais pas que cet avenir ne lui convient plus, mais il est vrai que John Williams peut être considéré comme un "dinosaure" dans l'industrie actuelle. Il compose encore à l'ancienne, avec un crayon et du papier, tandis que la plupart des compositeurs modernes utilisent des outils numériques. Une anecdote révélatrice concerne le travail avec Alfonso Cuaron sur le troisième "Harry Potter". Il lui demande d'écouter les maquettes, et Williams lui répond qu'il n'en fait pas, l'invitant plutôt à venir écouter ce qu'il avait joué au piano. Il est, avec Lalo Schifrin, un des derniers représentants de ce que beaucoup considèrent comme l'âge d'or hollywoodien. Bien qu'il soit encore très respecté et aimé, capable de susciter l'espoir qu'il continue à composer, le paysage musical du cinéma a évolué. Les B.O de films récents, comme "Dune 2" ou "Blade Runner 2049", adoptent une esthétique très différente, où la musique semble fusionner avec le design sonore, se rapprochant davantage du sound design que de la composition musicale traditionnelle. Bien qu'il soit souvent mis en comparaison avec Hans Zimmer, l'autre grand nom bien connu du grand public, leurs approches sont fondamentalement différentes.

D'ailleurs, envisagez-vous de consacrer votre prochain ouvrage à Hans Zimmer ?

JCM : Non, je ne pense pas me pencher sur Hans Zimmer pour mon prochain livre. Bien que j'apprécie certaines de ses compositions, je ne suis pas particulièrement fan de son style. Je suis davantage attaché à une approche plus classique de la musique de films. Il y a encore de nombreux compositeurs de l'âge d'or hollywoodien qui mériteraient d'être mis en avant.

Vous n'avez pas eu l'occasion de rencontrer John Williams pour la rédaction de cet ouvrage. Maintenant qu'il est publié, aimeriez-vous le rencontrer ?

JCM : Rencontrer John Williams reste un de mes souhaits. Si je vivais à Los Angeles, cela serait probablement plus simple. Au début de mes recherches, j'ai contacté son agent pour voir s'il serait intéressé par une participation au livre, et il m'a répondu qu'il ne participait jamais à ce type de projet rédactionnel. Cependant, je n'ai pas ressenti de manque car Williams a donné de nombreuses interviews, aussi bien en vidéo qu'écrites, ce qui m'a fourni beaucoup de matière. Rencontrer John Williams en personne, et surtout assister à un de ses concerts, serait vraiment une expérience inoubliable. Malheureusement, il n'est pas prévu qu'il se produise en France.

Bonus Vidéo

Benoit Basirico & le compositeur Erwann Chandon parlent de John Williams : 

 

Propos recueillis par Benoit Basirico

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Interview B.O : John Williams par Jean-Christophe Manuceau (auteur, L'Oeuvre de John Williams)


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