,hisaishi, - Joe Hisaishi et Hayao Miyazaki, une paire d’artistes pour un seul univers Joe Hisaishi et Hayao Miyazaki, une paire d’artistes pour un seul univers

,hisaishi, - Joe Hisaishi et Hayao Miyazaki, une paire d’artistes pour un seul univers

par Benoit Basirico - Publié le 01-01-2020




Joe Hisaishi, né le 6 décembre 1950 de son vrai nom Mamoru Fujisawa, est le compositeur japonais le plus célèbre dans le monde. Il a commencé sa carrière par des musiques minimalistes privilégiant le synthétiseur et les textures électroniques. C’est par le cinéma qu’il révèle son talent de mélodiste et son style orchestral. Même s’il a conçu d’illustres partitions à l’écran pour Takeshi Kitano (Hana-Bi, 1997), c’est avec Hayao Miyazaki qu’il fait son apparition au cinéma, et qu’il s'affirme véritablement comme l’un des plus grands compositeurs de musiques de films. De 1984 (et son premier film Nausicaä de la vallée du vent) à aujourd’hui, ses créations à l’image se sont de plus en plus éloignées de sa musique personnelle, délaissant le digital pour davantage de violons. Avec John Williams et Ennio Morricone, il est celui qui a su toucher un large public avec sa musique d’orchestre.

Un tandem indissociable

Joe Hisaishi débute donc au cinéma avec Hayao Miyazaki (sur Nausicaä de la vallée du vent, 1984), et ces deux-là sont depuis devenus inséparables. Le compositeur a su traduire par ses notes le monde féérique du réalisateur, préservant ses équilibres (entre la gravité et la farce), prolongeant les sujets abordés (la tolérance, l'écologie, l'éducation), où les animaux, la nature et l'enfance ont une place centrale. Pour parvenir à une telle alchimie, cette collaboration s'opère à toutes les étapes, de la lecture du scénario au montage (pour s'adapter au rythme des images), en passant par les discussions méticuleuses face au storyboard. La musique n'intervient ainsi jamais par hasard. Elle se met au diapason de l'image de manière très précise. Loin du systématisme hollywoodien qui consiste à illustrer ce qui se joue dans chaque scène, elle ne cherche pas à combler les silences et sait préserver le réalisme d'un lieu (comme la présence très tatiesque des sons du village de Kiki la petite sorcière, 1989), conjuguant malicieusement le trivial avec le merveilleux.

Les partitions de Hisaishi jouent autant sur l'intime que sur l'épique, incarnant l'univers double du cinéaste dont les oeuvres se situent à la frontière de ces deux dimensions. Dans une veine naïve et épurée (Mon voisin Totoro, Kiki, Porco Rosso), la retenue musicale domine, malgré quelques majestueuses échappées. Le rapport s'inverse sur la dernière partie de l'oeuvre (Princesse Mononoke, Le Château ambulant) avec un lyrisme prépondérant, tout en conservant par instants un piano seul pour la touche plus intérieure et nostalgique. La musique contribue également à caractériser les personnages. Une légèreté d'écriture rend compte de la gentillesse du monstre Totoro, un lyrisme candide à la mélodie simple accompagne la jeune fille Kiki dans son initiation au monde, les exploits de Marco (Porco Rosso, 1992) sont encouragés par des cordes victorieuses, ou encore la gravité des cordes témoigne du caractère désabusée de la petite Chihiro. Avec poésie, le compositeur dépeint les préoccupations de l'enfance, sans oublier le combat des adultes. Ses partitions
embrassent la diversité des émotions (la peur, le courage, le réconfort, l'espoir...).

Des mélodies limpides

Joe Hisaishi s'est affirmé comme un grand inventeur de thèmes. Il parsème les films du cinéaste de ritournelles facilement mémorisables, qui deviennent comme des hymnes, conférant aux oeuvres leur caractère intemporel. Cette dimension est accentuée dans (presque) chaque film par la présence d'une chanson déclinant le thème principal sous une forme vocale et pop. Cette jubilation mélodique témoigne d'une certaine générosité qui va de pair avec la candeur des histoires. Cela n'est pas dénué néanmoins de cruauté (le monde cauchemardesque du Voyage de Chihiro, 2001), et de terreur (la fin du monde redoutée de Princesse Mononoke, 1997). Le compositeur épouse ainsi les changement d'humeur du récit, s'amuse à varier constamment les registres de sa partition, alternant motifs guillerets et profonds sur un rythme haletant. Un sentiment de vitesse est omniprésent dans la musique, stimulant les différentes courses poursuites qui constituent les films (dans les airs, les nuages, les tunnels, en train...).

Une instrumentation hybride

Joe Hisaishi aime varier les timbres et les styles. Il associe le synthétiseur et l'orchestre, allie avec brio la musique symphonique avec les instruments traditionnels japonais (Mononoke, Chihiro). Il fusionne le classique et le moderne, l'occidental et l'oriental. Nausicaä, Le Château dans le ciel (1986) et Mon voisin Totoro (1988) alternent pièces orchestrales et compositions électroniques en intégrant des sonorités plus improbables, tel la guitare électrique saturée dans le premier pour évoquer la fureur de l'insecte géant, ou bien le xylophone et le tambour pour l'atmosphère bucolique du second. Puis il délaisse progressivement le synthé à partir de Porco Rosso pour produire des partitions entièrement orchestrales et plus homogènes, La Princesse Mononoke étant le point culminant de sa veine classique. Le piano reste toujours son instrument de prédilection, dont la pureté se veut rassurante, même au sein de ses partitions les plus symphoniques. Sa souplesse instrumentale le fait passer d'un instrument à l'autre avec une fluidité étonnante, avec toujours le fil conducteur d'un air mélodieux.

Hayao Miyazaki avait indiqué prendre sa retraite après Le Vent se lève mais on se réjouit qu'un nouveau (ultime ?) long métrage soit annoncé. Il avait déjà fait ce type d'annonce après La Princesse Mononoke avant de se raviser. On ne sait pas quand le maître de l'animation japonaise va effectivement tirer sa révérence, mais quoiqu'il arrive, Joe Hisaishi (de neuf ans son cadet) est fidèle au poste et toujours vaillant. Il a pu par ailleurs exercer son talent sur un autre film des Studios Ghibli : Le Conte de la princesse Kaguya (de Isao Takahata, 2013).

Un parcours référencé

Le duo Hisaishi/Miyazaki s'amuse à tisser une toile de citations et d'hommages. Quand le cinéaste s'inspire de l'Europe (Le Roi et l'oiseau de Paul Grimault pour le Château dans le ciel, les contes de Charles Perrault pour Le Château ambulant, Alice aux pays des merveilles de l'anglaise Lewis Carroll dans Le Voyage de Chihiro...) le compositeur se tourne vers l'Italie avec une mandoline sicilienne pour Le Vent se lève qui rappelle Nino Rota. Il convoque aussi l'italien Gioachino Rossini (mais aussi Bizet et Rachmaninov) dans Porco Rosso. Les nombreuses références classiques se retrouvent dans Ponyo sur la falaise (les Walkyries de Wagner pour la chevauchée des vague, La Mer de Debussy pour installer l'élément marin en ouverture), dans Nausicaa (la Sarabande de Haendel lors de la résurrection finale), ou encore une valse viennoise dans Le Château ambulant. Si l'Italie se retrouve dans la géographie de Porco Rosso justifiant la citation, certaines références sont purement gratuites et participent à brouiller les repères d'un monde onirique totalement hors du temps et de l'espace, à l'image de la couleur indienne (cithare et derboukas) qui teinte Nausicaa.

 

par Benoit Basirico

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