On connaissait depuis longtemps des comédies musicales, des pièces de théâtre ou des opéras adaptés au grand écran (en vrac : West Side Story de Leonard Bernstein, Carmen de Bizet, Tosca de Puccini, , ou plus récemment Mamma Mia de Abba). Mais depuis quelques temps, c'est le spectacle vivant qui s'intéresse au cinéma et donc, naturellement, à la musique de film.
Début 2007, on apprends que David Cronenberg a l'intention d'adapter sur scène une nouvelle vision de La Mouche (The Fly), plus de vingt ans après la sortie de son film éponyme, qui était déjà un remake de La Mouche Noire, avec Vincent Price (Kurt Neumann, 1958), film lui-même adapté d'une nouvelle de George Langelaan publiée en 1957. A l'instar du personnage principal de La Mouche, l'histoire a ainsi subi plusieurs mutations et métamorphoses, passant de l'écrit au cinéma, puis finalement, sous l'impulsion de David Cronenberg et de son compositeur Howard Shore, à l'opéra.
Pour eux, tout commence avec la rencontre de David Henry Hwang en 1993. Cronenberg adapte sa pièce M. Butterfly au cinéma. Shore en écrit la musique. Une douzaine d'année plus tard, l'équipe décide de travailler de nouveau ensemble mais dans le sens inverse : Hwang est chargé d'adapter La Mouche pour la scène. Mais pas seulement en se basant sur le film réalisé en 1986 par Cronenberg (qui se déroulait dans le contexte des années 80), plutôt en s'inspirant des années 50, période où la nouvelle a été écrite. On doit ainsi ce renouvellement de décor à Dante Ferreti, célèbre décorateur de Fellini, qui travailla aussi avec Gilliam, Scorsese et plus récemment avec Burton (Sweeney Todd, pour lequel il remporte un Oscar). De son côté, Howard Shore réadapte sa partition musicale pour la scène, lui faisant subir une nouvelle mutation également. Déjà, à l'époque du film, son score avait une dimension très opératique, très tragique, qui lui avait fait penser à la forme de l'opéra. C'est d'ailleurs pour ainsi dire sa première grande partition symphonique. Depuis, de l'eau a coulé sous les ponts et le bonhomme a passé plus de quatre ans sur la trilogie Le Seigneur des Anneaux, écrivant plus d'une douzaine d'heures de musique originale pour grand orchestre et choeurs. Un travail de titan qui l'a amené dans la foulée à créer une symphonie en trois mouvements tirée de ses musiques pour la trilogie de Peter Jackson : la "Lord of the Ring Symphony", qu'il fait jouer partout dans le monde dès 2004. C'est donc tout naturellement, ou presque, qu'il s'engage à composer deux heures de musique pour l'opéra The Fly, avec l'accord de principe de Placido Domingo, directeur de l'opéra de Los Angeles, qui produit le spectacle en partenariat avec le Théâtre du Châtelet à Paris. David Cronenberg s'implique naturellement dans le projet, au poste de la mise en scène, tandis que sa soeur Denise Cronenberg, costumière de presque tous ses films, est chargé des costumes. Cronenberg fait également appel à son maquilleur fétiche, Stephan L. Dupuis, avec lequel il a collaboré sur Scanners, La Mouche, History of Violence et Les Promesses de l'Ombre.
Le résultat est présenté au Théâtre du Châtelet à Paris en juillet 2008, l'espace de cinq représentations. Dès l'ouverture, Howard Shore replonge le spectateur dans le film de 1986 avec le thème opératique et dramatique qu'il composa à l'époque. Mais rapidement, sa musique se fait plus introspective, organique, poisseuse, et surtout dérangeante. Tout au long de l'histoire, des cordes lancinantes torturent à la fois les personnages et le spectateur, créant un malaise propre à la célèbre collaboration Shore / Cronenberg. Les intentions sont radicales, le parti-pris très affirmé. Pourtant, la musique divise car on reproche à Howard Shore son manque de maîtrise musical, notamment l'absence de véritable progression dramatique. Il ponctue cependant ses larges plages atmosphériques par quelques envolées orchestrales brillantes, rappelant parfois la partition du film, parfois au contraire développant (succintement) un nouveau thème, un nouveau motif, correspondant à un moment charnière de l'histoire.
Malheureusement il faut reconnaître que la musique de Shore, très dense, a du mal à exister en parallèle des paroles chantées par les comédiens sur scène. Chant et musiques ont parfois tendance à s'annihiler plutôt qu'à danser ensemble. L'adaptation reste cependant spectaculaire, sombre et poétique, faisant définitivement de La Mouche une brillante histoire d'amour fou et désespéré où le corps et l'âme se désintègrent dans les sentiments. En ce sens, même si le résultat partage, l'intention est louable et même plus que courageuse, car on a rarement vu avant cela un film d'horreur adapté en opéra ! Ce projet s'inscrit finalement logiquement dans le parcours créatif de Cronenberg et de Shore, deux artistes exigeants toujours en quête de nouveaux territoires d'expression, dont les thèmes de prédilection trouvent ici une nouvelle forme, audacieuse qui plus est.
On apprend peu de temps après que c'est à un film français culte qu'il revient l'honneur d'être adapté sur scène. Non pas en opéra, cette fois, mais en comédie musicale. Le film en question ? Ni plus ni moins que Les Aventures de Rabbi Jacob, réalisé en 1973 par Gérard Oury, mis en musique par Vladimir Cosma et porté par l'inimitable Louis de Funès. Comment d'ailleurs égaler le film alors même que celui-ci est précisément inimitable ? On se pose alors la question de l'intérêt du projet...
Réponse en septembre 2008 à la première du spectacle. En ouverture, évidemment, l'inévitable thème de Rabbi Jacob composé par Cosma, un classique parmi les classiques de la musique de film française. Le comédien et réalisateur français Patrick Timsit en assure l'adaptation, tandis que le rappeur McSolaar compose quatre chansons. Et Vladimir Cosma dans tous cela ? Il participe d'abord à la conception du projet et travaille aux chansons avec McSolaar. On entend finalement peu son thème pendant le spectacle, sauf en off, entre les séquences. C'est l'occasion de rappeler au spectateur de bons souvenirs (le public jubile et applaudit !). Il compose cependant de nouveaux tronçons de musique, largement inspirés de sa partition de 1973 (comme par exemple la musique de la séquence dans l'usine de chewing-gum).
Outre l'aspect chanté et bon enfant de l'entreprise (qui est l'évidence même quand on connaît le succès de la fameuse scène de danse dans le film), ce qui est nouveau ici n'est pas seulement les nouvelles relations développées entre les personnages et les nouvelles chansons qui en découlent (dont certaines en rap déconcertent franchement), mais plutôt le regard nouveau que porte le metteur en scène sur la société française d'aujourd'hui. A l'époque déjà, Les Aventures de Rabbi Jacob portait un regard très acerbe sur le racisme et la pluralité des cultures et des religions en France (le personnage de Victor Pivert - Louis de Funès - est un raciste qui s'ignore). Cette nouvelle adaptation, fidèle à l'humour un peu "rentre-dedans" de Timsit, renouvelle finalement assez bien ces thèmes avec un Victor Pivert (Eric Metayer) plus cynique que jamais, et des personnages franchement décalés (Marianne James en tête !). On oscille ainsi entre passages consensuels d'un ennui mortel (avec des chansons de variété dignes des comédies musicales françaises les plus insipides) et séquences de comédie un peu absurde et même parfois pas franchement respectables ! Un parti pris à souligner. Spectacle donné du mardi au samedi, du 18 septembre au 30 novembre 2008.
En écoute : "Le Rabbin Muffin" de McSolaar incluant le thème de Vladimir Cosma
En premier lieu une adaptation sur scène, au Théâtre du Châtelet une fois encore, du film Edward aux mains d'argent, réalisé par Tim Burton en 1990 (avec Johnny Depp), et mis en musique par Danny Elfman. De cette partition, qui reste à ce jour l'un des joyaux de la collaboration Burton/Elfman, sont conservés les thèmes principaux, mais une nouvelle musique est composée et arrangée par Terry Davies, musicien réputé qui a déjà collaboré sur scène avec Kenneth Branagh ou Sam Mendes. Si la scénariste originale du film, Caroline Thompson, est impliquée dans cette nouvelle adaptation sous forme de ballet (avec trente danseurs sur scène et douze musiciens), Tim Burton en revanche ne l'est pas. Nous ne sommes donc plus dans le prolongement d'une démarche artistique ou dans une forme de renouvellement comme avec Shore et Cronenberg pour La Mouche. On attends donc de voir cette relecture dansée de l'histoire d'Edward aux mains d'argent, crée par Matthew Bourne. Sur les planches du 8 octobre au 2 novembre 2008.
En écoute : "Introduction" de la BO d'Edward Scissorhands par Danny Elfman
Il est fort à parier que ces adaptations donneront lieu à d'autres créations. Reste maintenant à savoir quels films seront adaptés, et sous quelle forme. Et à quelles fins ? Car si pour certains la métamorphose d'une histoire d'une forme à une autre est le prolongement d'une véritable démarche artistique, pour d'autres on peu se demander si la démarche n'est pas simplement mercantile. L'avenir nous le dira !
Interview B.O : Audrey Ismaël (Le Royaume, de Julien Colonna)
Interview B.O : Audrey Ismaël (Diamant brut, de Agathe Riedinger)