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Cannes 2024

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par Benoit Basirico

- Publié le 24-05-2024




ette sélection des musiques entendues dans les films vus des différentes sections du festival présente quelques coups de cœur (à la fois musicaux et cinématographiques). On y entend un piano épuré pour un bouleversant mélo en retenue, des notes synthétiques pour un deuil, ou encore un violoncelle pour la Corse. 

Coups de Coeur (Films et Musiques originales)

Le Roman de Jim (Arnaud Larrieu, Jean-Marie Larrieu ) ★★★★ - BO : Bertrand Belin, Shane Copin (Cannes Première)

Le chanteur Bertrand Belin (présent au casting, retrouvant les cinéastes après "Taratata") et Shane Copin (également acteur) ont composé la musique de la chronique des frères Arnaud et Jean-Marie Larrieu. Cette oeuvre relate l'histoire d’Aymeric (Karim Leklou), qui fréquente Florence (Laetitia Dosch) au moment où elle attend l'enfant d'un autre (Christophe - interprété par Bertrand Belin) et décide de l'élever. Le film se transforme en mélo lorsque le père biologique fait son apparition, mais la musique reste discrète, s'exprimant à travers la simplicité d'un piano qui dessine un thème parcourant le film. Les émotions surgissent avec délicatesse, la musique réussissant à préserver cette pudeur. Avec le prénom du personnage et la relation triangulaire, il est impossible de ne pas penser à "Jules et Jim" de Truffaut, ce qui confère au sentiment musical un mélange d'allégresse et d'amertume.

Les Linceuls (David Cronenberg ) ★★★ - BO : Howard Shore (Compétition)

Howard Shore retrouve son fidèle cinéaste canadien, David Cronenberg, après "Les Crimes du Futur" (2022) dans une veine intime traitant du deuil d'un homme d’affaires (Vincent Cassel), adepte de nouvelles technologies, qui a inventé un système permettant de se connecter aux défunts dans leur tombe. Du drame concernant la perte de l'être aimé à l'enquête (la recherche des coupables ayant vandalisé les tombes), mêlant espionnage et complotisme, le film avance de manière spectrale, peuplé par ses fantômes, comme si le personnage faisait partie de l'autre monde, dévitalisé par son deuil. La musique, avec ses notes synthétiques, propose des textures enveloppantes tel un linceul, se prolongeant dans le temps, contribuant à une certaine stagnation du récit, et invitant à se concentrer sur le verbe, sur des échanges qui soulèvent des questionnements existentiels finissant par envoûter, fasciner et émouvoir.

Le Royaume (Julien Colonna ) ★★★ - BO : Audrey Ismaël (Un Certain Regard)

Audrey Ismaël signe la musique du premier film de Julien Colonna, qui relate le premier été adolescent de Lesia (interprétée par Ghjuvanna Benedetti) en Corse, en 1995. Étant la seule fille dans un monde d'hommes, celui des guerres de clans, quelques textures de violoncelle viennent soutenir les tensions, les actes criminels et la cavale tandis que le piano, plus doux, épouse le regard de cette jeune femme tout juste sortie de l'enfance, et évoque la relation qu'elle entretient avec son père, un axe émotionnel fort du récit. • Interview de la compositrice

Maria (Jessica Palud ) ★★★ - BO : Benjamin Biolay (Hors Compétition)

Benjamin Biolay compose la musique du biopic réalisé par Jessica Palud, centré sur l'actrice Maria Schneider (interprétée par Anamaria Vartolomei) et son traumatisme à la suite du tournage du film "Le Dernier Tango à Paris", face à ses "deux violeurs". Le piano dessine son chemin intérieur, tandis qu'un violon et un violoncelle en solo insufflent une touche lyrique pour évoquer la force de résilience du personnage, tout en laissant percevoir sa vulnérabilité, et menant à une dimension romanesque. En outre, au milieu des tournages et des instants privés avec une jeune étudiante, Maria visite un club de danse où l'on entend alors deux chansons (dont "Psycho Killer" des Talking Heads).

• A venir : Interview de la réalisatrice. 

Autres présences musicales

Miséricorde (Alain Guiraudie ) ★★★★ - BO : Marc Verdaguer (Cannes Première)

Marc Verdaguer, compositeur pour Albert Serra dans "Pacifiction", rencontre Alain Guiraudie, qui avait auparavant fait appel à Xavier Boussiron. Le film raconte le retour de Jérémie (Félix Kysyl) dans son village pour un enterrement, ravivant divers sentiments parmi ses proches (désirs, jalousies, etc.). La musique se limite à ouvrir et fermer le film, avec une seule pièce au début qui nous invite à entrer dans l'histoire, sur un long travelling le long d'une route rurale avec l'arrivée du personnage au village, puis à la fin pour boucler la boucle.

The Apprentice (Ali Abbasi )  ★- BO : Martin Dirkov, David Holmes, Brian Irvine  (Compétition)

Martin Dirkov retrouve Ali Abbasi après "Border" (2019) et "Les Nuits de Mashhad" (2022) dans le registre orchestrale et texturale pour cette chronique politique sur le lancement de Trump, tandis que David Holmes & Brian Irvine complètent la BO dans le registre plus energique du rock (percussions, guitares). On y entend aussi divers emprunts, du punk expérimental des Consumers, à la salsa colombienne avec Fruko y sus Tesos, en passant par le soul suave de George McCrae et l'électro emblématique de New Order, jusqu'à des oeuvres classiques intemporelles de Haydn et Beethoven.

Motel Destino (Karim Aïnouz ) ★ - BO : Amine Bouhafa (Compétition)

Amine Bouhafa rencontre Karim Aïnouz pour ce thriller érotique brésilien après que le cinéaste ait fait appel à Benedikt Schiefer pour "La Vie invisible d'Euridice Gusmao" (2019) et "Le Marin des montagnes" (2023), ainsi qu’à Dickon Hinchliffe pour "Le Jeu de la Reine" (2024). Le film se déroule en huis clos dans un motel, théâtre, à l’abris des regards, de jeux dangereux faits de désir, de pouvoir et de violence. La programmation électro (voire techno) du compositeur accentue la lumière crue, les couleurs vives et les effets de stroboscopes de néons, tandis que la guitare électrique évoque un univers de western et représente le paysage désertique entourant le motel, situé sur la côte nord-est du Brésil. Des textures de cordes viennent renforcer les scènes de violence et de traque.

Utilisation exclusivement de titres préexistants

Grand Tour (Miguel Gomes) ★★★★  (Compétition)

Le portugais Miguel Gomes propose un film d'aventure situé en Birmanie en 1917 sur une femme, Molly, qui part à la recherche de l'homme qui devait l'épouser avant de fuit. Ce voyage intime et romantique à travers l'Asie qui n'est pas dénué de dangers et d'étrangeté est ponctué par un voyage musical éclectique à travers le monde et les époques, allant de la musique traditionnelle asiatique et européenne, avec des pièces de Shwe Tai Nyunt et Johann Strauss II, à des classiques de la pop et de la musique romantique comme "My Way" de Frank Sinatra d'après Claude François et les opéras de Giuseppe Verdi, tout en invitant le jazz avec Jelly Roll Morton.

Anora (Sean Baker ) ★★★★ - Matthew Hearon-Smith (supervision musicale) (Compétition)

Sean Baker filme la rencontre entre une jeune strip-teaseuse  de Brooklyn et le fils d’un oligarque russe, entre New York et Las Vegas, dont le ton oscille magistralement entre la comédie, la romance, le conte de fée (Cendrillon), et la traque criminelle. Les personnages sont depeints comme chez les frères Coen dans leur pureté d'esprit, leur bétise ou leur désarroi. Dans le contexte des danses érotiques et des différents lieux de musiques présents, on entend une multitude de morceaux qui s'étend des remixes actuels de hits populaires, avec le travail de Robin Schulz sur "Greatest Day" de Take That, aux classiques du hip-hop de DMX, en passant par des explorations électroniques signées Electropoint, de la pop, du hip-hop, et même de la musique folklorique russe.

The Village Next to Paradise (Mo Harawe ) ★★★★ (Compétition)

Le premier film de Mo Harawe se déroule dans un petit village du désert somalien, brûlant et balayé par le vent, où nous découvrons la précarité d'une famille : un père célibataire s'échinant dans de multiples petits emplois pour offrir à son fils Cigaal une vie meilleure, une sœur de retour suite à un divorce, le tout sur fond de pays déchiré par la guerre civile et frappé par les catastrophes naturelles. À l'instar du Finlandais Aki Kaurismäki, le désarroi des personnages et leur mutisme sont mis en contraste avec des couleurs vives et des chansons d'Afrique de l'Ouest - mauritaniennes, somaliennes ou éthiopiennes - qui célèbrent l'amour, la confiance et la résilience. Ceci est particulièrement palpable à travers la musique de fin, optimiste et instrumentale, qui évoque une boîte à musique agrémentée de notes de jazz.

 

par Benoit Basirico


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