,@,dans-cuisine-nguyen2024100617,schneider, - Interview B.O : Clovis Schneider, entre les chansons de la comédie musicale et l’intime (Dans la cuisine des Nguyen) Interview B.O : Clovis Schneider, entre les chansons de la comédie musicale et l’intime (Dans la cuisine des Nguyen)

Rencontre au Festival Music & Cinéma Marseille

,@,dans-cuisine-nguyen2024100617,schneider, - Interview B.O : Clovis Schneider, entre les chansons de la comédie musicale et l’intime (Dans la cuisine des Nguyen)

Propos recueillis par Benoit Basirico,
dans le cadre du Festival Music & Cinéma de Marseille

- Publié le 18-04-2025




Clovis Schneider et la DJ et chanteuse pop vietnamienne Thuy-Nhân Dao composent la musique de la comédie musicale, "Dans la cuisine des Nguyen" (en salles le 5 mars 2025), premier long métrage de Stéphane Ly-Cuong. Ce film raconte l'histoire d'une jeune femme d'origine vietnamienne, Yvonne, qui rêve de percer dans la comédie musicale, tandis que sa mère tient un restaurant. Les moments musicaux apparaissent sous différentes formes : des numéros de danse, des auditions, des scènes en coulisses dévoilant l'envers du décor de la production d'une comédie musicale, ou encore la projection d'un imaginaire à travers des flashs oniriques ou des visualisations de ses rêves de gloire. Le film tourne en dérision la représentation exotique du genre musical, ainsi que les origines asiatiques du personnage. Cet humour se retrouve aussi bien dans les dialogues que dans les chansons. Les passages instrumentaux soutiennent les moments d'intimité et d'émotion. Le compositeur était invité au Festival Music & Cinéma de Marseille pour une rencontre après la projection du film.

Concernant l'aspect comédie musicale, les chansons étaient-elles conçues avant le tournage ?

Clovis Schneider : L'actrice principale, Clotilde Chevalier, est danseuse et chanteuse professionnelle mais a décidé de changer de carrière pour se reconvertir dans la restauration. Dans le film, elle fait donc vraiment semblant de ne pas savoir cuisiner, alors qu'elle est cheffe de cuisine. Quand elle est arrivée en studio, j'avais déjà reçu sa voix sur des maquettes qu'elle m'avait envoyées, et nous nous sommes rendu compte, évidemment, que certaines choses n'étaient peut-être pas dans les bonnes tonalités. Il y a donc eu tout un travail de réajustement. Cela a nécessité des allers-retours avec elle, mais aussi avec Leanna Chea qui interprète la chanson "Fleur de Lotus" à la fin, pour l'audition, et avec Linh-Dan Pham qui a chanté "Truc Dao" et le "Cha Cha Cha". Nous avons ainsi réalisé une version des chansons avant le tournage avec toutes les voix. Ces versions sont quasiment restées jusqu'à la fin, ce sont celles que l'on entend dans le film la plupart du temps. Mais il y a aussi de nombreux moments qui ont été captés sur le plateau, souvent les débuts de chansons, pour créer une passerelle entre l'univers du film et la chanson enregistrée en studio, en faisant en sorte que cette transition ne s'entende pas, autant que possible.

Il y a donc eu un enregistrement vocal réalisé sur le plateau, avec la diffusion de la musique pré-enregistrée ?

Clovis Schneider : Les chanteuses portaient des oreillettes pour que nous puissions récupérer la voix enregistrée sur le plateau et la synchroniser ensuite avec l'accompagnement musical.

Était-ce nouveau pour vous, ce travail sur les chansons ?

Clovis Schneider : En fait, c'était un peu une reconnexion avec mes débuts dans la musique. Je viens des musiques actuelles et j'étais guitariste à l'origine, je pensais en faire mon métier. Je m'étais dit qu'être compositeur de musique de film me permettrait de rester tranquille chez moi et de ne pas monter sur scène. Visiblement, je me suis trompé. Mais j'étais content de renouer avec cela. Cela m'a aussi amené à revoir un peu ma façon de composer de la musique de film, d'écrire des thèmes, etc. C'est vrai que la mélodie, dans la chanson, est essentielle. Et donc, quand il y a eu tout ce travail de réadaptation des thèmes des chansons au sein de la musique du film, j'ai trouvé cela très intéressant et cela m'a donné envie de poursuivre dans cette voie.

Pour continuer sur les chansons : le réalisateur du film a écrit les paroles et vous avez composé vos mélodies à partir de celles-ci. À cela s'ajoutent l'interprétation et le piano de Julie Nguyen. Comment tout cela s'est-il articulé : votre composition, l'interprétation piano-voix et les paroles ?

Clovis Schneider : Les paroles figuraient déjà dans le scénario. Quand je l'ai lu, tous les textes y étaient présents. Il y avait aussi des indications, comme « une musique jazzy démarre à ce moment-là ». Le réalisateur, Stéphane Ly-Cuong, avait une idée très claire en tête. Ce qui est normal, car les paroles racontent aussi bien l'histoire du film que celle des personnages.

Et par rapport au genre de la comédie musicale, y avait-il des références spécifiques qu'il fallait parfois un peu pasticher ? Dans le film, l'héroïne se rêve en star de comédie musicale et elle est partagée entre ce rêve hollywoodien et le fait d'être constamment ramenée à ses origines vietnamiennes. Avez-vous eu des références de comédies musicales américaines ? Et d'un autre côté, comment avez-vous procédé pour évoquer le Vietnam ?

Clovis Schneider : En fait, trois chansons font référence, de loin, à la comédie musicale en général. Il s'agit de la chanson d'ouverture et des deux interventions de "La vie en comédie musicale", lors du numéro de claquettes et la première fois que l'on voit le théâtre illuminé. Pour celles-ci, j'ai consulté des partitions de "Chicago", de "West Side Story". Ce n'était pas ma culture au départ, j'ai donc exploré tout cela pour m'en imprégner. J'ai écouté et j'ai aussi analysé des partitions pour comprendre comment c'était construit. Ensuite, j'ai pris du recul, je m'en suis détaché pour essayer de me l'approprier. Je ne suis pas capable de simplement imiter, j'ai plutôt essayé de traduire ce que je ressentais et ce qui m'inspirait quelque chose de l'ordre du rêve, en phase avec le personnage.

Concernant la dimension asiatique, il s'agit plutôt de la culture de sa mère, car l'héroïne elle-même comprend à peine la langue. On lui colle donc une étiquette qui correspond davantage à la culture de sa famille. Comment avez-vous joué avec cette dualité, entre ce qui relève de sa culture et ce qui ne l'est pas tout à fait ?

Clovis Schneider : Pour le personnage du metteur en scène joué par Thomas Joly, le réalisateur m'avait demandé de composer des chansons volontairement commerciales, un peu faciles, mais bien réalisées, qui accompagnent par exemple la scène de danse des femmes asiatiques. Il y avait donc cette demande de créer des chansons commerciales. Pour la dimension vietnamienne, elle est surtout présente dans la ballade "Truc Dao", que l'on entend au milieu du film, lors de la vision du mari défunt. Là, je me suis inspiré des codes de la variété vietnamienne. Ce thème est d'ailleurs devenu le thème principal du film, que je décline ensuite dans toute la partition orchestrale, car il représente finalement le deuil du père et la relation complexe entre la mère et la fille.

Pour ce personnage, le Vietnam est en fait une sorte de carte postale. Elle y est à peine allée, cela reste une imagerie. Elle se l'approprie donc pour faire plaisir à un public ou à des agents. Et dans la musique, vous avez pu vous permettre aussi quelques clichés ?

Clovis Schneider : Oui, tout à fait. De plus, j'ai utilisé un instrument traditionnel vietnamien appelé le Dan Thanh, qui est une cithare vietnamienne. C'est sur cet instrument que l'actrice réalise une improvisation en vietnamien où elle reprend des répliques de sa mère. Pour cette partie, c'est uniquement une voix enregistrée sur le plateau (prise directe), pas une voix de studio, nous trouvions que cela fonctionnait mieux ainsi, avec les petits défauts et les petites aspérités présentes.

Il y a donc la part visible, la part à l'image, et puis il y a la part plus intérieure, le parcours émotionnel du personnage. Est-ce que ce travail sur la musique instrumentale (le score) s'est fait dans un deuxième temps ? Et voyez-vous des connexions avec les chansons, ou est-ce complètement distinct ?

Clovis Schneider : Oui, thématiquement, c'est lié. C'est la plupart du temps le thème de "Truc Dao", la ballade vietnamienne, qui est décliné dans le score. Il est utilisé à la fois pour l'introduire en amont, mais aussi ensuite sous forme d'échos, il devient ainsi une thématique principale du film. Il y a aussi quelques autres thèmes : par exemple, lors de la répétition de la chanson "Fleur de Lotus", quand les personnages s'embrouillent et qu'elle part un peu triste, le thème de cette chanson réapparaît dans la musique, en écho à la scène, comme si la mélodie continuait à tourner dans sa tête, comme si elle ressassait ce moment. Ensuite, tout à la fin, juste avant le final disco, ce thème est annoncé à nouveau. Donc voilà, j'ai utilisé ces différents thèmes en fonction des situations.

Même si des thèmes des chansons reviennent dans le score, celui-ci a vraiment une existence propre pour faire exister le personnage indépendamment de l'image ou du rôle qu'on essaie de lui imposer...

Clovis Schneider : Ce n'est pas vraiment une comédie musicale mais une comédie avec des chansons. Il y a peut-être quelques moments qui s'apparentent à la comédie musicale, mais par conséquent, j'ai vraiment traité les chansons d'un côté, et mon travail habituel de compositeur de musique de film de l'autre. C'était assez intéressant que tous mes thèmes soient déjà issus des chansons. Je n'avais plus qu'à les arranger et à définir la couleur de ce score avec une instrumentation très réduite : d'un côté l'accordéon pour représenter la culture française, de l'autre le Dan Thanh pour la culture vietnamienne. Entre les deux, il y a le vibraphone qui évoque le monde du rêve, ainsi que le piano et la guitare qui, pour moi, représentent l'intime, le foyer. Enfin, une clarinette vient également faire chanter les thèmes. C'est donc un instrumentarium assez réduit.

Ainsi, la musique instrumentale vient contraster avec le côté « spectacle » : on a le film musical flamboyant d'un côté, et l'intimité de l'autre.

Clovis Schneider : Oui, c'est exactement cela. Et c'est vraiment cela qui, je trouve, fonctionnait bien : d'avoir d'un côté des chansons aux orchestrations flamboyantes, mêlant électro, orchestre symphonique, etc., et de l'autre, ce petit ensemble instrumental qui ramène à la réalité, à l'intimité. Julien Bélanger, qui est ici, peut en dire deux mots. Il est intervenu lors de la phase finale pour relire les orchestrations.

Julien Bélanger : Je ne suis pas vraiment intervenu en tant qu'orchestrateur, car Clovis avait déjà orchestré beaucoup de choses. De même qu'il existe des script doctors pour les scénarios, je dirais que mon rôle s'apparentait un peu à celui d'un score doctor. C'est-à-dire que juste avant l'enregistrement, nous avons pris une journée pour tout relire. L'intervention d'une personne extérieure, avec un regard neuf et sans l'ego que l'on peut avoir vis-à-vis de sa propre musique, était une démarche intéressante. Pour ma part, je me suis donc détaché de mon travail de compositeur (car je le suis aussi) pour me mettre au service de la musique de Clovis. Par exemple, pour le morceau disco, il avait écrit une orchestration très élaborée, très complexe. Et je lui ai suggéré de tout simplifier : la mélodie, nous allons la confier à tous les instruments, comme cela se faisait dans le disco des années 80. C'était un travail de peaufinage, réalisé, encore une fois, sans ego et avec beaucoup plus de recul que Clovis ne pouvait en avoir à ce moment-là. Car à la fin d'un projet, il y a des moments où l'on ne sait plus très bien où l'on en est dans ses choix. Je n'avais jamais envisagé ce type de collaboration avant qu'il ne m'appelle, mais je pense que c'est une excellente idée lorsque l'on travaille sur un film et que l'on est dans un tunnel depuis des semaines.

Propos recueillis par Benoit Basirico,
dans le cadre du Festival Music & Cinéma de Marseille


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