Michel Legrand

Michel Legrand

Né le 24 février 1932, mort le 26 janvier 2019.

Michel Legrand, né en 1932, s'intéresse très tôt au jazz, son genre de prédilection, qui fait de lui un des grands mélodistes du cinéma international. Le compositeur français aux 3 oscars rencontre Jacques Demy en 1961 pour Lola et Agnès Varda sur Cléo de 5 à 7 (1962). Auprès de Demy, il devient auteur de chansons pour des films musicaux (Les Demoiselles de Rochefort, 1967). Il contribue à trois films de Godard (Une femme est une femme, 1961) et à trois films de Jean-Paul Rappeneau (La Vie de château). En 1966, il s'installe à Los Angeles où il rencontre Norman Jewison (L'Affaire Thomas Crown - 1968, avec la célèbre chanson "The Windmills Of Your Mind") et Clint Eastwood (Breezy, 1973). Il fait son retour en 2015 avec Xavier Beauvois (La Rançon de la gloire, Les Gardiennes). 

 

Ses récompenses :  Oscar (....)

Ses B.O notables : La Piscine ( Jacques Deray , 1969) • Breezy ( Clint Eastwood , 1973) • Cléo de 5 à 7 ( Agnès Varda , 1962) • Vivre sa Vie ( Jean-Luc Godard , 1962) • Eté 42 ( Robert Mulligan , 1971) • Lola ( Jacques Demy , 1961) • Yentl ( Barba Streisand , 1983) • Peau d'âne ( Jacques Demy , 1970) • Les Demoiselles de Rochefort ( Jacques Demy , 1967) • Une femme est une femme ( Jean-Luc Godard , 1961) • L'Affaire Thomas Crown ( Norman Jewison , 1968) • Les Parapluies de Cherbourg ( Jacques Demy , 1964) • Le Sauvage ( Jean-Paul Rappeneau , 1975) • Le Messager ( Joseph Losey , 1971) •

Articles / Biographies

Michel Legrand voit le jour le 24 février 1932 à Bécon-les-Bruyères (dans la banlieue de Paris), sa mère est d'origine arménienne et son père n'est autre que le célèbre compositeur Raymond Legrand (coauteur de la musique de la célèbre comédie musicale “Irma la douce”). Sa soeur Christiane, de deux ans son aînée sera également musicienne et chantera souvent sur les disques de son frère. Quand son père quitte le domicile familial en 1935, il laisse un vieux piano sur lequel le jeune garçon solitaire essayera de retrouver à l'oreille des airs entendus à la radio.

Musicien précoce, il entre au conservatoire (sur dérogation) dès 9 ans. Il y reçoit l'enseignement de professeurs prestigieux comme Nadia Boulanger (c'est dans sa classe qu'il se lie d'amitié avec Quincy Jones) et Noël Gallon, mais aussi Henri Challan et Lucette Descaves, et obtient plusieurs premiers prix en piano, solfège, et déjà contrepoint et fugue (il maîtrisera plus tard cette technique à merveille, notamment dans le générique de ' Peau d'âne '). Après ses études, l'orchestrateur et le pianiste Michel Legrand devient un vrai boulimique de musiques (il joue de plusieurs instruments, dont sa propre voix), et comme beaucoup d'autres personnalités de sa génération (Lalo Schifrin, Claude Bolling, Claude Nougaro), il s'enthousiasme pour le jazz (alors triomphant) comme celui de Dizzy Gillespie, l'un des piliers du style bebop.

Dans la lignée de son père Raymond et à la suite du grand Paul Misraki, Michel Legrand parvient à faire son trou dans l'univers fermé de la chanson française en accompagnant des stars célèbres comme Zizi Jeanmaire, Henri Salvador ou Juliette Gréco. Il obtient même un succès international avec son album “I Love Paris” puis est engagé par Maurice Chevalier comme directeur artistique.

C'est en 1955 qu'il fait une entrée discrète dans le monde du 7ème art avec la bande originale ' Les amants du Tage ' (réalisé par Henri Verneuil). En 1958, il compose la musique de ' L'Amérique insolite ' (de François Reichenbach avec Chris Marker au montage), puis enregistre “Legrand Jazz” à New York, album réalisé à une époque fertile où il a la chance de diriger les plus grands jazzmen américains comme Miles Davis mais aussi Bill Evans ou John Coltrane.

Après plusieurs films parfois oubliés comme ' Rafles sur la ville ' (1958), ' Me faire ça à moi ' (1960), ' Le coeur battant ' (1960) ou ' Terrain vague ' (1960), il fait la rencontre de sa vie en la personne du merveilleux cinéaste Jacques Demy, qu'il aime appeler “son frère jumeau” tellement leurs modes de pensée et d'attitude paraissent en osmose. Leur complicité débute avec le beau film mélancolique ' Lola ' (1961), narrant la vie d'une danseuse interprétée avec talent par la superbe Anouk Aimée. Autre grande rencontre : celle du célèbre réalisateur Jean-Luc Godard pour qui il composera pas moins de sept scores (alors que ce dernier est plutôt réputé pour réutiliser à sa manière le répertoire de la musique classique : de Beethoven à Schumann en passant par Wagner), ' Une femme est une femme ' (1961) avec Anna Karina, marquera leurs premiers pas ensemble.

Sur ' Cléo de 5 à 7 ' (1961) d'Agnès Varda (qui fût la compagne de Jacques Demy), l'incorrigible touche à tout Michel Legrand ne va pas seulement composer la musique et les chansons, mais va aussi interpréter Bob, le pianiste qu'on voit dans le film. Et loin de se limiter au cinéma de la Nouvelle Vague, incarné alors par Godard, Varda et Demy, Legrand va aussi composer pour des films très populaires comme 'Le Gentleman d'Epsom ' (1962) avec Jean Gabin, 'Comme un poisson dans l'eau' (1962), Maigret voit rouge (1963), 'Les Amoureux du France' (1964), 'Une ravissante idiote' (1964), 'La Vie de château' (1966), 'Tendre voyou' (1966) ou des films de genre comme 'Le cave se rebiffe' (1961), 'Corrida pour un espion' (1965) ou 'L'homme à la buick' (1966).

Après avoir composé un beau thème pour l'émouvant ' Vivre sa vie' (1962) de Godard, Legrand collabore avec le grand réalisateur Joseph Losey sur l'excellent score de ' Eva'(1962) - polar assez malsain se déroulant à Venise (avec Jeanne Moreau dans le rôle principal), Eva montre assez bien les différentes facettes du compositeur Michel Legrand quand il est confronté à l'illustration filmique :

- Thèmes principaux fortement marqués par le jazz, ce qui restera presque systématique chez lui.

- Goût pour les phrasés et les instruments empruntés à la musique baroque (nombreuses utilisations du clavecin).

- Orchestrations translucides flirtant très souvent avec l'impressionnisme.

Certains passages dissonants et complexes d'' Eva' rappellent aussi parfois l'écriture d'un Lalo Schifrin qui partage avec Legrand de nombreuses affinités esthétiques.

C'est à cette époque que Legrand collabore avec Claude Nougaro (alors à ses débuts), il lui écrira plusieurs chansons célèbres comme “Le Cinéma” ou “Sa maison”.

'La Baie des anges' (1963) de J. Demy - merveilleuse étude de moeurs sur le monde du jeu et des casinos (avec Jeanne Moreau) confirme le talent de mélodiste de Michel Legrand. Le mélodieux thème principal au piano de ' La Baie des anges' marquera même le compositeur Richard Rodney Bennett (élève de Pierre Boulez et au style volontiers atonal), ce qui montre bien le caractère vraiment universel de la musique de Legrand.

C'est en 1964 qu'il compose sa partition la plus populaire : ' Les Parapluies de Cherbourg' , comédie musicale révolutionnaire de Jacques Demy avec Catherine Deneuve (où tous les dialogues du film sont chantés). Malgré le soutien de Chris Marker et de la productrice Mag Bodard, le film a énormément de mal à trouver un financement mais devient pourtant un succès quand il sort enfin en salles, il obtient également une palme d'or à Cannes. Le couple Legrand-Demy réitérera avec le même succès à l'occasion du poétique et joyeux ' Les Demoiselles de Rochefort' (1967) - nouvelle comédie musicale avec Catherine Deneuve et sa soeur Françoise Dorléac, dont l'univers visuel tendre et coloré rappelle les tableaux d'un Raoul Dufy.

Poussé par Jacques Brel, Michel Legrand deviendra lui-même chanteur au milieu des années 60, on lui doit les musiques de merveilleuses chansons comme le swinguant et original “Avant le jazz” et le bouleversant “Les enfants qui pleurent” (que Claude Nougaro reprendra en 1974).

En 1966, il s'installe avec sa famille à Los Angeles où, chaperonné par Henry Mancini, il obtient un premier succès avec ' The Thomas Crown Affair' (L'Affaire Thomas Crown, 1968) de Norman Jewison (avec Steve McQueen et Faye Dunaway) célèbre pour ses rythmes jazz endiablés et surtout la chanson The Windmills Of Your Mind (“Les Moulins de mon coeur” dans la version française) qui fera le tour du monde et qui lui vaudra un Oscar. Victime de son succès, Michel Legrand est de plus en plus débordé et n'hésite pas à se faire épauler par le jeune Vladimir Cosma qui l'aide pour ses orchestrations et compose même la musique du savoureux épisode de Philippe de Broca sur 'Le Plus vieux métier du monde' (1967) film à sketches pour lequel Legrand déploie un éclectisme impressionnant (expérimentations bruitistes, flûte impressionniste, et même musique ethnique !).

En 1968, le film d'espionnage ' Ice Station Zebra' (Destination Zebra Station Polaire) de John Sturges, le montre aussi capable d'assumer un important travail d'écriture et d'orchestration qui n'a absolument rien à envier à des compositeurs hollywoodiens plus établis comme Lalo Schifrin ou Jerry Goldsmith, notamment lors des passages de suspense que Legrand maîtrise à la perfection. Notons aussi le remarquable ' Castle Keep' (Un château en enfer, 1969) de Sydney Pollack.

Malgré ses exils californiens, Legrand continue de travailler pour des films français comme le court score pour choeurs, voix et orchestre de ' La Piscine' (1969) ou celui de ' Un peu de soleil dans l'eau froide' (1971) qui contient la chanson “Dis-moi”, ces deux films étant réalisés par le cinéaste Jacques Deray, avant que celui-ci ne collabore quasiment plus qu'avec Claude Bolling, au style plus épuré et discret et qui lui conviendra mieux. Notons aussi l'excellent thème “Engrenages” pour la musique rejetée du ' Cercle rouge' (1970) de J.P. Melville (qui confiera finalement le travail à Eric Demarsan).

Sa collaboration avec Demy connaît un sommet avec le somptueux ' Peau d'âne' (1970) - véritable féerie chantée avec Catherine Deneuve et Jean Marais, pour lequel Legrand va véritablement se surpasser en composant une partition nettement moins jazzy que celle des Demoiselles mais lorgnant plutôt du coté de ses racines françaises : celles de Rameau, Fauré, Debussy, Ravel, mais aussi de Georges Auric (compositeur du mythique 'La belle et la belle' auquel le film de Demy fait souvent référence). Il compose également un autre chef d'oeuvre pour ' The Go-Between' (Le Messager, 1970) - merveilleuse partition inquiète et tendue pour deux pianos et orchestre (arrangée plus tard avec sa femme Catherine Michel pour clavecin solo, harpe et orchestre). Malgré de fortes réticences à l'écoute du thème, le cinéaste Joseph Losey finira tout de même par adorer ce score lorsqu'il sera intégré à son film.

Dans les années 70, il faut aussi parler de ses brillantes partitions pour ' Summer of 42'(Un été 42) de Robert Mulligan (qui lui offre un nouvel Oscar), ' Les Mariés de l'an II'(1971) et ' Le Sauvage' (1975) de Jean-Paul Rappeneau, la belle musique pudique et délicate de ' La Vieille fille' (1972) de Jean-Pierre Blanc, ' Le gang des otages' (1972) d'Édouard Molinaro, l'étonnant thème funky du polar ' Un homme est mort' (1973) de Jacques Deray, le score baroque de ' The Three Musketeers' (Les trois mousquetaires, 1973) de Richard Lester, ' Breezy' (1973) de Clint Eastwood, ' L'impossible objet ' (1973) de John Frankenheimer, le score jazzy et un peu à contre emploi des ' Routes du sud'(1978) - film politique de Joseph Losey ou encore le swinguant ' Atlantic City' (1979) de Louis Malle.

Legrand n'oublie pas la chanson et offre à son tour sa chance à un jeune chanteur nommé Jean Guidoni en 1975, cet admirable interprète connaîtra grâce à lui une grande carrière scénique dans un style très théâtral et original. En 1995, le généreux Michel Legrand composera l'album “Vertigo” pour Jean Guidoni et l'accompagnera même sur scène en tournée pour chanter avec lui plusieurs duos.

Bien que Legrand ait très peu travaillé pour la télévision, il signe pourtant les musiques des dessins animés éducatifs ' Il était une fois l'homme' (1978) et ' Il était une fois l'espace' (1982) ainsi que toutes les autres séries de la même famille (' Il était une fois les découvreurs' , ' Il était une fois les explorateurs' ...) qui ont bercé plusieurs générations, dont votre serviteur.

En 1983, il compose la musique d'un film de la série mythique des James Bond avec 'Never Say Never Again' (Jamais plus Jamais) d'Irvin Kershner interprété par Sean Connery, mais parvient difficilement à m'immerger dans cet univers tellement marqué par la patte inimitable d'un John Barry. La même année, il obtient un nouvel Oscar pour la très belle musique de ' Yentl' de Barbra Streisand. Durant cette période, Legrand va également fonder un trio de jazz avec André Ceccarelli et Marc-Michel Le Bévillon, puis lancera plus tard son propre big band tout en continuant ses multiples collaborations (avec Ray Charles, Barbra Streisand, Stéphane Grappelli ou Maurice André). Signalons également les bandes originales de ' Un amour en Allemagne' (1983) d'Andrzej Wajda, ' Paroles et musique' (1984) d'Élie Chouraqui, ' Partir, revenir' (1984) de Claude Lelouch, ' Train d'enfer' (1984) de Roger Hanin, ' Palace' (1985) d'Édouard Molinaro, ' Spirale' de Christopher Frank (1986).

A la fin des années 80, il offre à Yves Montand un brillant hommage à l'artiste de Music hall qu'il a toujours été, ce sera ' Trois places pour le 26' (1988) de Jacques Demy, puis il réalise son premier film ' Cinq jours en juin' (1989) avec Sabine Azema et Annie Girardot, qui connaît un échec en salle.

Plus récemment, il collabore à l'humoristique ' Prêt-à-porter' (Ready to wear, 1994) satire du monde de la mode par Robert Altman, ' Les Misérables' (1994) de Claude Lelouch, ' La Bûche' (1999) de Danièle Thompson et un élégant score ample et lyrique pour le téléfilm ' La bicyclette bleue' (2000) d'après le roman de Régine Desforges avec Laeticia Casta.

Si on ajoute le fait qu'il se passionne pour l'équitation, la navigation en mer, et même l'aviation au point de piloter son propre avion, qu'il a obtenu la Légion d'honneur, qu'il a écrit un oratorio, plusieurs musiques de scène (pour Jean-Louis Barrault ou Didier Van Cauwelaert) et qu'il a même interprété et dirigé de nombreuses oeuvres classiques (Satie, Fauré, Duruflé), on obtient un artiste complet et passionné digne des plus grands esthètes de la Renaissance, et dont la carrière aventureuse constitue un formidable exemple pour la jeune génération.

Christian Texier

 

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