Né en 1939 et disparu en mer en 1975.
Ses B.O notables : L’Homme orchestre ( Serge Korber , 1970) • La Scoumoune ( José Giovanni , 1972) • Les Aventuriers ( Robert Enrico , 1967) • Le Samourai ( Jean-Pierre Melville , 1967) • Dernier Domicile Connu ( José Giovanni, 1970) • Boulevard du Rhum ( Robert Enrico , 1971) • Les Grandes Gueules ( Robert Enrico , 1965) • Le Vieux Fusil ( Robert Enrico , 1975) •
François de Roubaix, fils du producteur et réalisateur Paul de Roubaix, naît le 3 avril 1939 à Neuilly sur Seine. Contrairement à ses collègues de la même époque (Georges Delerue ou Michel Magne), le jeune François n'est jamais passé par le conservatoire et a appris la musique complètement sur le tas, notamment comme bassiste et tromboniste dans des clubs de jazz comme le Caveau de la Huchette à la fin des années 50. Il se définira d'ailleurs lui-même davantage comme artisan besogneux que comme savant virtuose issu des grandes écoles de musique, ce qui peut expliquer la grande spontanéité et surtout l'immense popularité actuelle de sa musique.
Sous l'influence de son père, François de Roubaix est plongé très tôt dans le bain du métier cinématographique, il apprend les techniques du son, du montage et s'essaie même à plusieurs reprises à la réalisation comme en témoignent des films comme Le Gobbo (1968) ou Comment ça va, je m'en fous (1975). Ces précieuses connaissances en cinéma compenseront quelque peu son ignorance de l'harmonie et du contrepoint. Il se fait aussi la main en signant de très nombreuses musiques pour des films publicitaires.
Par l'intermédiaire de Paul de Roubaix, le cinéaste Robert Enrico rencontre et fait travailler le jeune musicien pour un court-métrage destiné au Ministère de l'Agriculture : L'or de la Durance (1959). Enrico est aussitôt charmé par la fraîcheur et les idées un peu folles du musicien qui se concrétisent par exemple dans le court-métrage Thaumétopoea (1960), un documentaire sur les chenilles pour lequel De Roubaix a l'idée géniale d'utiliser des instruments en verres (bien avant le Philippe Sarde du Locataire !). C'est également à cette époque que De Roubaix commence à s'intéresser aux sons synthétiques des premiers générateurs de fréquences, dont les compositeurs Pierre Schaeffer ou Karlheinz Stockhausen s'étaient déjà servis dans différentes études électroniques très expérimentales... De Roubaix définira d'ailleurs ces compositeurs de musique savante “contemporaine” (Schaeffer, Boulez ou Messiaen) comme étant surtout de purs compositeurs de recherche et considérera plutôt des groupes pop comme les Beatles ou Pink Floyd comme étant les véritables musiciens contemporains de son temps.
Après plusieurs films comme Les stripteaseuses (1964), Le pain et le vin (1964) ou Les combinards (1965), il signe son premier long métrage important avec Les grandes gueules (1965) de Robert Enrico. Pour ce “western” forestier avec Lino Ventura, Marie Dubois et André Bourvil, il compose avec l'aide de l'orchestrateur Bernard Gérard, une partition typique de son style futur : orchestration pour petit ensemble composé d'instruments populaires ou folkloriques (piano, guitares, accordéon, harmonica, banjo, orgue, flûte) et mélodies aussi simples qu'efficaces, conçues presque à la façon d'un gimmick publicitaire et pas si éloignées de la force mélodique des célèbres “tubes” d'un Ennio Morricone. C'est le même duo gagnant qui va signer Les aventuriers (1967) un autre film très populaire avec Alain Delon et toujours Lino Ventura. De Roubaix conserve pour ce film la même fraîcheur musicale que pour Les grandes gueules , avec en plus l'utilisation intéressante d'une voix féminine pendant la descente d'un corps que les deux héros jettent dans l'océan.
Il rencontre également l'ancien baroudeur José Giovanni qui restera comme le second cinéaste qui va compter le plus dans sa carrière, et signe la musique de son film La loi du survivant (1967), polar tombé dans l'oubli et interprété par le regretté Michel Constantin.
Le vieux metteur en scène Julien Duvivier embauche De Roubaix pour son tout dernier long métrage, l'étrange polar Diaboliquement vôtre (1967), sur lequel le musicien va se surpasser. Cette fois-ci aidé par Eric Demarsan pour les arrangements orchestraux, le compositeur va écrire un générique jazzy très énergique, et va faire preuve de pas mal d'audace harmonique et mélodique pour les différents thèmes destinés à suggérer l'angoisse du héros amnésique incarné par Alain Delon. Il n'hésitera pas à user de délicates influences orientales et de motifs très obsessionnels dont il se souviendra pour Le Samouraï (1967), film glacé de Jean Pierre Melville avec un Alain Delon très émouvant en fantomatique et taciturne tueur à gages. Dans Le Samouraï , De Roubaix va épurer son style jusqu'au minimalisme le plus envoûtant ; encore une fois épaulé par Eric Demarsan pour la direction d'orchestre et les arrangements (à base d'orgue électrique, accordéon et ensemble de jazz), il signe certainement son chef d'oeuvre pour le grand écran tout en écrivant sa partition la plus abstraite.
De Roubaix a aussi énormément oeuvré par le petit écran, avec notamment des feuilletons comme Les survivants (1965), Les 5 dernières minutes (1967), La vie commence à minuit (1967), la célèbre série Les Chevaliers du ciel (1967) de François Villiers qui fut aussi orchestrée par Eric Demarsan, Les secrets de la mer rouge (1968), Pépin la bulle (1968), Opération Gauguin (1969), Les bottes de sept lieues (1971), Poker d'as (1973), Le provocateur (1973), Chapi-chapo (1974) - superbe film d'animation de Italo Bettiol & Stefano Lonati à base de personnages en pâte à modeler et qui a marqué plusieurs générations d'enfants, Trois de coeur (1976) et Commissaire Moulin (1976).
Le coté empirique de sa musique peut parfois donner un coté maladroit et assez simpliste à certaines de ses mélodies mais à l'inverse, peut provoquer aussi des alliances harmoniques particulièrement insolites comme le prouvent les choeurs étranges et envoûtants qu'on entend lors de l'assassinat par Lino Ventura d'un président d'Amérique Centrale dans Le rapace (1968) de José Giovanni, ou dans le choix d'une flûte de Pan pour le thème principal de ce film. On est aussi surpris par son sens du rythme et par l'énergie qui éclatent dans l'excellent et court score de Adieu l'ami (1968) - huis clos de Jean Herman, avec Alain Delon et Charles Bronson.
Après sa collaboration avec Eric Demarsan, et tel un véritable “homme-orchestre” , François de Roubaix s'est mis à travailler de plus en plus dans son propre studio d'enregistrement, situé rue de Courcelles à Paris. En plus de savoir jouer lui-même du piano, de la guitare, de la guimbarde, de multiples flûtes de différentes tailles, de l'ocarina et d'autres instruments ethniques, il jouait également de claviers électroniques comme l'orgue Farfisa professionnel, le synthétiseur Moog, ou le EMS VCS3... S'enregistrant tout seul la nuit sur chacune des 8 pistes de son magnétophone dont il était l'un des premiers à s'équiper en France, il devançait ainsi l'extraordinaire engouement pour les home-studios que presque chaque musicien français possède maintenant chez lui...
Un cinéaste aussi iconoclaste que le truculent et acerbe Jean-Pierre Mocky ne pouvait pas ignorer un musicien aussi authentique et original que François de Roubaix, et c'est avec l'hilarant La grande lessive (1968) qu'ils démarrent leur courte collaboration, avec un Bourvil étonnant en professeur bien décidé à lutter contre l'influence pernicieuse de la télévision. Ils récidivent avec le délirant et sarcastique L'étalon (1970) dans lequel Bourvil (déjà très malade et presque sur le point de mourir) invente un procédé révolutionnaire pour combler les désirs érotiques des femmes délaissées par leurs maris.
Sur Dernier domicile connu (1969) de José Giovanni, il utilise un thème très reconnaissable basé sur une structure très “carrée” proche des mélodies les plus populaires d'un Jean-Sébastien Bach. Dans l'exubérant L'homme orchestre (1970), une comédie signée Serge Korber, il va même s'amuser à déformer le son d'une trompette en enregistrant à demi-vitesse en studio, rejoignant les préoccupations des musiciens savants les plus en vogue du moment comme Karlheinz Stockhausen ou Pierre Henry et préfigurant l'utilisation des samplers actuels.
De Roubaix n'hésite pas non plus à écrire de fort belles chansons comme l'excellente romance rétro chantée par Brigitte Bardot dans le musclé et mélancolique Boulevard du rhum (1970) avec Lino Ventura et Guy Marchand, ou la chanson “Chacun son homme” interprétée par B.Bardot et A.Girardot dans Les novices (1970) de Guy Casaril. Le thème principal à l'orgue de barbarie de La scoumoune (1972), polar assez médiocre de José Giovanni et interprété par Jean-Paul Belmondo et Michel Constantin, fera également beaucoup pour sa popularité.
L'aspect purement électronique de ses recherches en solitaire se retrouvera plus particulièrement sur R.A.S. (1972) d'Yves Boisset, brûlot consacré à la guerre d'Algérie et bien évidemment censuré à l'époque, sur La mer est grande (1973) de Philippe Condroyer et aussi au sein de la partition refusée qu'il avait écrite pour le documentaire du commandant Cousteau consacré à L'Antarctique (1974). C'est également des expérimentations aux synthétiseurs rappelant les travaux d'un Jean-Michel Jarre ou d'un Klaus Schulze qu'on entendra dans les passages dramatiques du poignant Le vieux fusil (1975) - le chef d'oeuvre de Robert Enrico avec un bouleversant Philippe Noiret résolu à venger sa femme Romy Schneider et sa fille toutes deux tuées d'une façon abjecte par des nazis.
Sportif accompli, et très bel homme, François de Roubaix pratiquait depuis très longtemps la plongée sous-marine, et c'est le 21 novembre 1975 qu'il trouvera la mort en mer à Aréna (îles Canaries), comme s'il avait prophétisé son propre destin en signant le passage de l'enterrement sous-marin dans Les aventuriers . Le 3 avril 1976, Paul de Roubaix réceptionnait le César que son fils avait remporté à titre posthume pour Le vieux fusil , sacrée meilleure musique de film de l'année 1976.
Redécouvert récemment par toute une génération de DJ, de chanteurs et d'artistes de pop musique qui ont régulièrement samplés ses musiques (en vrac Robbie Williams, Carl Craig, les Troublemakers ou Stephen Simmonds), il peut à juste titre être considéré comme une sorte de Morricone français.
Interview B.O : Audrey Ismaël (Le Royaume, de Julien Colonna)
Interview B.O : Audrey Ismaël (Diamant brut, de Agathe Riedinger)