,@,hola-frida2024121502,pansanel-garric, - Interview B.O : Laetitia Pansanel-Garric, la jeunesse de Frida Kahlo (Hola Frida) Interview B.O : Laetitia Pansanel-Garric, la jeunesse de Frida Kahlo (Hola Frida)

Rencontre au Festival Music & Cinéma Marseille

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Propos recueillis par Benoit Basirico,
dans le cadre du Festival Music & Cinéma de Marseille

- Publié le 12-04-2025




Laetitia Pansanel-Garric signe la musique du film d'animation d'André Kadi et Karine Vézin, au cinéma le 12 février 2025, qui relate l'enfance de la peintre Frida Kahlo, partagée entre l'innocence inhérente à l'enfance, son aspiration artistique et la maladie qui la ronge de l'intérieur. La partition est tiraillée, comme le personnage, entre diverses humeurs. Elle est un fil conducteur émotionnel, reflétant ses différentes facettes. Les sonorités cuivrées dessinent aussi le cadre géographique des rues animées de Coyoacán au Mexique. Et pour l'ouverture et la clôture, elle compose une chanson originale interprétée par Olivia Ruiz, qui prête sa voix à l'artiste adulte. La compositrice était invitée au Festival Music & Cinéma de Marseille pour une rencontre après la projection du film.

Laetitia Pansanel-Garric, nous vous avons entendue pour "Pamfir", un film ukrainien. Avec ce film d'animation, c'est un registre très différent. Est-ce que composer pour un film d'animation, votre premier, est une expérience particulière pour une compositrice ?

Laetitia Pansanel-Garric : Pour moi, c'est un peu le domaine virtuose de la musique de film, car il y a souvent beaucoup de musique ; c'est un héritage qui vient peut-être de la comédie musicale. C'est le lieu où l'on peut le plus s'exprimer. Nous avons tous été touchés par des films d'animation dans notre enfance. C'était donc un rêve qui s'accomplissait pour moi d'avoir la joie de pouvoir m'exprimer sur des images et une histoire comme celle-ci.

L'animation est une galaxie aux univers très variés. Quand vous évoquez les films d'animation de votre enfance, à quel type de films pensiez-vous en particulier ?

Laetitia Pansanel-Garric : Celui-ci se rapprochait effectivement du genre que je souhaitais explorer. C'est une sorte de biopic, mais avec de l'aventure, des émotions, de la fantaisie. J'ai dû prendre en compte le folklore mexicain. Ce qui est intéressant, c'est que nous aimons nous fixer des défis en composant. Il s'agissait ici de suivre l'aventure de cette petite fille incroyable au Mexique, au début du XXe siècle, vers 1900. Ce sont tous ces petits paramètres qui orientent notre langage musical. Nous affinons notre langage et notre grammaire musicale en fonction de toutes ces données, et c'est cela qui est passionnant.

Frida Kahlo était donc le point de départ de votre inspiration ? Le film montre différents âges de Frida, impliquant sans doute différentes musiques au fil de son parcours. D'un point de vue biographique, avez-vous construit votre musique en fonction des étapes de sa vie ?

Laetitia Pansanel-Garric : On la voit jeune adulte à la fin, après son accident. Là, évidemment, on entend le même thème que je décline tout au long du film. Mais on la voit majoritairement enfant, vers 6-7 ans. Durant cette période, on entend le Mexique, et ce thème épouse des courbes très dynamiques parce qu'elle sautille, elle est heureuse, vivante, elle tourbillonne. Le thème est donc présent, avec un côté "folklorique", mais à la fin, il est développé dans des harmonies modales, presque épiques, lorsqu'elle doit symboliquement vaincre la mort dans son coma. C'est ainsi que je l'ai interprétée. Donc oui, pour moi, la musique doit évoluer en fonction des événements de la vie et des épreuves traversées par le personnage.

Il semble y avoir deux aspects dans votre musique, qui reflètent aussi souvent la musique de film en général : d'une part, l'évocation du décor, de ce qui est visible - ici, le Mexique - et d'autre part, une dimension plus intérieure, liée au personnage, à ses traumas. Qu'est-ce qui est venu en premier dans votre processus ? Avez-vous d'abord pensé à l'instrumentation mexicaine avant d'aborder le thème et cette part intérieure, ou les deux se sont-ils développés simultanément ?

Laetitia Pansanel-Garric : En réalité, j'ai reçu les grandes scènes, les "cinématiques", assez tardivement dans le processus. Ce qui est venu en premier, c'était l'évocation du Mexique. On pourrait se demander pourquoi ne pas utiliser directement le folklore mexicain existant, qui est très riche. La raison est qu'il faut pouvoir maîtriser les thèmes, les diriger musicalement. Dans le film, on passe très rapidement du rêve à la joie, par exemple, il est donc essentiel d'avoir la main sur tout le matériau thématique, sur les mélodies. Il s'agissait donc d'abord pour moi de définir une instrumentation, de m'équiper en quelque sorte pour ce travail spécifique. La composition musicale est aussi une affaire de processus. Ici, l'enjeu était double : il y avait cette couleur locale, ce "folklore" réinventé, qui devait ensuite s'imbriquer avec une partition répondant plus directement aux besoins narratifs du film. Cette deuxième partie est venue au fur et à mesure que je découvrais les scènes. Dans un premier temps, j'ai composé trois thèmes principaux en me basant sur le scénario. J'essayais de ne pas être uniquement dans le folklore, en utilisant des instrumentations plutôt minimalistes, de petits ensembles instrumentaux. Puis, peu à peu, les grandes scènes sont arrivées, et c'est là que j'ai pu déployer une orchestration plus large, à la toute fin. Plus les couleurs visuelles arrivaient, plus j'enrichissais l'orchestration.

Faire appel à une compositrice pour l'intégralité de la musique permet, comme vous le disiez, d'intriquer la couleur locale mexicaine avec le travail sur la narration et l'émotion. Plus spécifiquement, qu'est-ce que la dimension de l'enfance a évoqué pour vous ? Comment avez-vous traduit musicalement l'innocence et la candeur présentes dans le film ?

Laetitia Pansanel-Garric : On voit tellement Frida enfant avoir des éclats de joie, être heureuse. Cela implique musicalement des tonalités majeures, de la brillance, du dynamisme, des changements de métrique. La difficulté dans l'animation réside souvent dans les changements rapides. Prenez la scène où elle court puis bascule soudainement dans un rêve : il faut interrompre un mouvement musical, créer une ellipse sonore, puis revenir à l'énergie de la course. Il s'agit de convoquer différentes énergies musicales au service du personnage et de son état émotionnel à chaque instant. Savoir moduler le dynamisme, par exemple l'arrêter net quand on sent qu'elle vacille, fait partie du vocabulaire que nous, compositeurs et compositrices, devons maîtriser pour ce type de film.

On entend des cuivres pour son humeur enjouée, une guitare pour la tendresse dans sa relation maternelle, une harpe et l'orchestre pour ses cauchemars... Ce qui frappe dans ce film, c'est effectivement la palette très variée des émotions.

Laetitia Pansanel-Garric : L'orchestre vient progressivement s'ajouter, enrober l'ensemble pour aller plus loin dans l'émotion de certaines scènes. Par exemple, la première fois qu'elle voit la "Muerte" dans son cauchemar. Là, j'introduis quelques dissonances pour ajouter de la tension, mais toujours en restant à hauteur d'enfant. Il ne s'agit pas de terrifier le jeune public, c'est assez facile de créer une musique angoissante avec des dissonances marquées. J'utilise parfois un langage qui peut rappeler Bernard Herrmann (compositeur fétiche d'Hitchcock) pour créer une tension, mais adaptée à l'enfance. La peur doit être contenue, il faut sentir le danger, mais aussi conserver une lueur d'espoir derrière cette tension. Cela fait partie de mes recherches de langage musical : trouver des harmonies, parfois inspirées du premier romantisme - un peu de Dvořák avec des septièmes diminuées - des éléments peut-être un peu désuets, mais qui permettent cette tension tout en préservant une certaine candeur enfantine.

Tension, joie, romantisme... une palette très riche. Vous avez cité Dvořák et Bernard Herrmann. Concernant les réalisateurs, André Kadi et Karine Vézina, vous ont-ils donné des références, formulé des intentions musicales précises ?

Laetitia Pansanel-Garric : Le film a été assez peu "temp tracké", c'est-à-dire qu'il y avait peu de musiques temporaires placées au montage. Par exemple, lorsqu'il y avait une chanson mariachi comme musique temporaire, cela m'indiquait clairement la direction à ne pas prendre. Il y en avait une sur la grande ellipse finale retraçant sa vie. Je ne l'ai pas suivie, mais elle donnait une indication de dynamique. Je me suis alors demandé comment rendre hommage à un thème mexicain très connu, "La Llorona", et j'en ai fait un thème et variations pour accompagner les étapes de sa vie. Ce procédé permet de faire évoluer un même thème tout en développant mes propres harmonies, adaptées à la temporalité des ellipses de l'animation. Les réalisateurs rêvaient d'utiliser une chanson d'une chanteuse spécifique pour l'ouverture, mais les droits de synchronisation étaient trop élevés. Heureusement, nous avons pu collaborer avec Olivia Ruiz pour créer une chanson qui s'intègre bien à l'univers mexicain et que nous avons utilisée en ouverture, même si ce n'était pas le plan initial. Pour le reste, nous avons beaucoup échangé. André Kadi est lui-même musicien, diplômé en clarinette, ce qui a facilité nos discussions sur des aspects techniques comme les accords complexes ou les cadences. Ce fut très enrichissant mutuellement. Il n'y avait pas de référence musicale imposée, mais nous parlions beaucoup des émotions recherchées pour chaque scène. S'il estimait que je n'étais pas dans la bonne direction (le bon "mood"), il me le disait et je retravaillais la séquence. Il faut savoir accepter les retours et retravailler, c'est le métier. Souvent, ses remarques étaient justes. Vers la fin, il a suggéré des colorations plus denses, plus "épiques". Il évoquait même Hans Zimmer, ce qui me semblait un grand écart par rapport à l'ambiance mexicaine ! Mais pour la dernière scène, j'ai effectivement épaissi l'orchestration pour traduire cette lutte pour la vie, une tension qui dépassait la petite Frida. C'était un autre registre émotionnel, qui nécessitait un langage musical différent.

La particularité de l'animation, ce sont les animatiques : le montage est réalisé en amont, à partir de dessins ou d'ébauches visuelles, avant la production des images finales. Est-ce que la musique que vous aviez écrite en amont a pu servir de base à certaines de ces animatiques ?

Laetitia Pansanel-Garric : Pour certaines scènes, je travaillais à partir d'une sorte de storyboard animé très simple, un dessin fixe qui avançait. Ils ont pu ensuite s'en servir pour l'animatique. Mais le processus était très serré, j'envoyais encore des séquences dix jours avant de devoir rendre une première version complète du film. La production a été extrêmement rapide, seulement neuf mois.

Concernant la chanson d'Olivia Ruiz, qui fait la voix de Frida Kahlo en jeune adulte, comment son univers musical a-t-il rencontré le vôtre ? Comment avez-vous collaboré ?

Laetitia Pansanel-Garric : Olivia était en pleine tournée à ce moment-là, avec un rythme très intense. Son rôle était de composer la mélodie et le texte de la chanson, et idéalement de fournir une base harmonique. En raison de son emploi du temps, elle n'a pas pu travailler l'harmonisation ou l'arrangement et notre communication directe a été limitée. Elle m'a envoyé un enregistrement vocal où elle chantait la mélodie a cappella. Pour qu'une chanson fonctionne, il faut des "hooks" forts, des accroches mélodiques marquantes. Sa mélodie en contenait plusieurs, ce qui était essentiel. Le premier "Hola, Frida" lance immédiatement la chanson. Je me suis donc basée sur cet enregistrement vocal, où on entendait même des cigales en fond ! Finalement, c'était une bonne chose qu'elle n'ait pas pu fournir une maquette plus produite avec ses musiciens. C'était une course contre la montre pour moi, car il fallait absolument éviter une couleur "chanson française" qui n'aurait pas fonctionné dans le film, sauf peut-être en générique de fin. Mon travail a été de faire le lien entre sa mélodie et les attentes des réalisateurs : créer une chanson avec une empreinte mexicaine forte, qui appartienne vraiment à l'univers du film et non au répertoire habituel de l'artiste. C'était l'objectif principal.

Propos recueillis par Benoit Basirico,
dans le cadre du Festival Music & Cinéma de Marseille


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