" Quand Bertrand m'a convoquée pour faire les répétitions, j'avais l'impression que c'était mon premier Stade de France. J'étais rouge comme une tomate. Puis quand j'ai poussé un couinement de souris, Bertrand m'a dit que j'avais une voix magnifique ".
Bertrand, c'est la première fois que vous intervenez sur un film de Pascal Bonitzer, comment la rencontre s'est produite ?
Bertrand Burgalat : J'ai rencontré Pascal avant le tournage car il cherchait une chanson pour le personnage de Julia qui est chanteuse. Pour cette chanson, je lui ai tout de suite proposé qu'il en écrive les paroles. Il n'avait jamais fait ça, il était un peu hésitant. Puis il m'a proposé 3/4 textes en quelques jours que j'ai trouvés super ! J'ai d'abord mis en musique un premier texte, il était très inspirant et différent de ce que j'avais l'habitude de faire. J'ai donc fait une première maquette, puis une deuxième, puis Pascal s'est pris au jeu et m'en a fait d'autres. À chaque fois qu'il m'envoyait un texte, je faisais une maquette. On a de quoi écrire un album entier ! Mais pour moi les chansons du film, je n'en ferais pas une autre version. Ce sont les versions de Julia. Je ne les referais pas sur un disque à moi, c'est la version parfaite qu'en a faite Julia. Elle n'a pas juste mis une voix pour les besoins du film, elle a fait un vrai travail d'interprétation.
J.F : Je ne sais pas ce qu'on attend pour enregistrer toutes les autres chansons qui dorment dans un tiroir... Il y avait une chanson écrite par une petite fille de 8 ans, cette chanson est géniale, « tu m'as piétinée ».
B.B : C'est la fille d'une amie de Pascal qui a écrit ça.
Pascal Bonitzer a t-il été un bon parolier ?
B.B : Ce qui fait une bonne chanson, c'est d'abord ce qu'elle évoque. Mais il y a aussi la musicalité, qui ne dépend pas que des rimes. Les paroles peuvent ne pas rimer, avoir un pied en plus, mélodiquement c'est intéressant. A chaque fois que je mettais ses textes au piano, il y avait quelque chose qui venait assez facilement. Car ils étaient très fluides.
Cette chanson a été enregistrée dans les conditions du tournage ?
B.B : Il n'y a rien de plus agaçant de voir dans un film que ce n'est pas crédible, de voir à l'image les instruments qu'on n'entend pas. Quand on a enregistré la première chanson, il me paraissait important que ce soit exactement avec les instruments que l'on verrait apparaître à l'écran. On savait qu'on ne verrait pas la batterie à l'image pour des questions de focale, donc les musiciens du groupe A.S Dragon ont joué sans Hervé Bouétard à la batterie, avec une guitare, une basse, un synthé et une boîte à rythmes, que cela soit vraiment crédible. Parfois c'est l'inverse qui se produit. Je me souviens pour « Les Derniers jours du monde » (2009) des frères Larrieu d'avoir joué en direct un morceau dans une scène d'orgie en demandant juste un clic pour pouvoir ensuite refaire une version studio. Je pensais que dans ce contexte là ce serait mal enregistré. Mais le son était tellement bon qu'ils ont gardé cette version provisoire. C'était tellement bien enregistré qu'on a l'impression qu'on joue en playback alors qu'on joue vraiment.
Julia, étiez-vous préparée à chanter avant le tournage de ce film ?
Julia Faure : Pascal Bonitzer croyait que je savais chanter puisque j'ai fait le Conservatoire et il savait que j'avais pris des cours de chant là-bas. Quand il m'a proposé le rôle et quand on s'est rencontré, il voulait s'assurer que je savais bien chanter. Je lui ai dit : « oui bien sûr comme toutes les actrices françaises ». Comme ça je ne prenais pas trop de risque (rires). Mais je n'avais jamais chanté avant. Quand j'ai rencontré l'équipe qui me proposait de chanter, je leur ai demandé d'attendre, car je ne savais pas du tout chanter. Puis quand Bertrand m'a convoquée pour faire les répétitions, j'avais l'impression que c'était mon premier Stade de France. J'étais rouge comme une tomate. Puis quand j'ai poussé un couinement de souris, Bertrand m'a dit que j'avais une voix magnifique (rires).
B.B : Oui, c'était vrai ! Et assez vite, pour te coacher, j'ai pensé à une chanteuse comme moi, qui n'était pas prof de chant, mais comme chanteuse elle avait la possibilité de donner des conseils, et de donner confiance, ce qui est le plus important. C'est Alice Lewis.
J.F : En effet, on s'est vus quatre fois pour chaque chanson. Elle m'a surtout aidé pour le rythme, car rythmiquement c'était assez difficile, les chansons sont assez sophistiquées...
B.B : Ce qui est agréable dans une chanson, c'est quand tout n'est pas symétrique, quant au deuxième couplet on a l'impression que ça se répète mais ce n'est pas exactement la même chose. Toutes ces petites différences mélodiques font qu'on a du plaisir à réécouter une chanson. Julia est arrivé en studio et elle était impeccable !
J.F : Je les avais quand même répétées 10 000 fois chez moi. Mon amoureux m'a entendu répéter « Je ne reviendrai pas » en boucle 200 fois par jour pendant trois mois.
A la différence d'une chanteuse, il s'agissait là d'incarner un personnage qui chante (Maya), quelle a été votre approche du rôle ?
J.F : Pour moi, c'était important qu'elle chante quelque chose que je puisse aimer, qu'il n'y ait pas d'ambiguïtés, que ce ne soit pas une artiste ratée par exemple, qu'on ne se dise pas qu'elle chante dans un bar de « looser »... C'était la première discussion qu'on avait avec Pascal. J'avais vraiment besoin de savoir ce qu'elle allait chanter pour pouvoir comprendre qui elle était. Et à partir du moment où je savais que c'était Bertrand Burgalat qui allait écrire les chansons, j'ai compris. Je me suis dit qu'il y avait probablement du détachement dans sa façon d'être, une sophistication, une ironie mais pas ricanante, une mélancolie aussi... Je n'ai pas travaillé consciemment en faisant un QCM avec tout ce qui me parvenait de la musique de Bertrand, mais c'est un assemblage, des réminiscences des morceaux des autres albums de Bertrand que j'ai écoutés avant de faire le film. Je trouvais que ça convenait très bien au personnage, car Maya pouvait basculer dans quelque chose d'outrancier, d'excessif, et cela l'emmenait vers sa tristesse.
Par ailleurs, au-delà de ces deux chansons, il y a peu de musique instrumentale...
B.B : L'absence de musique est aussi une forme de musique. La tentation dans ce genre de cinéma est de faire quelque chose d'éthéré, d'abstrait, qui est là sans être là, ce que je ne sais pas faire. Je trouve que ce film n'avait pas besoin de cela. Il y a plein de scènes où on s'était dit qu'on allait mettre de la musique pour finalement ne pas en mettre, car ce n'était pas nécessaire. C'est très bien comme ça. Et en plus je prépare un nouvel album. Il y a quelques trucs que j'ai préparés pour le film qui m'ont donné des idées pour autre chose... notamment un titre qui sera super je pense.
Vous avez déjà travaillé avec des non-chanteurs... (par exemple Michel Houellebecq pour l'album « Présence Humaine »)
B.B : Au début, j'ai beaucoup travaillé avec des non-chanteurs. Dans les années 80, il y avait la mode des chanteurs qui ne savaient pas chanter. Puis dans les années 90, il y a eu la vogue des chanteuses à voix, qui chantaient très fort. Un peu par réaction à ce système, je cherchais une certaine innocence, et les non-professionnels n'ont pas tous les tics. J'aimais beaucoup ça. J'ai aussi travaillé avec une japonaise, Kahimi Karie, qui voulait chanter en français sans connaître la langue. C'était un cas particulier. Ces choses un peu compliquées pouvaient donner une forme de charme. Je cherchais beaucoup plus le charme que la performance vocale. Avec le temps, je n'ai pas trop changé là-dessus, même si je pense que l'on peut avoir à la fois le charme et une forme de rigueur. C'est une question de présence. On peut chanter approximativement, mais il faut être présent. Et les acteurs qui chantent ont un charme tout à fait unique.
J.F : Quand ils ne se prennent pas pour des chanteurs, c'est impossible qu'ils chantent mal. C'est à partir du moment où ils se prennent pour des chanteurs que ça peut déconner un peu... (Rires)
B.B : Quoique Poelvoorde dans « Podium », c'est presque mieux que les versions de Claude François... (rires)
Interview B.O : Audrey Ismaël (Le Royaume, de Julien Colonna)
Interview B.O : Audrey Ismaël (Diamant brut, de Agathe Riedinger)