stoker,mansell, - Stoker (Clint Mansell), musique profonde, mélancolique & grinçante Stoker (Clint Mansell), musique profonde, mélancolique & grinçante

stoker,mansell, - Stoker (Clint Mansell), musique profonde, mélancolique & grinçante

par Charlotte Dematte

- Publié le 29-05-2013




Nouvelle voie dans la filmographie du réalisateur coréen après Sympathy for Mr. Vengeance (2002), Old Boy (2003), Lady Vengeance (2005) ou Thirst (2009), Stoker trouve, en s’associant avec Clint Mansell, le musicien de Darren Aronofsky, une illustration de son univers éclairée.

Première pierre de ce qui se met doucement en place, les effets visuels posent le cadre. Du début à la fin de l’histoire, différentes images ou plans interviennent ainsi, portant le récit d’une façon des plus esthétiques : outre les allers-retours entre Présent et Passé, les sculptures rondes du jardin, la chronologie des chaussures, la vision d’India en deuil face à sa mère, Evie, dans une tenue soignée, sa rotation sur le tourniquet du jardin d’enfants de nuit, le fondu des cheveux d’Evie au champ de chasse d’India petite et de son père ; la projection sublimée de sang sur la joue d’India. Ces éléments alliés à ceux des symboles (l’araignée, la boîte au ruban jaune, la ceinture du père) et du jeu avec les angles de vue et paroles (sur les échanges entre personnages) concourent à la reconstitution finale, dressant efficacement un pont entre les faits.

Trame mouvante, les rapports évoluent constamment. Au sein de cette famille, que l’on découvre juste après la disparition du père, les personnages sont des étrangers les uns par rapport aux autres et s’essayent à toutes les alliances, jouant tour à tour sur la complicité / rivalité, peur / compréhension. Si le récit se relâche parfois dans un peu d’humour, ces moments n’offrent qu’une légèreté troublante, faisant ressortir la posture d’opposition ou la dangerosité potentielle de Charlie. Métaphore de la violence primaire, la chasse revient tout au long de l’histoire, activée au mieux via le commentaire du documentaire animalier utilisé en fond dans la chambre de motel de la tante. Au milieu de ce schéma, la figure d’India, en cela héroïne du film, réalise une ascension, passant d’enfant élève tueuse du père, inconsciente puis consciente, à double féminin de Charlie : des trophées d’oiseaux, planter de crayon dans la main de son ennemi d’école, meurtre de Charlie pour sauver Evie, à celui détaché du shérif.

Sur le plan musical, l’« introduction » du film se fait autour des trois premiers titres de l’album, sur les chuchotements d’India (Piste 1 I’m Not Formed By Things That Are of Myself Alone) en guise de générique ; le rap-electro laconique d’Emily Wells (Piste 2 Becomes the Color), préparation à la tournure inquiétante à venir ; surtout la « boîte à musique » de la Piste 3 Happy Birthday. Ce cadre structurel de la mise en scène s’avère là aussi intéressant puisqu’il démontre une volonté de mêler la musique à l’image dans les sources auxquelles il recourt : la radio (le titre langoureux des années 60, Summer Wine, chanté par Nancy Sinatra-Lee Hazlewood, dans différents passages (Piste 8) ; l’extrait de l’opéra Il Trovatore de G. Verdi par la femme Alto (Piste 13)) ; l’élément du piano, placé dans la pièce centrale, joué à l’écran « pianoté » (Charlie), interprété (India) ou sujet à des duos (Charlie-Evie, surtout Charlie-India sur un morceau spécialement composé par Philip Glass !), ou audible, à travers la B.O., quelques notes ou motifs distillés en fond dans ce salon ; le sifflotement de Charlie ; la sonnerie de téléphone portable ; le métronome, par le battement (rythmant par exemple les montées de marches ou permettant le retour dans le Passé) ou les indications d’allures, émotionnelles. D’une façon plus traditionnelle, l’utilisation est aussi faite des percussions pour marquer les coups de feu (titres 9 A Family Affair et 10 Becoming) ou l’énervement (Pistes 12 Crawford Institute et 16 The Hunter Becomes the Game). 

Du point de vue uniquement musical, à présent, la B.O. peut être divisée en plusieurs axes. Le premier ressort à travers les phases d’action clefs du récit (titre 4 Uncle Charlie pour la présentation de ce personnage ; Piste 9 pour le climax sur son vrai visage ; Piste 15 In Full Bloom pour la résolution sur sa mort). Le second est l’union Charlie-India (Piste 11, Duet, de P. Glass au piano, abordé plus tôt). Ce duo fait alterner et se mêler grave / aigu, par l’agencement Main Gauche / Main Droite, ainsi que douceur / puissance, dans divers dessins (ascendant / descendant, accords plaqués / sortes d’arpèges), schémas de complexité (simple / fourni), allures (lent / rapide) et tonalités propres au compositeur, le long d’une scène faisant également évoluer les postures. Pièce maîtresse de l’album autant que transition dans le film, on pourrait même se demander si les éléments présentés là n’ont pas donné leur impulsion au travail de Clint Mansell, du fait du rythme (de la ronde à la double croche) et du balancement (une note ou accord vers un(e) autre) notables présents sur l’ensemble de l’œuvre. Les derniers segments apparaissent avec les figures d’écho musicales (du plus simple au plus complexe : Piste 3, boîte à musique ; Piste 7 Blossoming, scène du bus ; Piste 12, l’évocation du jeune frère jusqu’à la personnalité de Charlie) et les figures d’écho filmiques (Piste 10 pour la vision de l’accès de violence et participation d’India à la mise à mort de son camarade de classe, dans un flashback, la douche et les pleurs qui suivent ; Piste 14 The Hunter Plays the Game pour la destruction d’Evie des trophées de chasse d’India, douche et pleurs). 

Appelant à un style Post-Moderne pour les passages les plus sombres, le musicien rompu à l’exercice sur Black Swan (2010) donne à entendre une musique profonde (pistes 4, 9), mélancolique (15), grinçante (14) et à la fois « belle » (9). Au niveau instrumental, on passe du schéma « enfantin » déployé dès la fin de l’enterrement du début, à la candeur proche de celle de la B.O. de Moonrise Kingdom d’Alexandre Desplat, à plus d’intensité. Piano, cordes (frottées en Piste 9, ou pizzicati tels ceux en fond du pendant sombre de l’American Beauty de Thomas Newman sur la piste 4), clarinette basse (à nouveau Piste 4), clochettes, percussions (timpani, tambour, enclume, slapstick, sons électro, piano martelé, notamment sur le climax central du motel en 9 et la progression de Charlie jusqu’au meurtre détourné d’Evie en Piste 16), dans une moindre mesure cuivres, voix de femmes, guitare électrique, saxophone, registre électro-acoustique se succèdent ainsi, dans un jeu medium, montant, lent et résonnant. Il s’en dégage un ensemble délié, à plusieurs niveaux mélodiques ; quelques motifs de 3 ou 4 notes (cordes des titres 14, 16, 17 We Are Not Responsible for Who We Come To Be et Titre 18 If I Ever Had A Heart), une répétition sur plusieurs notes (2 notes aigues de piano en piste 4), le balancement cité plus tôt (2 notes aigues en piste 12 ou 1 grave-1 aigue en piste 16, également au piano) ou un glissement d’1 note à 1 autre ; une rythmicité mélodique de croches et doubles croches (toujours essentiellement au piano, pour le présent compositeur en piste 10).

 

par Charlotte Dematte


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