Propos recueillis par Benoit Basirico
Dans le cadre d'une rencontre au Festival Music & Cinéma de Marseille
Cinezik : Michaël Dichter, quelle place occupe la musique dans votre parcours de réalisateur ? Et pour "Les Trois Fantastiques", à quel moment avez-vous commencé à y penser ?
Michaël Dichter : Nous avions déjà collaboré avec Hugo sur un court métrage intitulé "Pollux" (2018), qui a ensuite inspiré le long métrage. C'est donc notre deuxième collaboration. La musique occupe une place prépondérante dans ma vie, je l'écoute constamment et en toutes circonstances. Et j'apprécie particulièrement l'écoute de la musique dans les films, où elle joue un rôle crucial.
La musique que vous écoutez personnellement influence-t-elle celle de vos films ?
Michaël Dichter : C'est difficile à dire. Une bonne musique de film, selon moi, est celle qui s'intègre si bien qu'elle n'est pas forcément remarquée lorsqu'on regarde le film. Elle doit s'harmoniser avec l'image et l'action à l'écran. Par exemple, Daniel Johnston, un artiste que j'écoute régulièrement et que j'admire beaucoup, a un style qui correspond parfaitement à l'univers enfantin du film de par son approche très ludique.
Quelles étaient vos inspirations cinématographiques pour ce film ?
Michaël Dichter : Des films comme "Stand By Me" de Rob Reiner, que j'ai vu très jeune et qui était un pur divertissement. Plus tard, adolescent, il a pris une tournure plus sombre, et lors de mes visions ultérieures, notamment pour préparer "Pollux" et "Les Trois Fantastiques", il était véritablement poignant. J'ai également été inspiré par "Les Goonies" dans ma jeunesse, puis par "Stranger Things" plus récemment, sans oublier toute la filmographie de James Gray, notamment "Little Odessa", qui explore les relations père-fils et frère-frère.
Comment s'est déroulée votre rencontre avec Hugo Gonzalez-Pioli pour le court métrage ?
Hugo Gonzalez-Pioli : Nous nous sommes rencontrés à Montreuil, à une période où Michaël tenait un restaurant avec sa femme. Je l'ai rencontré en payant à la caisse en achetant mes sandwichs. Nous avons sympathisé, et notre amitié s'est rapidement développée. Un jour, il m'a proposé de composer la musique pour son court métrage, à quoi j'ai répondu favorablement. La collaboration a été très fructueuse, tant sur le plan musical qu'artistique et amical.
Ce court métrage constituait-il en quelque sorte une première ébauche de ce film ? Les réflexions initiales sur le court métrage ont-elles servi de tremplin pour le long métrage ?
Hugo Gonzalez-Pioli : Absolument, le court métrage a posé les bases thématiques qui ont été prolongées et développées dans le long métrage. Même si d'autres sujets, notamment ceux concernant le frère, ont été ajoutés. La musique a également subi une évolution, différente notamment dans l'instrumentation. Le film oscille entre différents genres, commençant comme un buddy movie avant de virer vers un ton nettement plus sombre. Il y a un retournement de situation et une évolution qui marquent une nette différence avec le court métrage.
Concernant la transition de la musique du court au long métrage, le long métrage offre-t-il plus de confort en termes de budget pour la musique ? Sur ce film en particulier, vous avez utilisé, par exemple, un quintette à cordes.
Hugo Gonzalez-Pioli : Effectivement, pour ce film, j'ai eu à ma disposition des musiciens, ce qui m'a donné une plus grande liberté et m'a permis de disposer d'une certaine aisance pour exprimer ma vision musicale. Toutefois, cela a également impliqué une augmentation de la charge et de la responsabilité. J'ai participé à la composition de plusieurs longs métrages en tant que co-compositeur, mais c'était mon premier en tant que compositeur principal, et la différence était palpable. C'était également le premier long métrage pour plusieurs membres de l'équipe, ce qui a créé de grandes attentes. Il était donc crucial que la musique réponde à ces attentes, et c'est ce poids que j'ai particulièrement ressenti.
Au générique du long métrage, figure une musique reprise du court métrage "Pollux", que vous aviez composée.
Hugo Gonzalez-Pioli : Effectivement, pour faciliter le travail de Sarah Ternat au montage, j'ai fourni toutes les musiques du court métrage. Une de ces musiques a été conservée car elle s'intégrait parfaitement au film.
Concernant la musique temporaire posée au montage, que le compositeur doit ensuite remplacer, vous vous êtes donc retrouvé à travailler à partir de vos propres compositions ?
Hugo Gonzalez-Pioli : Oui, effectivement, je préfère cela. Lorsqu'il y a des "grosses" musiques temporaires imposantes, il peut être difficile de s'en détacher car ce sont souvent des compositions émotionnellement puissantes.
Ce film est à la fois un film d'amitié et un film criminel, centré sur Max, Vivian et Tom, 13 ans. L'objectif de la musique était-il de mettre en avant chaque genre ou plutôt de suivre un arc narratif global centré sur ces enfants ?
Hugo Gonzalez-Pioli : Je pense que tout est construit autour des enfants. Bien que ce fût excitant d'explorer les différents genres, l'arc narratif est vraiment centré sur ce que les enfants ressentent, ce qu'ils vivent, et ce qui va se passer. Les thèmes évoluent en conséquence, avec une alternance de mélancolie, de tristesse, de tension, mais aussi de lumière et de fraîcheur au début. Tout est véritablement axé sur eux.
L'idée d'avoir un thème musical pour le film vous a-t-elle intimidé, Michaël Dichter ?
Michaël Dichter : Au contraire, c'était même une aspiration dès le départ. J'avais le désir d'un thème que l'on pourrait modifier, qui serait très lumineux, plus lent et plus profond. Ce thème traverse tout le film avec de nombreuses variations, utilisant différents instruments et tempos. Cette idée était si forte que la composition musicale a débuté un an avant même le tournage, dès la phase de scénario. Hugo s'amusait déjà avec des mélodies en lisant le scénario. Quand on lit un scénario et qu'on est déjà immergé dedans, c'est bon signe. Dès cette lecture, on pouvait déjà percevoir les différents genres du film, et Hugo explorait déjà ces thèmes avant même que nous ayons une seule image filmée. Le fait de vivre près l'un de l'autre a également facilité ce processus.
Plusieurs thèmes ont été proposés avant que celui du film ne soit retenu ? Pouvez-vous nous expliquer comment cela s'est déroulé ?
Hugo Gonzalez-Pioli : Initialement, j'ai proposé six thèmes au piano, mais il y en a un en particulier qui s'est distingué. C'est le thème joué à la guitare qui clôt le pré-générique, et qui a été finalement retenu. Nous l'avons ressenti tous les deux, puis nous l'avons fait écouter à toutes les personnes impliquées, y compris le producteur, et cela a suscité un coup de cœur général. Dans la pratique, je joue parfois la mélodie, mais je peux aussi proposer seulement les harmonies, les accords, pour suggérer subtilement certains moments, évitant ainsi de trop souligner certaines scènes et permettant à l'image de respirer.
Travailler sur le scénario permet-il d'anticiper certains placements de musique ? Qu'est-ce que cela change lorsque vous savez à l'avance que certaines séquences seront accompagnées de musique ?
Michaël Dichter : Les compositions musicales ne sont jamais définitives jusqu'à la post-production, elles sont toujours sujettes à des réarrangements, voire à des changements complets. Cependant, disposer de certaines musiques en amont, même si elles ne sont pas définitivement retenues, elles partagent une même énergie et s'avèrent particulièrement utiles pour les comédiens. Par exemple, pour plusieurs séquences du film, les enfants avaient déjà accès à la musique, nous la diffusions pendant qu'ils jouaient, créant ainsi une ambiance et une résonance particulière avec leur jeu. Il y avait une pièce musicale que nous mettions en boucle constamment pour nous immerger dans une certaine atmosphère. Après 35 jours de tournage à écouter continuellement cette musique, cela était nécessaire pour induire une intention particulière, notamment pour la séquence finale avec les armes, ou lors celle au bord du lac où le petit Vivian confie qu'il ne souhaite pas partir, conditionnant véritablement les acteurs à entrer immédiatement dans l'état émotionnel requis.
Des musiques initialement prévues pour une scène se sont-elles retrouvées dans un autre moment au montage ?
Hugo Gonzalez-Pioli : Cela arrive très fréquemment, car il est stimulant de tester différentes possibilités. Parfois, avec la monteuse, Sarah Ternat, nous envisageons de placer une pièce musicale là où je ne l'aurais pas imaginée. Souvent, cela fonctionne très bien. Cette musique pouvait convenir à plusieurs scènes, mais nécessitait alors des réarrangements. Il arrive que des ajustements surprenants, comme décaler une musique d'une seconde, puissent complètement révéler ou transformer une scène.
Concernant le choix des instruments, de la harpe à l'accordéon, ces choix étaient-ils intentionnels et comment ont-ils influencé le film ?
Hugo Gonzalez-Pioli : En effet, j'ai intégré un accordéon sur une piste, discrètement, car Michaël était réticent à l'idée de l'utiliser. Toutefois, je trouvais qu'il apportait un rythme essentiel, particulièrement au début du film, dans les scènes plus légères et solaires. Cette approche, qui consistait à agiter légèrement le soufflet, contribuait à créer du rythme et de la dynamique. L'objectif était d'offrir une sonorité très acoustique au début, où l'on ressentait distinctement le grain des guitares et autres instruments. Certaines autres pistes comportent des nappes sonores, permettant de plonger plus profondément dans l'atmosphère du film, et d'illustrer la maturité précoce accélérée du personnage.
Le film explore une dimension presque féerique avec des instruments comme la flûte, la harpe et des percussions cristallines comme le glockenspiel...
Hugo Gonzalez-Pioli : C'était effectivement un choix délibéré, visant à insuffler une grande mélancolie à l'œuvre. Michaël et moi en discutions souvent, nous souhaitions, notamment vers la fin du film, après toute cette tension, créer une atmosphère mélancolique enveloppante, permettant de descendre graduellement les niveaux d'intensité tout en exprimant la déchirure d'une amitié qui se brise. L'utilisation de ces instruments, évoquant l'univers des contes, faisait partie de cette vision artistique que Michaël et moi chérissions.
Propos recueillis par Benoit Basirico
Dans le cadre d'une rencontre au Festival Music & Cinéma de Marseille
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