Né le 31 Janvier 1937 à Baltimore (Etats-Unis)..
Célèbre compositeur de musique savante et contemporaine, initiateur du mouvement dit "minimaliste" (qu'il renie en partie), Glass a aussi écrit pour le cinéma de mémorables partitions pour la "Qatsi Trilogy" de Reggio, mais aussi pour Hollywood (Kundun, Candyman, The Hours).
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Ses B.O notables : The Hours ( Stephen Daldry , 2003) • Tales from the Loop ( Nathaniel Halpern , 2020) • Koyaanisqatsi ( Godfrey Reggio , 1982) • Powaqqatsi ( Godfrey Reggio , 1988) • Kundun ( Martin Scorsese , 1997) • Candyman ( Bernard Rose , 1992) •
La scène se passe à New York en 1976. Une femme richement vêtue monte dans un taxi. Elle entrevoit alors le nom du conducteur inscrit sur la plaque de service : Philip Glass. « Jeune homme » lui dit-elle « Est-ce que vous réalisez que vous avez le même nom qu'un célèbre compositeur ! »
Voila ce que faisait alors Philip Glass à cette époque. Chauffeur de taxi pour pouvoir payer les dettes de son ambitieuse pièce de théâtre musical : Einstein on The Beach , collaboration avec le metteur en scène Robert Wilson. Jusqu'en 1983, et avec le succès confirmé de l'opéra Akhnaten , il trimballera toujours avec lui cette encombrante borne de taxi, ne pouvant pas encore vivre pleinement de sa musique…
Comme pour beaucoup de compositeurs issus du mouvement répétitif américain, la reconnaissance fut longue à venir pour Philip Glass. En France, lors de sa 1 ère représentation en Avignon, Einstein on The Beach divisa le public en deux camps… Il y a ceux qui était éblouis par l'audace artistique visionnaire, dixit le poète Aragon « Je n'ai jamais rien vu d'aussi beau ! » Et ceux qui étaient scandalisés par le martèlement incessant de la répétition… L'œuvre ne laissa en tout cas pas indifférent mais en France, patrie du sérialisme et d'une conception assez étroite de la musique contemporaine « la répétition c'est la mort ! » dit Boulez, on ne voulut plus jamais en entendre parler… Et c'est une des raisons qui explique pourquoi les opéras de Philip Glass sont toujours aussi peu joués aujourd'hui en France…
Pour les pionniers du genre, comme La Monte Young ou Terry Riley, le principe de la musique répétitive est basé sur une philosophie orientale qui entretient des liens étroits avec les mantras, la réincarnation ou la méditation bouddhiste… Pour Steve Reich et Philip Glass, plus matérialistes, la répétition permet d'abord à la musique de s'affranchir des méthodes dodécaphoniques en vigueur et de revenir à une nouvelle conception de la tonalité telle qu'elle se pratiquée à l'époque de Monteverdi. Philip Glass s'intéresse davantage à la musique indienne et aux œuvres anti-conformistes d'Harry Partch, Henri Cowell, Charles Ives, ou Moondog qu'il hébergea chez lui quelques temps. Avec Steve Reich, il élabore un système musical où les changements harmoniques s'opèrent à l'intérieur de la gamme, rythmés par une pulsation omniprésente et une progression additive de la mélodie.
Après avoir assisté en 1965 à In C de Terry Riley, fer de lance du mouvement répétitif, il est très impressionné par Piano phase de son complice Steve Reich. Il lui dédie la pièce Two Pages for Steve Reich , une de ses premières compositions à être basée sur un principe musical additionnel et répétitif... Plus tard, il va raccourcir le titre qui devient alors simplement Two Pages . Steve Reich lui en veut encore d'avoir supprimé son nom ! « Si vous demandé à Philip glass de citer les compositeurs qui l'on inspiré il vous dira que tout lui vient de Ravi Shankar ! » dit-il, narquoisement…
Il se trouve que cette conception particulière de la musique basée principalement sur une cadence régulière, s'accommode très bien avec le défilement des images cinématographiques. Dès sa participation en 1966 au film musical psychédélique Chappaqua , avec Ravi Shankar, Glass a compris tout l'intérêt qu'il pouvait tirer de la relation Musique-Image. Même dans son travail pour la scène, l'image tient souvent une place importante. Dans Einstein on the Beach , la musique sert d'accompagnement à un jeu de diapositive illustrant certaines expériences du savant… Dans le ballet Dance , en 1978, collaboration avec la chorégraphe Lucinda Childs et le plasticien minimaliste Sol Lewitt, un écran transparent placé au-devant de la scène projette l'image des danseurs filmés par Lewitt et se mélange tel un fantastique fondu enchaîné avec les danseurs sur scène… Sublime et incroyable interaction entre le réel et le virtuel…
1982 est l'étape cinématographique décisive pour Philip Glass… Il travaille sur l'opéra The Photographer basé sur les recherches photographiques d'Edweard Muybridge sur le mouvement et collabore avec le cinéaste Godfrey Reggio au film expérimental Koyaanisqatsi (la vie déséquilibré). Un documentaire écologique sans commentaires qui semble s'inquiéter de la santé de la Planète de plus en plus ravagée par les implantations industrielles du monde moderne. Un film assez politique donc… Semblable visuellement à l'Homme à la Caméra de Dziga Vertov, les séquences, très distinctes se composent principalement d'images ralenties et accélérées assemblées très précisément au rythme de la musique... le ballet de nuage dans Cloudscape est en cela particulièrement réussi. Le chœur féminin très en avant culmine majestueusement dans le thème final The grid , véritable transe hypnotique… Le contrepoint des masses orchestrales fait beaucoup songer par moment aux grandes symphonies de Ralph Vaughan-Williams, particulièrement le 3ème mouvement de la n°6.
Grâce à sa musique planante et ses images somptueuses (7ans de tournage !) Le film devient culte et aura une énorme influence aussi bien pour des compositeurs de musiques de films comme Michael Nyman, Richard Robbins, Carter Burwell que pour des artistes de Rock, de musique électronique comme Dépêche Mode, Muse, Aphex Twins, Richard Pinhas, Death in Vegas…ou des réalisateurs aussi différent que Michel Gondry, Martin Scorcese et Patrice Leconte… En reprenant les mêmes principes esthétiques, (Fusion du son à la musique), la collaboration avec Reggio va se poursuivre avec Powaqqatsi (documentaire sur le tiers-monde) en 1988, Anima Mundi (sur le monde animal) en 1993 et Naqoyqatsi (mélange d'images réelles retouchées par ordinateur et d'images en 3D) en 2002… Malheureusement la musique de Glass n'est plus aussi inventive qu'avant et certaines parties musicales semblent bâclées voire même un peu trop vites expédiées… dommage !
En 1983, dans le film Breathless (A bout de souffle made in USA) de Jim Mc Bride, le talentueux Jack Nietzsche fait un superbe arrangement d' Opening ; une des 1 er pièces écrite pour piano solo de Philip Glass. Par-dessus le motif original, il superpose le bandonéon et la harpe dans la séquence où l'actrice Valérie Kaprisky nage dans la piscine. L'instant est gracieux…
Avec la biographie Mishima de Paul Schrader, réalisée en 1985, sur la vie de l'écrivain japonais, Glass travaille pour la première fois avec le Quatuor Kronos et signe une magnifique partition qu'il intégrera plus tard dans ses pièces pour quatuor à corde. Le morceau Temple of the Golden Pavillion où l'écrivain semble soudain prendre conscience de son homosexualité installe une tension psychologique fascinante par le motif insistant des cordes. Sur ce film, il compose la musique après avoir lu le script sans même regarder les rushs. Procédé qu'il réutilisera en 1996 sur Kundun de Martin Scorcese. Après un 1 er montage, il doit revoir sa partition car elle est trop courte ou trop longue sur certaines scènes… En revanche sur Kundun , c'est Thelma Schoonmaker (monteuse du film) qui a dû se farcir la lourde tâche de placer le score sur les images. Elle en a vraiment bavée… A cause du processus additif typique de Glass, les morceaux sont peu disposés à la coupe. La musique prend en effet toute sa valeur dans son intégralité….
Autre rencontre importante, celle en 1988 avec le documentariste Erroll Morris. The Thin Blue Line , (Le dossier Adams) est un film enquête sur le citoyen Randall Adams, un innocent inculpé à tort du meurtre d'un policier. Fait unique à ce jour dans l'histoire du cinéma, après une captivité de 11 ans, le film réussira à le faire libérer, en enregistrant les aveux du véritable coupable ! Erroll Morris comme à son habitude filme principalement des séries de témoignages entrecoupés d'images d'archives ou de reconstitution du meurtre (Pas à la Oliver Stone, mais de manière très abstraite, avec des gros plans en insert…). Le superbe thème principal Houston Skyline (repris plus tard par Glass dans le cycle pour piano des Métamorphoses et le film The Hours ) s'accommode parfaitement avec la destinée tragique du personnage. Centré sur une orchestration minimale, principalement le synthétiseur et le violoncelle, c'est une des partitions les plus poignantes et intenses de Philip Glass. Suivront ensuite, Une Brève Histoire du Temps en 1992, documentaire passionnant sur la vie du physicien Stephen Hawking et sa théorie du Big Bang. Plus récemment en 2003, The Fog of War , interview du secrétaire d'état Robert Mc Namara l'un des principaux responsables de l'engagement des Etats-Unis dans la guerre du Viet-Nam…
Il faut aussi mentionner le travail pour la scène. En 1994, Philip Glass entreprend une expérience originale en remplaçant entièrement la bande sonore de La Belle et la Bête de Jean Cocteau par sa musique… exit donc la partition de Georges Auric, la voix de Jean Marais, et celle de Josette Day… Le film devient un opéra où le film est projeté sur scène sans le son, derrière les chanteurs qui post-synchronise leurs voix sur l'image... Même le cheval a son propre monologue ! (Très bien le cheval…) Détail important, sur ce film Glass est le Boss, il a pu ainsi composer la musique comme il l'entendait. Cette totale liberté artistique, le cinéma ne l'accorde presque jamais à un compositeur. Glass a ainsi pu écrire à loisir une véritable partition d'opéra qui ne s'interrompt jamais et enveloppe littéralement les images du film en un flot continu de mélodies riches et variées.
Souhaitant être fidèle mot pour mot aux dialogues de Cocteau, il a beaucoup ramé pour arriver à une parfaite synchronisation des voix. A l'écran, le résultat est souvent imparfait (parce qu'un texte chanté se prononce plus lentement qu'un texte parlé). De ce fait il a dû créer une langue intermédiaire, sorte de parlé chanté, assez proche de certaines pièces vocales de Darius Milhaud pour que la coordination entre le mouvement des lèvres des acteurs du film et la voix des chanteurs de l'opéra soient la plus fidèle possible.
Sur le plan esthétique, le résultat ne lasse pas d'étonner. Mariée aux décors féeriques et aux superbes images noirs et blancs d'Henri Alekan, la musique prend une dimension réellement fascinante, notamment les séquences dans le domaine de la Bête. Le thème qui accompagne la Belle descendant l'escalier du jardin avec la Bête, leurs mains entrelacées est très émouvant. Glass utilise une petite formation de chambre avec une domination du synthétiseur sur l'orchestre. Au final, la musique se révèle beaucoup plus intimiste que celle d'Auric. Il faut également noter que si la partition de Glass est radicalement différente de l'original, on peut y déceler par moments certaines harmonies identiques… Certainement un clin d'œil malicieux de Philip Glass à la musique de Georges Auric… Comme d'habitude les réactions de l'audience furent partagées. Certains crièrent au scandale, d'autres furent émerveillés…
En 1999, Universal propose à Glass de sonoriser des films d'épouvantes des années 30, qui n'ont pu bénéficier à l'époque de musique originale. Ayant à choisir entre Frankenstein , La Momie et Dracula , il opte pour ce dernier car la démarche particulière du comédien Bela Lugosi lui rappelle la gestuelle fascinante des acteurs de Robert Wilson. La musique est composée exclusivement pour Quatuor à corde, un peu dans l'esprit du quatuor n°1 d'Ervin Schulhoff…
L'année suivante, il s'embarque en tournée avec le Kronos Quartet pour jouer la musique en live et en simultanée avec le film projeté sur l'écran. Le piano, interprété par Glass vient se rajouter à l'ensemble et ajoute une véritable touche mélodique qui manquait un peu dans la version pour quatuor seul… Détail cocasse, comme pour Dance , les musiciens sont placés derrière l'écran transparent d'où est projeté le film. Grâce au jeu de lumière, ils apparaissent ainsi parfois dans l'action même du film. Ainsi cette scène amusante dans le château lorsque, filmé en plan d'ensemble Renfield discute avec le comte Dracula dans le grand salon. A cet instant, Jean Jeanrenaud, du Kronos Quartet tel le Charles Laughton du Fantôme des Cantervilles apparaît en surimpression sur le coin gauche de l'image, jouant du violoncelle…
A l'auditorium de Lyon, où le spectacle était projeté, le film n'était malheureusement pas sous-titré ! Les gens n'ont donc rien compris … Dommage car la musique entraînante du générique laissait présager le meilleur. Il faut ajouter également que si le film fit sensation à l'époque par son esthétisme macabre, il peut paraître aujourd'hui franchement daté, et ennuyeux (Certains tiennent pour supérieure la deuxième version réalisé par les Espagnols…)
Chez Philip Glass, en effet le score est bien souvent plus inspiré que le film lui même. The Secret Agent le confirme. La partition qu'il a écrite en 1996 pour le film anglais de Christopher Hampton est jouée principalement pour un petit ensemble de cordes, avec des tournures harmoniques proche de l'esthétique Baroque de Jean Sébastien Bach. Sur la Bande Originale, la musique prend toute sa couleur. A l'écran elle ne convainc pas.
En 2004, il compose The Undertow (l'Autre Rive), de David Gordon Green d'après une histoire inspirée par La Nuit du Chasseur . Le générique du film, proche de celui du Dernier Domicile Connu est admirable. Il utilise de fréquents arrêts sur images, figeant l'acteur Jamie Bell dans sa course. La musique pénétrante ajoute un lyrisme véritablement singulier. Assez rare pour être signalé, cette partition de Glass possède une grande originalité de timbre sonore, on y entend notamment un didgeridoo superposé à un chœur d'enfants et des bois combinés au synthétiseur. Mais une fois de plus, le film n'est pas à la hauteur et s'enlise rapidement dans les conventions…
Contrairement à Michael Nyman, très pointilleux dans ses collaborations avec les réalisateurs (il a refusé de retravailler avec Jane Campion sur Portrait de Femme parce que le scénario ne lui plaisait pas), Glass se jette souvent à corps perdu dans des entreprises qui se terminent parfois en eau de boudin. Comme en 1992 avec le pitoyable Candyman et sa suite encore plus abominable… Expérience déroutante que de voir une musique aussi somptueuse dans un film si peu inspiré… Les dernières compositions de Philip Glass pour le cinéma ne sont hélas pas ses meilleures. A la limite le film expérimental ou de recherche lui convient mieux, comme dans Notes , le très beau court-métrage de Michal Rovner qu'il a mis en musique en 2001. Mais évidemment ce cinéma là est beaucoup moins lucratif !
Aujourd'hui, il semblerait que Philip Glass, un brin narcissique contemple son O euvre. Fatigué d'innover, il préfère se reposer sur ses lauriers et réutiliser d'anciennes pièces. En témoigne sa partition pour The Hours en 2003 où il réorchestre benoîtement certaines parties de Satyagrah ou de Glassworks (on notera le jeu de mot avec verrerie…) Certes, le grand Glass est là, comme dans la brillante introduction de The Poet Acts ou le merveilleux Something she has to do . Seulement s'il voulait bien se relever…