Dans l'histoire du festival, les films d'ouverture ont souvent situé leur action dans une cour royale. Ont ainsi pu faire l'ouverture de Cannes en 1999 "Le Barbier de Sibérie" de Nikita Mikhalkov (et les valses de Edouard Artemiev), en 2000 avec "Vatel" de Roland Joffé et la partition de Morricone, "Ridicule" de Patrice Leconte qui ouvra le festival en 1996 sur les images de Versaille, et sa valse signée Antoine Duhamel... Egalement "Le Fanfan la tulipe" de Gérard Krawczyk, "Robin des bois" de Ridley Scott en 2010 avec la royauté anglaise. L'année dernière "Gatsby le magnifique" de Baz Luhrmann situé en 1922 proposait un grand bal costumé sur la voix de Jay-Z.
Cette année, GRACE DE MONACO par son sujet princier avait les plus beaux atouts pour ouvrir l'évènement. Même si on connait le talent du réalisateur dans le biopic romancé (LA MOME), cet opus convainc qu'à moitié (le film s'est d'ailleurs fait sifflé, les premiers sifflets du festival), le rythme n'est pas toujours bon, les situations parfois grotesques, mais le registre documenté de l'histoire est captivant, cette histoire de Grace Kelly princesse refusant un rôle pour Hitchcock en plein conflit entre Monaco et la France, et mené à la fois comme une comédie (et des bons mots d'Hitchcock) et un Thriller.
La musique joue également sur ces registres, tantôt lyrique, tantôt joviale, ou alors angoissante. Le compositeur anglais Christopher Gunning retrouve le cinéaste français Olivier Dahan après LA MOME en 2007. Le français Guillaume Roussel (qui a travaillé aux Etats-Unis avec Hans Zimmer en tant qu'orchestrateur) participe à la BO en signant le thème principal du film, et retrouve le cinéaste après "Les seigneurs" (2012) dont il avait composé la musique, et "La Môme" dont il a fait l'orchestration.
On y entend aussi des pièces classiques de Erik Satie (Gymnopédie), Jean Sibelius, Puccini, La Wally...
Propos du réalisateur sur la musique : "Au début, j'étais parti sur quelque chose d'assez herrmannien, et petit à petit on a changé de direction pour aller vers quelque chose de plus intime et plus moderne."
Interview du compositeur Guillaume Roussel
Entre documentaire et fiction, une étudiante fait un film sur un certain tueur au rasoir qui balafre les femmes depuis sa moto. Elle recueille les témoignages des habitants de Tunis. Le film est troublant dans ce qu'il révèle (ou démontre) de la violence faite aux femmes, jusqu'aux propos misogynes de certains témoins. Face à la violence du propos, la musique n'est pas trop présente. Le compositeur Benjamin Violet a proposé une partition à la guitare en contrepoint de la violence.
Interview du compositeur Benjamin Violet
Le mauritanien Abderrahmane Sissako est un habitué du festival (on se souvient de BAMAKO). C'est le premier film de la compétition révélé. Le propos est là encore violent, car le film montre les meurtres perpétrés récemment au Mali par les Djihadistes. Le talent du cinéaste est d'associer à cette violence un quotidien commun, fait de discussions anodines, de dialogues parfois drôles (comme cet échange au sujet d'un footballeur). La violence qui survient n'en est que plus redoutable.
Musicalement, le compositeur Amine Bouhafa déploie un thème, une mélodie avec un duduk, des percussions, des guitares, un oud, un piano, qui revient régulièrement avec sa douceur en contrepoint.
Une scène à mentionner est celle où une victime chante sous les coups du fouet (le morceau "Yar Allahoo" de Khalifa Ould Eide & Dimi Mint Abba).
Interview du compositeur Amine Bouhafa
Jean-Baptiste de Laubier du groupe Para One retrouve Céline Sciamma après NAISSANCE DES PIEUVRES (2006) et TOMBOY (2011). Cet artiste électro français propose un thème qui évolue avec les personnages et le récit. Le film relate le parcours d'une jeune fille des quartiers qui va se transformer à la rencontre d'une bande d'affranchies. La musique apporte une dimension à la fois romanesque et sensuelle à ce portrait de femme. Loin du réalisme, cette oeuvre est poétique, mélancolique, plastique et s'affranchit des frontières de genre. A mentionner les scènes où les filles dansent, sur "Diamonds" de Rihanna et "Wop" de J. Dash.
Low Entertainment, collectif de trois compositeurs (Nicolas Weil, Sylvain Ohrel, Alexandre Lier) retrouvent le cinéma après la comédie "Comme t'y es belle! " (Lisa Azuelos, 2006) pour ce premier film de Marie Amachoukeli, Claire Burger et Samuel Theis. Ils proposent quelques nappes rares et discrètes (notamment pour le cortège du mariage) tout en signant des chansons originales lors des scènes de cabaret. On entend aussi diverses chansons existantes (dont deux titres de Chinawoman, l'un donnant le titre au film). Le film se concentre sur son personnage principal, cette mère qui va se marier à 60 ans, et soudain gagnée par la tristesse et le désamour. Le film se cristallise véritablement autour de ce personnage dans une énergie toujours présente. Les chansons entendues sont plus qu'un effet jukebox, car elles participent à l'environnement réaliste, et aux palpitations.
A suivre...
Interview B.O : Audrey Ismaël (Le Royaume, de Julien Colonna)
Interview B.O : Audrey Ismaël (Diamant brut, de Agathe Riedinger)