Né à Lwów en 1932. Mort le 29 décembre 2013.
Ses récompenses : César (....) •
Ses B.O notables : Dracula ( Francis Ford Coppola , 1993) • Le Roi et l'oiseau ( Paul Grimault , 1980) • La Neuvième Porte ( Roman Polanski , 1999) •
Wojciech Kilar naît le 17 Juillet 1932 dans la ville de Lwów (située à l'époque en Pologne mais qui fait partie désormais de l'état Ukrainien sous le nom de Lviv). Après un passage à l'Académie de musique de Cracovie, il étudie le piano avec Wlayslawa Markiewiczówna et la composition sous la direction de B. Szabelski à l'Académie de musique de Katowice. Il obtient son diplôme en 1955. En 1957, il suit les cours d'été de Darmstadt (en Allemagne) - creuset des avant-gardes musicales de l'immédiat après-guerre (représentées alors par les figures mythiques de Stockhausen, Berio, Boulez ou Nono), expérience qui dément avec élégance l'accusation de superficialité et de simplification parfois reprochée à sa musique.
Il obtient ensuite une bourse de l'État français pour aller étudier à Paris avec la célèbre Nadia Boulanger qui, à l'instar d'un Olivier Messiaen, à formé d'innombrables grands noms de la musique du 20ème siècle. Wojciech Kilar tombe non seulement amoureux de la ville de Paris mais aussi de la culture française dans son ensemble (notamment la musique de Maurice Ravel et de Claude Debussy mais aussi Flaubert et Rimbaud), c'est aussi à cette époque qu'il compose ses premières musiques de film comme Narciarze (1958) ou Nikt nie wola (1960).
Comme ses compatriotes Penderecki, Serocki et Górecki (auteur de la célèbreSymphonie n°3 - dites des "chants plaintifs", qu'on peut entendre notamment à la fin du film Police de Maurice Pialat ; dont la musique accusée hâtivement elle aussi de "Nouvelle Simplicité" incarne pourtant le mieux l'âme tragique et poignante du peuple polonais), son écriture est marquée d'abord par un langage profondément novateur et sans concessions comme en témoignent les clusters et les masses sonores de Riff 62 pour orchestre (1962) - partition parfois proche des recherches similaires d'un Penderecki sur Anaklasis ou Thréne pour les victimes d'Hiroshima. Il est aussi marqué par la personnalité de John Cage (qui a aussi eu une influence énorme sur Witold Lutoslawski - musicien polonais de la génération précédente).
Comme de nombreux compositeurs de l'Europe de l'Est (et contrairement à Boulez, Stockhausen et Nono qui méprisent volontiers les illustrations filmiques), il poursuivra toujours une belle carrière de musicien "sérieux" (Générique pour orchestre - 1963, Diphtongos pour choeurs et orchestre - 1964, Upstairs-Downstairs pour deux choeurs d'enfants et orchestre - 1971, Prelude and Christmas Carol pour 4 hautbois et ensemble de cordes - 1972) en parallèle avec ses musiques de films comme celles de Salto (1965) ou Sami swoi (1967). Il faut d'ailleurs signaler qu'à la même époque, Penderecki n'est pas en reste puisqu'il signe lui aussi une courte musique uniquement chorale pour l'étrange film de science-fiction Je t'aime, je t'aime - une curiosité signée Alain Resnais.
Le cinéma offrira aussi à Kilar la possibilité de pouvoir pasticher différents styles de danses populaires (valses, polkas, tangos, galops...), comme le tango du filmZazdrosc i medycyna (Jalousie et médecine, 1973) ou la Grande Valse de Tredowata (La lépreuse, 1976) film de Jerzy Hoffman pour lequel il compose aussi de somptueuses mesures dans un élégant style impressionniste (le thème des fontaines rappelant les Jeux d'eaux raveliens). Cette veine folklorique et populaire irriguera désormais toutes ses compositions comme le célèbre poème symphonique Krzesany (1974) qui use de polytonalité, polymodalité au sein d'une oeuvre englobant tant les superpositions d'airs de danses polonaises que des dissonances très crues ou d'autres techniques modernes comme les glissandi, et les recherches de timbres.
En 1978, suite à la projection du film La terre de la Grande promesse (1974) de Wajda, dont il avait écrit la musique (dotée d'une superbe valse romantique), Wojciech Kilar est contacté par Paulette Grimault pour écrire la musique du dessin animé Le Roi et l'oiseau (1979) réalisé par son mari Paul Grimault avec l'aide de Jacques Prévert. Il s'agit de la première musique de film française de Kilar. Le Roi et l'oiseau est aidé par un beau thème principal mélancolique et poétique accompagnant au mieux les images délicates de cette admirable parabole pour la liberté. On peut aussi entendre quelques chansons de Jacques Prévert et Joseph Kosma et pas mal de musiques de circonstance comme la polka des lions, la marche nuptiale, des airs pour orgue de barbarie, et des valses. Il compose aussi à la même époque la musique de Papiez Jan Pawel II (1981) - film de Krzysztof Zanussi ayant trait à la vie du Pape Jean Paul II - la religion catholique et le mysticisme tenant une place très importance aussi dans l'oeuvre d'un Szymanowski ou d'un Penderecki.
Les années 80 verront Wojciech Kilar toujours aussi convainquant dans ses illustrations musicales pour des films polonais comme La chronique des événements amoureux d'Andrzej Wajda (1986) que dans ses pièces de concert comme Exodus (1979-1981) ou le sublime Angelus (1982) pour soprano, choeur et orchestre - pièce héritière de l'impressionnisme tragique et lumineux du grand Karol Szymanowski, compositeur polonais relativement méconnu en France (Kilar fut d'ailleurs un des fondateurs en 1977 de la Karol Szymanowski Society basée à Zakopane). Il aura aussi l'occasion de retravailler en France avec Paul Grimault sur le beau thème de La table tournante (1988).
Après la musique du film Korczak de Andrzej Wajda en 1990, il écrit la musique de Life for Life: Maximilian Kolbe (1991) plus connue pour sa réutilisation dans l'excellent et étrange The Truman Show (1998). Puis il a enfin la chance de travailler aux États Unis grâce au grand metteur en scène Francis Ford Coppola qui le contacte pour son adaptation baroque et tourmentée du roman de Bram Stoker :Dracula (1992) - un film à très gros budget et doté d'un chapelet de stars, contant l'histoire légendaire du prince Vlad de Transylvanie (couramment appelé Vlad l'Empaleur à cause de son sadisme et de sa cruauté, notamment lors de ses combats contre les turcs au 15ème siècle). Francis Ford Coppola a été très inspiré d'oser confier un tel sujet à un authentique compositeur de l'Europe de l'Est. Loin de fournir un score convenu et formaté, Wojciech Kilar déploie pour ce film toute son inspiration romantique dans le vrai sens du mot, sans omettre un goût jamais démenti pour les cellules musicales hypnotiques et répétitives (les beaux thèmes de Mina et Lucy) et un certain chaos sonore organisé issu tout droit de ses débuts dans l'avant-garde (où les masses chorales jouent toujours un grand rôle). Pour ce chef d'oeuvre tant cinématographique que musical, Kilar reçoit un A.S.C.A.P. Award (il avait déjà obtenu de nombreux prix auparavant comme le Prix du Ministère de la Culture en 1967 et 1976 ainsi que le Prix de l'Association des Compositeurs Polonais en 1975 entre autres...).
Fort de son premier succès à Hollywood, de très grands réalisateurs s'intéressent à la personnalité hors normes du musicien, comme notamment Roman Polanski. En 1993, Polanski est à la recherche d'un compositeur capable de poursuivre les riches collaborations qu'il a eues avec le jazzman polonais Krzysztof Komeda (Le couteau dans l'eau, Rosemary's Baby) et Philippe Sarde (Le locataire, Tess et Pirates), il trouve en Kilar un nouvel alter ego capable de m'immiscer totalement dans son univers si personnel. Leur première collaboration, La jeune fille et la mort (avec une Sigourney Weaver étonnante en victime de sévices dans une dictature d'Amérique Latine, retrouvant par hasard un de ses anciens tortionnaires en la personne de Ben Kingsley) est un coup de maître. Kilar tisse pour ce superbe film un thème discret et efficace se mariant avec pudeur avec la proximité du célèbre morceau La jeune fille et la mort de Schubert - musique utilisée lors des tortures et que S. Weaver force à écouter à son ancien bourreau.
Kilar revient en France à l'occasion de la comédie fantastique de Gérard Oury : Fantôme avec chauffeur où il montre une facette espiègle et peu connue de son talent, la grâce des mélodies dans le style de Mozart (qu'il admire) et les thèmes plus mélancoliques se marient avec élégance dans ce score de 1996. Le metteur en scène Krzysztof Zanussi qui travaille depuis longtemps avec Kilar (au point d'avoir fait un documentaire sur lui en 1991), s'inspire même d'une ancienne musique (dans lequel le musicien illustrait des chevaux au galop) pour tourner un film nommé justement Cwal (Full Gallop, 1996) où Kilar dépeint le galop des chevaux en usant de gammes par ton ascendantes rappelant les tout premiers travaux orchestraux d'un Ravel (Shéhérazade, ouverture de féerie). C'est la même élégance raffinée et la même transparence orchestrale qu'on retrouve sur The Portrait of a Lady (Portrait de femme, 1996) de Jane Campion.
The Ninth Gate (La Neuvième porte, 1999) seconde collaboration avec Polanski, constitue un autre de ses chefs d'oeuvre. Film en forme de quête d'un mystérieux livre diabolique, The Ninth Gate a été mal compris à sa sortie, les nombreux cinéphiles toujours prompts à s'enthousiasmer pour le cinéma "sérieux" d'un Bresson ou d'un Antonioni étant pour la plupart totalement réfractaires à l'humour noir et au sens du grotesque typique de Roman Polanski (ou du regretté Roland Topor, polonais d'origine lui aussi). À l'image du film, Kilar compose plusieurs thèmes toujours à la frontière du terrifiant (l'impressionnante valse lente qui ouvre le film, d'une noirceur abyssale et paralysante), de l'envoûtement (l'hypnotisant thème de Liana, et les vocalises liées au mystérieux personnage féminin incarnée par la sublime Emmanuelle Seigner) et du pur clin d'oeil (le thème de boléro lié à Corso - le chasseur de livre rare, joué ici par le talentueux Johnny Deep), sans oublier d'inclure parfois des mesures purement avant-gardistes (gamme atonale ascendante suivant la ligne sanglante s'écoulant d'un cadavre, ou encore les épaisses masses chorales rappelant aussi son travail sur Dracula). Dans un registre totalement différent, Pan Tadeusz (Pan Tadeusz quand Napoléon traversait le Niemen, 1999) poursuit la veine romantique de ses anciennes musiques ayant trait à l'empereur français comme Napoléon et l'Europe (1991), Napoleon (1990, TV) ou Marysia i Napoleon (1966).
Plus près de nous, la très courte mais intense musique qu'il compose pour l'émouvant The Pianist (Le Pianiste, 2002) de Roman Polanski lui offre un premier César amplement mérité pour toute sa riche et captivante carrière.
Interview B.O : Audrey Ismaël (Le Royaume, de Julien Colonna)
Interview B.O : Audrey Ismaël (Diamant brut, de Agathe Riedinger)