Propos recueillis à Marseille par Benoit Basirico
Dans le cadre du Festival Music & Cinéma
Rémi Boubal retrouve le réalisateur César Díaz après "Nuestras Madres" (2019) pour le drame franco-belge “Mexico 86” (au cinéma le 23 avril 2025) qui relate le dilemme de Maria (Bérénice Bejo), une militante révolutionnaire guatémaltèque exilée à Mexico en 1986, partagée entre son engagement politique et son rôle de mère auprès de son fils Marco (Matheo Labbe). Comme la mise en scène, la musique privilégie la sobriété. Elle utilise des percussions pour maintenir la tension du thriller, bien que de nombreuses scènes d'action s'en dispensent. Le violoncelle accompagne les émotions liées à la relation mère-fils, sans tomber dans le mélo. Sans traiter musicalement la situation géographique de manière explicite, la partition s'ancre essentiellement dans la perspective intime du personnage féminin, traduisant son exil et sa peur quotidienne par une tension persistante.
Après votre première collaboration sur "Nuestras Madres" (2019), avez-vous cherché à établir un lien entre les deux films, ou bien les avez-vous conçus comme étant distincts, chacun avec ses propres enjeux ?
César Diaz : Pour moi, c'était naturel de travailler avec la même équipe parce que nous sommes proches, nous nous comprenons bien, et parce que nous avions déjà traversé l'épreuve d'un film ensemble, ce qui n'est pas rien. Nous avons commencé assez tôt avec Rémi, avant le tournage, dès la lecture du scénario. Puis, pendant le tournage, je lui montrais des rushes pour alimenter sa réflexion et pour que ce soit plus simple ensuite.
Rémi Boubal est donc intervenu plus tôt dans le processus que sur le premier film ?
César Diaz : Oui, parce que sur "Nuestras Madres", il est arrivé alors que nous étions en montage. Tandis qu'ici, il est intervenu bien en amont, allant jusqu'à créer des musiques avec lesquelles nous devions tourner, des musiques diégétiques (intégrées à l'action). Il était donc important pour nous de l'avoir à nos côtés dès le début.
Et donc, Rémi Boubal, quelle a été votre première inspiration ?
Rémi Boubal : L'idée était de faire coïncider deux types de musique : d'une part, une musique minimaliste, plutôt avec un violon solo et un piano, pour accompagner le lien entre Maria et Marco ; d'autre part, une musique d'envergure plus large pour soutenir l'histoire du combat politique de Maria. Ces deux idées musicales ont rapidement émergé. J'ai reçu une première version du scénario, différente de la version finale, car certaines séquences ont été assez modifiées. Nous faisions donc des allers-retours et j'adaptais la musique en fonction. Je me souviens notamment de séquences d'action qui ont ensuite été retirées et remplacées par d'autres - des allers-retours classiques. Et effectivement, il y avait des musiques diégétiques, jouées par un groupe de mariachis mexicains, qu'il a fallu composer avant le tournage. Il a fallu anticiper et écrire la musique en amont. Il y a aussi d'autres morceaux diégétiques qui sont très typés années 80. C'était une volonté de César de me confier également la composition de ces musiques, bien qu'elles n'aient clairement rien à voir, en termes de couleur et d'esthétique, avec la musique de score.
Pour revenir à la transition entre les deux films : dans "Nuestras Madres", la musique intervient très tard, au bout d'une trentaine de minutes. Dans celui-ci, "Mexico 86", elle arrive beaucoup plus tôt. Est-ce que ce placement musical, cette première apparition de la musique, est un point que vous abordez lors de vos discussions ?
César Diaz : Oui, bien sûr. Nous voulions que la musique soutienne à la fois la dimension thriller et les émotions des personnages. Comme le film démarre très fort avec le meurtre, il fallait qu'elle soit présente dès le début. Nous avions même essayé d'autres pistes pour le générique, qui étaient encore plus dures, plus violentes.
Comment se déroule votre collaboration en termes de langage ? Autrement dit, est-ce que, par exemple, il vous suffit de dire à Rémi Boubal : « Il faut soutenir le thriller » et cela suffit ? Ou bien utilisez-vous des références ?
César Diaz : Il y a des références, des images, des films, des séquences. Par exemple, je me souviens lui avoir dit : « Imagine que c'est un combat de boxe, que nous sommes en train de cogner et que chaque coup doit résonner comme celui d'un boxeur qui frappe. »
Alors, comment traduisez-vous musicalement le combat de boxe ?
Rémi Boubal : Nous l'avions traduit initialement par un piano préparé, ce qui donnait quelque chose de très violent. Nous avons ensuite un peu atténué cette violence dans la musique. Mais il est vrai que César me parle de films, de réalisateurs, plutôt que de citer une musique spécifique en référence pour un passage précis. Ce n'est pas son approche ; il est davantage dans une idée générale, me suggérant par exemple de voir tel film en lien avec telle séquence. Cependant, même pour une séquence où César m'a indiqué le nom d'un film que j'ai ensuite visionné, la musique finale est assez différente.
Comment avez-vous travaillé musicalement le dilemme du personnage principal, Maria, qui est partagée entre son engagement militant et sa relation avec son fils à qui elle cache d'ailleurs sa double vie au début du film ?
Rémi Boubal : L'idée était d'avoir une musique très minimaliste pour exprimer le lien entre Maria et Marco, et une musique pour le côté thriller, avec de l'orchestre et des synthétiseurs pour renforcer l'atmosphère, un peu comme cela se faisait au milieu des années 80, où existait ce mélange de couleurs pas encore totalement synthétiques. Pour assurer l'homogénéité de la production musicale, nous avons enregistré sur bande et mixé en analogique, comme à l'époque. L'idée directrice était donc que ces deux styles - la musique minimale et celle, plus ample, du thriller - soient unifiés par une couleur sonore cohérente.
Le film s'appelle "Mexico 86". Y avait-il donc l'idée de se situer musicalement dans ces années 80 ?
César Diaz : Nous ne pouvions pas faire semblant de réaliser un film d'époque. L'idée nous a traversé l'esprit, bien sûr, à tous les niveaux : à l'image (allions-nous opter pour un format carré, utiliser de la pellicule ?), au son (allions-nous enregistrer avec les micros de l'époque ?)... Nous sommes passés par toutes ces discussions. Finalement, je suis arrivé à la conclusion qu'il fallait assumer que nous sommes en 2025. Le film est en format Scope, il y a Bérénice Bejo... Nous ne pouvons pas faire semblant. C'est un film qui regarde ces années-là et qui essaie de les traduire, de les représenter. À partir de là, puisque nous avons cette distance historique, nous avons une position plus claire vis-à-vis du spectateur et de la promesse que nous lui faisons. Nous avons représenté l'époque sans prétendre y être.
Par rapport au genre du thriller politique lié à l'espionnage, certaines références américaines tendent vers le jazz, un jazz parfois percussif (Don Ellis pour "French Connection", Lalo Schifrin pour "Bullitt"...). Vous n'avez manifestement pas suivi cette voie. Vous avez choisi de soutenir la dimension espionnage/policier avec une facture plus intemporelle, plus classique, notamment avec les cordes et le violoncelle...
Rémi Boubal : Oui, je pense que l'idée directrice était de ne pas tomber dans la parodie. Le film n'est absolument pas parodique. César ne souhaitait pas que la musique soit spectaculaire. Il s'agissait plutôt d'accompagner le combat politique de Maria, avec ses propres peurs, pour que l'on ressente ce qu'elle vit intérieurement. Il n'y a rien de particulièrement léger ou divertissant dans son combat, c'est pourquoi l'idée était de conserver un langage musical plus classique.
Lorsque la violence commence à s'immiscer dans la sphère familiale, que ce soit chez eux ou dans la voiture, durant ces moments de tension propres au thriller, la musique tend à s'effacer. Il n'y avait pas non plus la volonté de faire spectacle à ces instants précis, la musique intervenant davantage dans les interstices...
César Diaz : Nous la retenions beaucoup, en effet. Je me souviens même d'un moment précis, lors de la course-poursuite en voiture, y compris au mixage, nous avons décidé à un instant donné de la retirer complètement pour ne rester qu'avec les personnages. Puis la musique repart avec eux. Nous avions vraiment cette volonté de rétention.
Le fait de retirer la musique... vous avez évidemment conscience que cela fait aussi partie du travail ?
Rémi Boubal : Ah oui, tout à fait. C'est vrai que pour la poursuite, nous avions imaginé tout un développement musical, avec des clusters sonores qui devaient suivre la tension du personnage jusqu'aux coups de feu. Mais en découvrant le montage son final, seuls les coups de feu ressortaient vraiment. Il y avait une volonté de réalisme de la part de César. Et, encore une fois, nous ne voulions pas tomber dans le spectaculaire, ce n'est pas un film d'action. Quand je suis arrivé au mixage, César m'a dit : « Regarde, nous avons pensé à cela avec le mixeur : baisser la musique à ce moment précis. Le réalisme revient, et c'est mieux ainsi. »
César Diaz : Je trouve que les retours de la musique sont d'autant plus forts lorsqu'on l'a retirée précédemment. La musique accompagne l'action depuis le moment où le personnage est à la fenêtre, elle monte jusqu'au tir. Quand les coups de feu commencent, là, nous l'avons retenue. Nous tenons ce silence, puis nous relançons la musique. Pour moi, il y a un grand moment d'émotion quand elle repart. Quand la musique revient, je me dis « Waouh ! ». Il y a quelque chose de vraiment prenant. Je ne suis pas sûr que si nous avions eu de la musique en continu, nous aurions ressenti la même chose.
Tout à fait. Et ce principe s'applique aussi à l'émotion maternelle, la musique semble éviter le mélodrame, lorsqu'elle revient après une séquence poignante, elle évoque davantage le souvenir de l'émotion que son cliché...
Rémi Boubal : Exactement, nous avons essayé de tendre vers cela. Sauf à la fin du film, le seul moment où la musique accompagne peut-être plus ouvertement ce qui se passe à l'image, c'est lors de la séparation entre la mère et son fils. Mais je me souviens que nous avions testé la séquence sans musique, puis avec d'autres options musicales, et l'émotion était clairement plus forte en utilisant ce code plus direct. Nous avons donc conservé cette approche pour cette scène.
Quel a été le dialogue entre la musique, le montage image, le rythme général et le design sonore ? Comment la musique s'intègre-t-elle dans cette mise en scène sonore globale ?
Rémi Boubal : Dès le montage image, les intentions sonores étaient déjà présentes. Dès la première version du montage, je comprenais la direction que César souhaitait prendre. C'est un film où le son joue un rôle crucial. L'action se déroule dans les années 80 : le son des voitures, le bruit des coups de feu... il y a une dimension très métallique. Avec la musique, j'ai essayé d'épouser cette esthétique, notamment en utilisant des percussions métalliques, comme sur des bidons. Cela faisait écho aux sons des armes, des voitures et à tout cet univers métallique du film.
César Diaz : Et je dois ajouter que nous avons eu la chance, au montage image, de ne pas utiliser beaucoup de musiques temporaires extérieures à celles de Rémi. C'est-à-dire que nous travaillions principalement avec les maquettes qu'il nous envoyait. On s'habitue vite à une musique au montage. Parfois, on a l'impression qu'une scène fonctionne parfaitement grâce à la musique temporaire, alors qu'elle est bancale en soi. Donc, nous retirions systématiquement la musique pour vérifier si la scène tenait sans elle, avant de réintégrer cette couche musicale. Et comme nous n'avions que les propositions de Rémi comme référence (sauf pour la course-poursuite), c'était très agréable : nous construisions à partir de ce qu'il nous donnait. Nous ne lui demandions pas de chercher quelque chose que nous aurions pu imposer via une temp track. Mais cela découle vraiment du travail effectué très en amont, du fait que Rémi soit intervenu dès le scénario. Autrement, ce ne serait pas possible.
Rémi Boubal : Il y a aussi une confiance mutuelle qui s'est installée. Je trouve que le travail que nous avons fait ensemble sur "Nuestras Madres" nous a permis de gagner du temps et d'être plus efficaces sur "Mexico 86".
Propos recueillis à Marseille par Benoit Basirico
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