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par Damien Deshayes - Publié le 12-05-2008




Entre 1953 et 1968, Kubrick cherche sa voie en tentant à tout prix de s'affranchir des règles établies. Il est encore sous la coupe des producteurs et utilise de façon traditionnelle des compositeurs modernes: Gerald Fried, Alex North, Nelson Riddle et Laurie Johnson. On peut distinguer dans leurs travaux des leitmotiv représentant une émotion, un individu, une situation, la musique évoluant comme un troisième personnage (1), comme une autre voix-off.

 

En 1951, le jeune apprenti réalisateur signe son premier film, DAY OF THE FIGHT, animation d’un reportage photo sur le boxeur professionnel Walter Cartier, déjà paru dans le magazine Look, dont Kubrick est alors l’un des collaborateurs. Stanley n’a jamais encore manié de caméra : le film d’un quart d’heure coûtera 3900 dollars soit plus du double de ce qui avait été prévu au départ.

Après avoir tourné quelques documentaires (FLYING PADRE et THE SEAFARERS), Stanley Kubrick quitte son poste de photographe à la revue Look, et encouragé par le distributeur Joseph Burstyn, tourne dans les montagnes de Californie un film de guerre abstrait et métaphysique en noir et blanc, FEAR AND DESIRE. La critique encense ce premier long métrage, mais Kubrick, qui le considère comme un essai raté, en interdira ensuite la projection.

En 1955, il tourne à New York, avec 75 000 dollars, un mélodrame noir et expressionniste qui ne dépasse pas soixante minutes et met un scène un boxeur injustement mis en cause dans un meurtre commandité par le propriétaire d’une boîte de nuit. KILLER’S KISS est un film indépendant dont le jeune réalisateur a totalement contrôlé la réalisation et la production.

Après sa rencontre avec James B. Harris, avec qui il fonde une boîte de production, la Harris-Kubrick Picture, Stanley Kubrick travaille avec l’écrivain Jim Thompson à l‘adaptation d’un thriller de Lionel White : CLEAN BREAK, qui deviendra à l’écran THE KILLING (L’Ultime Razzia). Le film, qui décrit la préparation et l’exécution d’un coup parfait, ne trouve pas son public mais est salué par la critique. Pour la première fois, le réalisateur fait appel à des professionnels d’Hollywood, comme le directeur de la photographie Lucien Ballard. THE KILLING étonne aussi par l’originalité de sa structure scénaristique, sous la forme d’un triptyque (2), et par l’abondance de ses longs travellings.

La musique de ces quatre films a été composée par Gerald Fried, qui deviendra le compositeur fétiche de Robert Aldrich. Une complicité musicale dont la longévité est étonnante et qui a récemment fait l’objet d’une édition discographique partielle : la compilation Silva América « Strangelove Kubrick, Music from the films of Stanley Kubrick » offre ainsi une vingtaine de minutes de musique extraites des quatre premiers films de Stanley Kubrick, réinterprétée par l’Orchestre Philharmonique de la Ville de Prague (dirigé par Paul Bateman), permettant ainsi de redécouvrir le travail méconnu de Gerald Fried : un travail soigné et efficace, qui malgré le manque de moyens, démontre que le compositeur américain avait beaucoup d’imagination.

L’enregistrement de DAY OF THE FIGHT (avec « March Of The Gloved Gladiators » dans la compilation Silva) aurait pu pourtant ne pas se faire. Gerald Fried avait en effet convoqué les meilleurs musiciens qu’il connaissait aux studios de la RKO à New York, mais lorsque ces derniers, âgés d’une vingtaine d’année en moyenne, arrivèrent, le gardien du studio leurs cria que les enfants ne pouvaient entrer ici parce qu’ils avaient programmé un enregistrement professionnel. Stanley Kubrick n’avait alors que 23 ans.

La compilation contient deux titres extraits de FEAR AND DESIRE : « A Meditation on War », qui illustre l’avancée en territoire ennemi du petit groupe de soldats et « Madness » qui intervient lorsque Sydney, après avoir tenté de violer la fille, la tue. Gerald Fried, pour qui la peur et le désir sont « deux passions humaines dominantes » dit de sa musique qu’elle devait être « profonde, riche de sens, envoûtante, désespérée mais néanmoins triomphante ». La musique a été louée par quelques critiques dans leurs chroniques (Walter Winchell par exemple). David Wishart parle de « tonalités ouvertement excentriques » (3) . C’est à partir de ce film que Kubrick s’est rendu compte du coût et de la complexité qu’exigeait la création d’une bande son – FEAR AND DESIRE nécessitait la présence de 23 musiciens.

KILLER’S KISS est représenté par le morceau « Murder 'mongst The Mannikins » , un air inquiétant, atonal, avec des trémolos aigus de cordes, des roulements de percussions et des glissandi mystérieux…

Enfin, la compilation Silva comporte une piste extraite de la musique du film THE KILLING (L'ultime razzia): « Main Title & The Robbery »… Comme le budget du film était plus important, Gerald Fried a pu s’offrir les services de 40 musiciens, dont le célèbre pianiste André Prévin. Selon David Wishart (4) le morceau « Main Title & The Robbery » illustre l’intense activité de l’hippodrome tout en laissant présager la tragédie par « des staccatos insistants et tranchants ». Gerald Fried s’est montré très satisfait par son utilisation des cuivres : « le film commençait tout juste et tel un train emballé, il ne devait plus ralentir. »

(1) Voir à cet égard : GIULANI, Elizabeth. « Stanley Kubrick et la musique ». AFAS - Association française des détenteurs de documents sonores et audiovisuels, 21 octobre 2005 [en ligne], (http://afas.imageson.org/document57.html)
(2) Le film se déroule en trois jours : le samedi, le mardi, et le samedi qui suit.
(3) Livret du CD
(4) Livret du CD

par Damien Deshayes

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