Né le 3 juillet 1927 - Mort le 17 mars 2016.
Jean Prodromidès (1927-2016) a débuté dans les années 50 par la composition pour le cinéma auprès des réalisateurs Gilles Grangier (Archimède le clochard, 1958), Jean Delannoy (3 films dont Maigret et l'affaire Saint-Fiacre, 1959), Roger Vadim (Et mourir de plaisir, 1960), Albert Lamorisse (Le Voyage en ballon, 1960), Alain Cavalier (Mise à sac, 1967)... puis se détourne du grand écran au profit de la musique symphonique et surtout l'opéra. En 1983, il revient une ultime fois au cinéma pour Danton de Andrzej Wajda avec une partition de musique dodécaphonique.
Jean Prodromidès naît le 3 juillet 1927 à Neuilly-sur-Seine au sein d’une famille mélomane d’origine grecque. Son père, qui exerce la profession d’avocat, dirige naturellement son fils vers des études de droits que le jeune Jean Prodromidès effectue à l’Université. Mais le futur compositeur est attiré par la musique (il écoute pendant des heures le piano mécanique de son père) et apprend le piano dès l’âge de 8 ans, puis entre au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris où il reçoit l’enseignement de Tony Aubin et de Noël Gallon. Prodromidès n’apprécie pas la vision académique de Noël Gallon qui lui enseigne la fugue et le contrepoint, la finalité de cette classe étant, selon lui, moins de comprendre la musique de l’intérieur que de former des futurs Prix de Rome.
Il suit aussi les cours d’Olivier Messiaen (l’ouverture d’esprit de sa classe d’analyse fut pour lui l’exact antidote à celle de Noël Gallon), de Maurice Duruflé (qui enseignera également à Claude Bolling) et ceux de Louis Fourestier. Le théoricien René Leibowitz lui apprend également les techniques de la musique dodécaphonique et aiguise l’appétit de Jean Prodromidès pour l’atonalité et les recherches instrumentales.
Lors de son service militaire (comme musicien), il a la chance de se faire la main en travaillant pour le Service Cinématographique des Armées et compose bon nombre de musiques pour leurs films. Il écrit aussi des musiques de scène, notamment pour la Compagnie du célèbre Mime Marceau, mais aussi pour le T.N.P., le Palais de Chaillot, et le Théâtre de France. Il débute en écrivant les musiques de courts métrages. On trouve déjà dans Un jardin public (1954) de Paul Paviot (court mimodrame dans lequel joue le Mime Marceau) l’essentiel de son style filmique futur : mélodies entraînantes et extrêmement bien charpentées, clins d’oeil aux musiques du passé (Baroque, Renaissance) et atmosphères impressionnistes (harpes et bois) évoquant les musiques de ballets comme Le Prince des Bois de Béla Bartók. Lancé par le producteur Jean-Paul Guibert, il entre de plein pied dans le monde du cinéma avec le long-métrage Courte tête (1956) de Norbert Carbonnaux.
À la fin des années 50, il participe à Archimède le clochard (1958) de Gilles Grangier, film taillé sur mesure pour le grand Jean Gabin qui apprécie beaucoup le joyeux thème principal du film (joué à la clarinette) mais aussi le professionnalisme sans failles du jeune compositeur. Gabin fera confiance à Prodromidès au point de le recommander à ses metteurs en scène fétiches (Jean Delannoy, Denys de la Patellière), il lui confie aussi la musique du sombre et brumeux Maigret et l’Affaire Saint-Fiacre (1959) marqué par le timbre mat d’un saxophone alto, et les grandes valses du Baron de L’Écluse (1960) deux films de Jean Delannoy. Dans un autre style, il composera aussi l’ample et longue musique illustrative du Voyage en ballon (1960) d’Albert Lamorisse, qui constitue, selon ses propres termes, un véritable poème symphonique (pour très grand orchestre et choeurs) consacré aux différentes régions de France.
La partition noble et classique (avec des danses anciennes comme la tarentelle et incluant même une harpe irlandaise) qu’il écrit pour Et mourir de plaisir (1960) de Roger Vadim plaira tellement au metteur en scène qu’il voudra plaquer son thème principal un peu partout dans le film ! Notons aussi l’émouvante valse mélancolique du Bateau d’Émile (1962) de Denys de la Patellière ainsi que Les Amitiés particulières (1964) de Jean Delannoy. Il retrouve Roger Vadim à l’occasion de Metzengerstein (1968) - premier sketch des Histoires extraordinaires de Vadim, Malle et Fellini (d’après les nouvelles fantastiques d’Edgar Poe). Outre quelques danses anciennes ainsi que différents climats impressionnistes lors des chevauchées de l’héroïne (la belle Jane Fonda), l’épisode de Vadim lui offre surtout l’opportunité d’écrire des climats plus inquiétants avec un orgue répétitif et des timbres sourds dont il se souviendra pour le Danton d’Andrzej Wajda.
Sa production se raréfiera considérablement au cours des années 70, notons simplement L’Éducation amoureuse de Valentin (1975) et Président Faust (1974, TV) - rare musique qu’il ait consenti à écrire pour un téléfilm.
Au début des années 80, le grand cinéaste polonais Andrezj Wajda rencontre Prodromidès (suite à l’audition de son Livre des Katuns - oratorio pour solistes, choeurs et orchestre) pour écrire la musique de la production franco polonaise Danton (1982). Pour la petite histoire, Andrezj Wajda deviendra plus tard l’ami personnel de Prodromidès, et celui-ci le fera même nommer à l’Académie Française au fauteuil de Fellini.
Remarquable drame historique consacré aux derniers jours du fameux homme politique français, le film s’attache surtout à confronter les personnages de Danton (joué par un magistral Gérard Depardieu) et de Robespierre (Wojciech Pszoniak), soutenu par une époustouflante musique suggérant la rumeur de la foule et toute la tension de cette période troublée de la Révolution Française. Il faut aussi noter le mixage particulièrement audacieux du film dans lequel Wajda n’hésite pas à couvrir délibérément les dialogues par la musique (pour suggérer la peur et la tension de la foule).
Refusant toute caractérisation thématique des deux personnages, Prodromidès se sert uniquement d’un petit motif atonal de quelques notes qui parcourt sporadiquement l’oeuvre, au milieu d’une musique chaotique et dense où les choeurs jouent un grand rôle (interprétée par l’Orchestre de la Philharmonie de Varsovie sous la direction de Jan Pruszak ainsi que la Chorale de la Société de Musique de Varsovie) pas très éloignée des menaçantes “taches sonores” d’un Iannis Xenakis. Certaines scènes de Danton inspireront à Prodromidès des sonorités métalliques et raclées, des col legno ainsi que de violents et macabres ostinatos aux percussions (où l’on réentend parfois le motif principal) notamment lorsque Danton, sorti de la conciergerie, monte dans la charrette des condamnés puis quand les protagonistes se font guillotiner. Certaines mesures aux cordes seules montrent un certain lyrisme inquiet et tendu, et hormis l’orgue sourd entendu lors du préparatif de la fête de l’Être Suprême dans l’atelier du peintre David (rappelant les recherches rythmiques d’un Olivier Messiaen), on trouve plusieurs passages plus épurés à la flûte, à l’écriture parfois même très virtuose (on songe à Ferneyhough) notamment lorsque des gamins courent devant une imprimerie.
Délaissant totalement la fiction télévisuelle alors en pleine essor, le compositeur se tournera définitivement vers la musique “sérieuse” qu’il pratique parallèlement depuis la fin des années 50. L’opéra surtout, est pour lui le moyen de prolonger son goût pour l’expression dramatique qu’il illustra jadis dans ses travaux filmiques. Hors cinéma, Prodromidès a écrit des ballets comme La Belle et la bête (1962), Salomé (1968, pour Maurice Béjart), La Septième Lune (2004), des pièces symphoniques comme Deux Airs pour mezzo et orchestre (1958), Les Perses (1961, oratorio qui bénéficia d’un grand succès quand il a été adapté pour la télévision), Parcours (1973), Le Livre des Katuns (1977), Crossways (1985), et surtout des oeuvres lyriques comme Les Troyennes (1963), Marat-Sade (1966), l’expérimental Les Traverses du temps (1979), H.H Ulysse (1984), La Noche triste (1989), l’excellent Goya (1996)
Couvert
d’honneurs (Chevalier de la Légion d’Honneur, Officier de l’Ordre
National du Mérite, Commandeur de l’Ordre des Arts et Lettres, membre
de l’Académie des Beaux-Arts), Jean Prodromidès a été président du
Comité Lyrique de l’Institut International du théâtre à l’UNESCO
(1981-1991), membre de la Commission d’Aide Sélective à la Musique de
Film (1985-1988), et vice-président de la S.A.C.D.
Il enseigne à l’École d’Art Lyrique de l’Opéra de Paris depuis 1994.
Souhaitons sincèrement qu’un éditeur discographique réédite au plus tôt en CD ses principales oeuvres telles que H.H Ulysse, Les Perses, Le Livre des Katuns et surtout l’extraordinaire Danton qui constitue sans aucun doute l’absolu chef d’oeuvre de sa période filmique.
Interview B.O : Audrey Ismaël (Le Royaume, de Julien Colonna)
Interview B.O : Audrey Ismaël (Diamant brut, de Agathe Riedinger)