Interview B.O : Jérémy Clapin, PENDANT CE TEMPS SUR TERRE (musique de Dan Levy)

Au cinéma le 3 juillet 2024

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Propos recueillis par Benoit Basirico
Dans le cadre d'une rencontre au Festival Music & Cinéma de Marseille

- Publié le 01-07-2024




Dan Levy retrouve Jérémy Clapin sur PENDANT CE TEMPS SUR TERRE (au cinéma le 3 juillet 2024), film en prises de vues réelles après le film d'animation "J'ai perdu mon corps" (2019). Les choeurs dans la partition semblent représenter la voix extraterrestre qui communique avec Elsa (Megan Northam), âgée de 23 ans, au moyen d'une graine à insérer dans l'oreille, et qui retient en otage son frère astronaute. 

Cinezik : Vous retrouvez Dan Levy après "J'ai perdu mon corps". Est-ce que votre collaboration a évolué avec ce nouveau film ?

Jérémy Clapin : Il est intervenu plus tôt cette fois-ci, dès l'étape d'écriture. Il a commencé à s'imaginer le film et à écrire des musiques. Cela m'a aidé pour les scènes d'animation. La musique était très importante pour ces moments. Je voulais qu'elle les rende encore plus importants. J'avais besoin d'un soutien musical sur les parties animées, car il n'y avait pas de son dessus. Bien sûr, avec le montage, il y a ensuite une adaptation, les choses changent un peu, mais la couleur du film et les choix principaux, les intentions principales, étaient déjà posés. Ce film est parti d'une fascination pour l'espace, cet endroit où on n'ira jamais, mais qui nous fascine. C'est ce dialogue entre ces deux mondes, la Terre et l'espace, qui sont en permanente collision mais qui ne se rencontrent jamais réellement. C'est comme l'imaginaire qui regarde le réel, le passé qui regarde le présent. Ces deux mondes face à face qui se touchent quelque part. Je voulais raconter l'histoire d'un personnage dans cette zone floue, entre le passé et le présent, entre le monde des vivants et celui des fantômes. Une femme sur Terre, fascinée par quelque chose dans le vide au-dessus d'elle.

Y a-t-il eu un brief musical de votre part ?

Jérémy Clapin : Oui, même si Dan fait ce qu'il veut, il y a quelques indications. Il fallait une musique verticale, qui nous élève, car nous partions de la prise de vue réelle pour aller vers quelque chose de sacré. Voilà les pistes que je lui ai données. Pour le reste, je lui laisse les clés de l'appartement. C'est quelqu'un qui travaille assez vite, il est force de proposition. Nous cherchons un peu ensemble, mais il propose beaucoup de choses, et j'arrive assez vite à trouver le chemin.

La musique occupe une place importante dans vos films...

Jérémy Clapin : La musique au cinéma, si je l'aime, c'est pour l'entendre, pour qu'elle compte. Ce n'est pas de la musique d'illustration. Donc souvent, je dis au sound designer "là, tu ne mets rien, parce qu'il y aura de la musique". On ne peut pas mettre des petits bruits de pas quand il y a une musique censée passer devant. Il y a toujours un peu ce combat, mais il y a des choix à faire. Donc il y a des ajustements avec le compositeur. Mais généralement, Dan comprend assez vite. Et l'écriture de la musique révèle aussi des choses sur le film, elle apporte un autre calque d'écriture.

Il y a des voix entendues par le personnage, comme à travers un casque. Est-ce que l'idée était que la musique ne vienne pas rivaliser avec ce que le personnage entend ?

Jérémy Clapin : Oui, c'est la voix de Dimitri Doré, très présente. Il ne fallait pas que la musique jure avec ça. C'est un film qui part beaucoup dans l'intériorité. La musique prend en charge cet aspect intime.

Il y a des choses qui font penser musicalement à John Carpenter, comme dans "Scanners", où la musique joue une sorte de liaison invisible entre les êtres, comme un pouvoir, et même le pouvoir de tuer, comme dans la scène de la forêt ici. Comment cela s'est-il travaillé avec Dan ?

Jérémy Clapin : Dan prépare la scène avec sa musique. Quelque chose qu'on ne voit pas va être amené, comme une tension, bien en amont. Souvent avec Dan, on essaie d'avoir des partitions assez longues. On n'aime pas fracturer la musique juste pour un élément illustratif. On essaie de démarrer avant la scène pour donner une logique et amener le spectateur dans la séquence. Le temps musical est important, on l'étire.

Ce qui est intéressant dans votre filmographie, c'est cette idée cyclique du retour d'une mélodie. On le retrouve dans "J'ai perdu mon corps", avec le thème de la main, le thème de la relation du jeune homme avec la fille. On le retrouve dans "Skhizein" (2008). Et ici, sur la question du deuil, il y a un motif qui revient. Comment se travaille ce placement de la mélodie, cette architecture narrative de la musique ?

Jérémy Clapin : Je pense qu'à l'écriture, lorsque je raconte mon film à Dan, il perçoit ces différentes narrations. Par exemple, Elsa (Megan Northam) parcourt l'EHPAD où elle travaille comme s'il s'agissait d'un vaisseau spatial. Il y a une superposition de son quotidien, de ce qu'elle fait dans l'EHPAD, et du vaisseau. Elle tourne en rond, comme habitée par quelque chose qui la dépasse. Dans la forêt, elle est guidée, elle ne va jamais vraiment où elle le souhaite. Ces superpositions de trajectoires sont une composante visuelle et narrative du film. Dan s'appuie sur cela pour développer sa musicalité de manière cohérente. Son écriture ne se conforme pas simplement à une séquence, elle résonne dans tout le film.

La musique semble réveiller une part mystique. Est-ce conscient chez vous ?

Jérémy Clapin : Je pense que la musique déclenche des choses irrationnelles. C'est très charnel. Quand je me rappelle de la musique d'un film, c'est bon signe. Mais ce n'est pas forcément quelque chose qu'on a dès le départ dans le scénario. C'est un travail d'épure pendant la fabrication. On affine l'écriture et on finit par mieux comprendre le film, grâce à la musique.

La présence des chœurs, est-ce un choix de Dan ?

Jérémy Clapin : Oui, au départ je lui ai parlé de quelque chose de sacré, qui questionne le monde des morts, sans être religieux. Il fallait monter très haut. Je n'avais pas pensé au chœur. J'avais des musiques de référence, mais dès que je lui montre une musique, il fait autre chose. Tant mieux, je préfère ça. Je préfère qu'il me contredise, mais que ce soit cohérent. C'est une nouvelle création, je lui laisse les clés. Je donne une référence, mais il ne faut pas la prendre au pied de la lettre. Il faut aller plus loin.

 

Propos recueillis par Benoit Basirico
Dans le cadre d'une rencontre au Festival Music & Cinéma de Marseille


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