Propos recueillis par Benoit Basirico
Dans le cadre d'une rencontre au Festival Music & Cinéma de Marseille
Cinezik : Vous venez de la musique électronique avec votre projet "Vimala" ?
Adrien Casalis : Effectivement, mon projet de musique électronique "Vimala" me permet de sortir des EP, et je prépare un album depuis 2017. C'est grâce à une série que j'ai découvert la musique à l'image. Mon travail, qui mêle des ambiances cinématographiques à l'électronique, a séduit des réalisateurs. C'est ainsi que j'ai eu l'opportunité de composer la musique de "Six Pieds sur Terre", mon premier long-métrage, même si entre temps j'ai eu un autre long-métrage, "La Tête Froide" de Stéphane Marchetti, sorti en janvier dernier.
Votre deuxième long-métrage est donc sorti avant le premier ?
Adrien Casalis : Oui, c'est exact. "La Tête Froide" est plus proche de mon style électronique habituel. Stéphane appréciait mon travail dans ce domaine, et je lui ai donc envoyé des maquettes personnelles. Il avait une référence pour la musique du film, Giorgio Moroder, et je m'en suis inspiré.
Quels sont vos goûts musicaux en matière de musique de film ?
Adrien Casalis : Je suis cinéphile et j'ai écouté beaucoup de musiques de film. "Premier Contact" de Jóhann Jóhannsson et "Good Time" de Oneohtrix Point Never sont des exemples de partitions qui m'ont marqué et qui m'ont ouvert de nouvelles perspectives sur la façon de concevoir la musique de film.
Pour "Six Pieds sur Terre", vous vous êtes éloigné de l'électronique, intégrant notamment des cordes. Comment s'est passée votre rencontre avec le réalisateur, Karim Bensalah ?
Adrien Casalis : Nous nous sommes rencontrés grâce au dispositif "Emergence", qui mettait en relation réalisateurs et compositeurs. J'ai eu la chance d'être sélectionné pour deux projets grâce à ce dispositif, dont celui de Karim. Nous avons commencé par expérimenter la musique sur quelques scènes du film, et cette collaboration a abouti à ce long-métrage.
Quel a été votre premier contact avec le film ?
Adrien Casalis : Mon premier contact avec le film a été le scénario, que Karim m'a envoyé. J'ai été très touché par ce scénario, beaucoup plus long que le film final. Ensuite, grâce au dispositif "Emergence", nous nous sommes concentrés sur une scène en particulier pour l'expérimenter.
Le personnage central est omniprésent dans le film. Avez-vous envisagé de souligner ses origines arabes à travers la musique ?
Adrien Casalis : Karim souhaitait une musique originale qui ne donne pas d'informations sur l'origine ou la culture du personnage. Si ces éléments devaient être présents, ce serait de manière inconsciente. Le travail musical consistait donc à exprimer l'intériorité du personnage plutôt que de simplement illustrer ou donner des indications.
La musique se concentre en effet sur l'intériorité du personnage, notamment dans une scène dans un bar lorsque la musique prend le relais des sons ambiants. Est-ce que cela était prévu dès le scénario ?
Adrien Casalis : Non, pas du tout. Karim m'a souvent surpris. Cette musique n'était pas prévue initialement, mais il avait besoin de cette émotion à ce moment-là. Il y a eu de nombreux allers-retours, avec des versions contenant plus ou moins de musique.
Le travail de composition pour un film se fait souvent par soustraction...
Adrien Casalis : C'est vrai. J'aime proposer beaucoup de matière au départ, car il est plus facile d'enlever ensuite et de voir ce qui fonctionne le mieux.
Pour vous guider, le réalisateur vous a-t-il donné des références musicales ou un langage musical spécifique ?
Adrien Casalis : Non, notre collaboration était assez atypique. Nous avons beaucoup parlé d'art contemporain, d'expositions, de livres... C'était très abstrait au début, mais cela m'a aidé à comprendre sa vision du film. Il n'y avait pas de langage musical précis, c'était à moi d'interpréter.
La musique suit le parcours initiatique du personnage, elle évolue, commençant par des notes discrètes pour atteindre un certain lyrisme. Avez-vous pris en compte cet arc narratif dès le début ?
Adrien Casalis : Oui, c'était l'idée. Il s'agissait de suivre le personnage en construction, et la musique se construit avec lui. Cela commence par un bruit de fond, une sorte de "noise", qui se transforme progressivement en musique harmonique. Il y a des thèmes cachés, pas forcément mélodiques, mais plutôt des couleurs, des timbres.
La musique des scènes de pompes funèbres est empreinte d'une certaine douceur. Était-ce un choix délibéré pour éviter d'alourdir la gravité ?
Adrien Casalis : L'idée était de rester dans la tête du personnage, qui est perdu au début du film. La musique tente d'exprimer ses émotions de manière sensorielle.
Il y a beaucoup de musiques intradiégétiques, qui font partie du récit, les avez-vous considérées en lien avec votre musique ?
Adrien Casalis : Les musiques de club ne sont pas faciles à intégrer dans une partition originale. Un ami de Karim a composé cette musique de club, et elle fonctionne parfaitement. L'idée était de créer deux mondes distincts, la musique du club n'exprimant pas l'intériorité du personnage. J'ai tout de même composé une musique intradiégétique, de l'italo-disco, pour la scène de la station-service. Karim voulait absolument ce style de musique à ce moment-là. Et la musique de fin ("Todo Homem" de Caetano Veloso), choisie par Karim dès le début, fonctionne très bien avec le dernier plan du film. Elle marque une rupture avec la musique du reste du film et symbolise l'envol du personnage.
Vous considérez votre rôle de compositeur comme celui d'un personnage à part entière ?
Adrien Casalis : Oui, l'un des défis majeurs pour un compositeur est de trouver sa place dans un film. Il y a déjà l'image, les acteurs, l'histoire, les émotions... Mon rôle est d'aider à renforcer le ressenti général, de contribuer à l'émotion du film.
Malgré son rôle d'expression de l'intériorité, la musique demeure hybride et hétérogène. Comment avez-vous travaillé cette multiplicité ?
Adrien Casalis : Cela s'est fait naturellement grâce au processus de collaboration avec Karim. Je lui ai proposé de nombreuses maquettes, certaines créées spécifiquement pour le film, d'autres préexistantes. La musique provient donc de différentes sources.
Comment avez-vous travaillé les cordes pour vos maquettes ?
Adrien Casalis : J'ai utilisé un mélange de samples, de VSTs (plugins audio), et j'ai passé les sons dans des enregistreurs à bandes et cassette pour obtenir ce son éthéré. Mon frère, violoncelliste, m'a également enregistré des parties de violoncelle.
Quel est votre rapport à la voix ? On n'entend pas de voix dans votre partition, mais en utilisez-vous dans votre travail ?
Adrien Casalis : Oui, j'utilise de plus en plus la voix dans mon projet électro. Je chante sur mes morceaux et j'intègre parfois la voix dans mes compositions pour la musique à l'image. C'est un outil très expressif.
Avez-vous travaillé avec un superviseur musical sur ce projet ?
Adrien Casalis : Non, pas sur celui-ci. Le budget était limité et l'équipe réduite. Les choix musicaux ont été faits principalement entre Karim, la monteuse et moi.
Ressentez-vous que la musique est de plus en plus considérée dans la production des films ?
Adrien Casalis : Oui, le métier évolue. Les producteurs sont de plus en plus conscients de l'importance de la musique et y pensent plus tôt dans le processus de création. J'ai eu la chance de travailler sur des scénarios avant même le tournage, ce qui me permet de m'impliquer davantage dans le projet. Que ce soit les producteurs ou les réalisateurs, ils ont tous voulu intégrer la musique très tôt dans le processus. J'ai pu discuter de la musique et avoir ma place dans les décisions. C'est une évolution positive par rapport à il y a quelques années, où la musique était souvent considérée comme secondaire. Les mentalités changent.
Propos recueillis par Benoit Basirico
Dans le cadre d'une rencontre au Festival Music & Cinéma de Marseille
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