Kraken ink est né le 3 February 2007 ().
Comment êtes-vous arrivé au cinéma ?
Le cinéma est un hasard, on vient de la musique électronique et du hip-hop. Il y a peu de place dans le monde du cinéma pour cette musique. Quelque soit la nature des films, nous retrouvons en général des musiques orchestrales, même s'il y a souvent des ajouts d'électronique, cela demeure des méthodes traditionnelles de composition. Certes, des groupes comme Air ou Daft Punk ont composé pour le cinéma, mais étaient déjà reconnus comme des groupes à part entière. De notre côté, nous avons débuté par le cinéma directement.
Notre premier projet fut BANLIEUE 13. On s'est auparavant enfermé pendant trois ans dans notre home studio et on a produit un catalogue de son dans l'idée de démarcher des éditeurs susceptibles d'être intéressés. Jérôme Lateur, directeur musical à Europa Corp, nous a parlé de ce film en pensant que notre musique pouvait y coller. Notre musique est un mélange de sonorités électro-punk (type Prodigy) avec des tempos hip-hop. Europa Corp cherchait des musiques urbaines pour BANLIEUE 13, une musique qui sonnait hip-hop, mais avec des consonances futuristes (le film se déroule dans l'avenir), notre musique était donc adaptée.
Quel fut donc votre travail sur BANLIEUE 13 ?
Jérome Lateur a transmis notre catalogue musical que nous lui avons envoyé à Luc Besson qui l'a écouté en plein montage du film. Il a fini par coller nos musiques sur les images. Besson sait ce qu'il veut. Sur BANLIEUE 13 (réalisé par Pierre Morel), il est le scénariste, et même s'il a un monteur, il décide de toutes les coupes. Il intègre la musique en fonction de son montage et ensuite retravaille son montage en fonction de la musique de manière à ce que l'audio et les images ne fassent qu'un.
Vous n'êtes pas dans une relation de composition spécifiquement à l'image ?
C'est arrivé dans une deuxième étape. Après que Besson ait callé les grands thèmes, nous avons composé des nappes et des musiques d'ambiance. Notre musique occupe 90% du film.
Comment avez-vous été rémunéré ?
C'est osé de confier la musique de son film à des inconnus, Luc Besson fait travailler des débutants en se moquant des a priori. Le revers de la médaille est que nous n'avons pas eu de gros cachets (pourquoi le feraient-ils alors qu'on le ferait gratuitement quelque part ?). Mais nous touchons aussi les droits d'auteur. Nous avons aussi les gros moyens pour travailler, à la Digital Factory. Et nous sommes fiers d'être sur le disque. Jamais nous avons pensé faire cela.
Et après BANLIEUE 13 ?
Nous avons fait un film qui s'intitule FIGHTER IN THE WIND. C'est à la base un film coréen qui a eu du succès dans son pays, et nous avons composé pour la version distribuée en DVD en France. Les coréens ont fait du rock tandis qu'on nous a demandé de faire la couleur plus locale, avec des sons orientaux. 130 000 DVD vendus, ils ont regretté de ne pas l'avoir sorti en salle.
Après vient la comédie DIKKENEK. Ce fut plus difficile car le réalisateur était exigeant. Nous avions fait une première musique assez funk et second degré qui fut tout d'abord validée, puis ensuite rejetée par le réalisateur. Nous avons donc dû tout recomposer au dernier moment, ce qui fut destabilisant. Le film demeure très bon, on a bien rigolé à faire cela, malgré la pression du travail. Puis ensuite nous avons fait « Baby Hip Hop », une opération estivale de TF1. Il s'agissait de faire de la musique à partir de dessins, une adaptation du monde du hip hop pour les enfants. Un disque est sorti avec les dessins dans le livret.
Puis arrive très vite TAXI 4 (sortie en salle le 14 février)… Comme sur BANLIEUE 13, vous avez travaillé avec Luc Besson, ou cette fois-ci avec le réalisateur Gérard Krawczyk ?
C'était clairement Luc Besson qui décidait de tout. On n'a jamais rencontré Krawczyk, c'est Besson qui a tout mixé. Notre apport sur ce film était d'apporter quelque chose de nouveau sur l'image. Notre travail est innovant, c'est un travail de jingle , de gimmick. Notre musique répond avant tout aux codes exigés par le film, afin de coller à la cible. TAXI 4 est une comédie, et donc notre musique s'y adapte. C'est du marketing. Notre apport personnel est notre manière de coller aux images, d'aller vite, de jouer sur les boucles, c'est une forme d'art, même si c'est une commande et un commerce. L'essentiel est de rigoler. Notre ego n'a pas lieu d'être. On a produit plus de cent morceaux pour ce film, et peu de morceaux sont retenus au final. De plus, aucun CD n'est prévu avec notre musique, le disque qui sort n'est constitué que de musiques inspirées du film, pour encore une fois coller à la cible « rap » du public.
On ne finit pas frustrés pour autant. On s'amuse à passer d'un genre à un autre. Entre BANLIEUE 13 et TAXI 4, le style est complètement différent. C'est même plus intéressant de travailler sur commande : on expérimente, on apprend des choses. Notre musique est au service de l'image. On ne cherche pas à être devant la scène, on cherche à faire un métier le mieux possible, car la composition est un véritable métier.
Vous ne chantez pas dans vos musiques, pour les génériques par exemple, comme c'est le cas bien souvent pour le hip-hop ?
Non. On est intervenu sur la fin d'ARTHUR ET LES MINIMOYS car ils n'ont pas pu garder leur premier choix pour le générique de fin de la version américaine, alors on leur a livré une musique à la dernière minute, mais sans paroles. La langue française n'est pas une langue facile, elle est plus difficile à travailler que la langue anglaise, plus cérébrale, moins musicale, il y faut du sens. L'anglais est une langue monosyllabique, elle rythme, elle fonctionne quelque soit les paroles. Le rap américain est un jeu, un entertainment, alors qu'en France il est obligatoirement associé à une revendication.
Quelles sont vos influences musicales ?
Nous aimons Vladimir Cosma ou Ennio Morricone qui ont installé le gimmick au cinéma, le fait d'être reconnaissable en quelques notes. Puis nous écoutons aussi Aphex Twin, RZA, le Wu-Tang Clan, le rock progressif, le classique, le métal, Pink Floyd, la musique d'église. On ne s'enferme pas dans une chapelle. Chaque musique peut nous faire ressentir des émotions.
Le hip-hop est le style musical actuel qui se rapproche le plus de la musique concrète, en samplant des bruits, des boucles. On peut faire un morceau de hip-hop avec des bruits de bouche, une sonnerie de portable, un fourre-tout très éclectique, il n'y a pas de frontières, dans la mesure où un rythme est présent. C'est un espace de liberté, un peu comme le jazz qui a cassé des barrières et qu'on ne considérait pas comme de la musique au départ. Maintenant, de notre côté, on pense bouleverser les formats de la musique à l'image en y insufflant de cette liberté. Hollywood a un problème avec cela, comme dans MATRIX, l'idée d'un score orchestral reste trop classique pour la thématique du film, on ne met pas une musique de cape et d'épée sur un film futuriste. On y verrait bien des expérimentations sonores digne d'un Mark Bell qui travail avec Björk. On adore les expérimentations, on est des amateurs de machines anciennes, de vieux claviers.
Notre passion pour la musique à l'image est associée à cette soif d'expérimenter. La musique à l'image est l'avenir, plus on mêle de sens à l'expérience, plus celle-ci est totale. On a même envie à terme de faire du jeu vidéo. Chaque composante s'imbrique parfaitement. Le concept du disque est une grande braderie aujourd'hui, il ne fait plus rêver. L'avenir est dans la musique mêlée aux images, et nous pensons que le jeu vidéo va vivre une révolution.
Des projets ?
Rien de concret, on vient de finir TAXI 4, donc on va tourner une page, faire une pause, puis répondre aux propositions qui pourront nous parvenir. En tout cas, TAXI 4 serait le dernier épisode de la saga, donc on ne pourra pas rempiler.
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