Erwann Kermorvant : J'ai fait le conservatoire à sept ans, puis j'ai joué de la clarinette ainsi que du clavier. A 17 ans je suis parti aux Etats-Unis pour travailler en tant qu'assistant pour un pianiste de séance à Hollywood, Ralph Grierso, au sein de son studio "Music & Health". Il m'a par exemple emmené sur les enregistrements de BATMAN RETURNS. J'ai pu y rencontrer Georges Delerue qui travaillait sur MY GIRL peu avant sa mort. J'en ai un formidable souvenir. Mais paradoxalement, je n'ai jamais été intéressé d'y revenir pour y travailler sur des films, je pense que j'ai plus d'ouverture en France. Au départ, je n'avais pas pensé composer un jour de la musique pour le cinéma. J'avais juste envie d'écrire de la musique orchestrale, donc il n'y avait pas trop le choix entre faire de la musique contemporaine, ce qui ne m'intéresse pas beaucoup, et faire de la musique de film.
Comment se sont enclenchés vos débuts au cinéma ?
E.K : J'ai fait un disque pour Dragon magazine, une revue de jeux de rôle. Ils faisaient des musiques d'ambiance pour accompagner les joueurs. J'avais pû leur faire écouter des maquettes que j'avais faites aux Etats-Unis. Je devais faire une heure de musique sur la thématique "Héroïc Fantasy". Gilles Daubeuf a fait appel à moi pour son moyen-métrage d'horreur, LES VACANCES DE SAM (2000), après avoir écouté ce disque. Puis il a fait voir son film à un ami, Michel Leray, qui allait faire un film, LA TOILE (2002), qu'il m'a donc proposé. J'ai retrouvé ce réalisateur sur BLOODY CHRISTMAS (2003) dans lequel jouait Kad Merad qui m'a ensuite placé sur MAIS QUI A TUÉ PAMELA ROSE ?. C'est ainsi que j'ai rencontré Eric Lartigau. Tout s'est fait naturellement. Au début, il faut tout accepter. Parfois un projet ne t'intéresse pas en soi mais peut amener un projet plus interessant ensuite. Il ne faut jamais dire non. En revanche, il ne faut jamais accepter de travailler gratuitement car c'est donner de mauvaises habitudes aux gens. A partir du moment où tu fais quelque chose gratuitement, les interlocuteurs n'attribuent plus de valeur à ce que tu fais. C'est un peu la même chose avec les téléchargements illégaux. La musique a une valeur qu'il faut honorer par un prix, même dérisoire et symbolique.
Qu'avez-vous retenu de votre expérience américaine ?
E.K : La chose importante que j'ai apprise là-bas, c'est que quoiqu'il arrive, on doit rendre les choses dans un délai imparti. Il faut respecter les "deadline" et ses engagements. C'est ce genre de règle qui m'a fait durer sur la série R.I.S (2011), car avec un épisode à faire tous les dix jours, il faut rendre les musiques dans les temps, même si la partition n'est pas géniale.
Si vous regardez votre filmographie, quels sont les moments que vous affectionnez particulièrement ?
E.K : Je retiens l'ouverture de MAIS QUI A TUÉ PAMELA ROSE ?, la séquence d'enterrement de 36 QUAI DES ORPHÈVRES (2004), la séquence de voiture où le personnage donne le parfum dans PRÊTE-MOI TA MAIN (2006). J'ai l'impression d'avoir bien fait mon travail dans ces cas-là. Je suis content de l'émotion que je peux amener. J'essaie d'avoir un second niveau de narration, quelque chose qu'il n'y a pas dans l'image. Ces scènes sans musique sont moins émouvantes. Sur BIG CITY (2007), un film qui n'a pas marché, je suis ravi de la complexité de la partition, ce que je n'avais pas abordé à ce point-là avant. Je pense que je progresse de films en films. La grosse comédie permet de partir dans des orchestrations débridées. La valse de BIG CITY est un morceau étrange avec un mélange à la manière de la valse de BATMAN.
Pour MA PREMIERE FOIS (en salle le 18 janvier 2011), comment s'est produite votre rencontre avec la réalisatrice Marie-Castille Mention-Schaar (dont il s'agit de la première réalisation) et quels ont été vos échanges pour ce film ?
E.K : La réalisatrice de MA PREMIÈRE FOIS était la productrice de LA PREMIÈRE ÉTOILE dont j'ai aussi fait la musique, donc notre rencontre vient de là. Elle avait beaucoup d'idées de chansons et il y en a beaucoup dans le film. Je lui en ai même proposé une, présente lors du moment triste du deuil, intitulée "Feels like living" (de Hothouse Flowers). Elle m'avait demandé de penser à des chansons, et dés la lecture du scénario j'ai pensé à ce titre pour toute la fin du film. Mon travail était ensuite de faire le lien entre ces chansons et le Score, de créer une unité. Il doit y avoir vingt minutes de Score.
Malgré la prédominance des chansons, il y a des idées intéressantes dans le Score, notamment lors de l'accident avec des sons d'électrocardiogramme intégrés dans la musique pour annoncer le drame qui va suivre...
E.K : C'est une vraie volonté de la réalisatrice qui voulait qu'on entende déjà le bip de l'hôpital dans toute la scène qui précède.
Je suis arrivé à la toute fin, le montage était terminé et pour cette scène de l'accident, le bip était présent au montage. Mais il y avait très peu de choses en temp track pour les idées de Score, il y avait juste des indications pour l'ouverture et la fin. Le "spoting" était précis, la place de la musique était calée, il y en avait essentiellement au début et à la fin, puis des chansons pour le reste du film, mais j'ai ensuite proposé des musiques à des endroits où ce n'était pas prévu.
Quel a été le travail autour du thème ?
E.K : Il y a un thème au piano très simple qui se décline à quelques endroits. Il fallait que je trouve une musique qui unisse les deux amants sur une couleur candide et insouciante car ces deux êtres se découvrent. Il y avait la volonté que ce soit intemporel. Je cherchais une écriture sobre et simple à l'ancienne qui donne l'impression d'une musique d'un autre temps.
Il y a l'aspect du conte, l'école fait même penser à un château, avec Cendrillon et son prince charmant...
E.K : Pour l'ouverture du film et la plongée de la caméra en survol sur l'école, j'avais au départ fait une musique avec des voix dans une certaine magie rappelant EDOUARD AUX MAINS D'ARGENT. Au final, ils ont opté pour le bruit du vent, ce qui est un choix intéressant.
Quel est le cheminement entre l'émergence d'une idée et l'enregistrement de la musique ?
E.K : Dans un premier temps j'improvise au piano face aux images pour que me viennent les idées mélodiques, un peu comme un musicien de jazz, puis ensuite pour communiquer mes idées au réalisateur je fais des maquettes avec une orchestration sommaire. Avec les technologies d'aujourd'hui, elles peuvent être très fidèles à ce que peut jouer un orchestre, et même plus précises, ce qui est un danger car le réalisateur a ensuite du mal à se débarrasser de ce son-là. D'ailleurs, les maquettes retranscrivent parfaitement les sons de violons lorsque ces derniers sont saccadés, rythmiques, c'est un peu moins crédible lorsque les sons sont amples et détachés. C'est pour cela que l'on entend beaucoup de musiques de film dont l'écriture est rapide, où les violons sont trépidants. Mais dans la réalité, lorsque les musiciens doivent le jouer ce n'est jamais aussi précis. C'est le drame de notre époque. Il y a ainsi une école d'écriture basée là-dessus, je pense à Hans Zimmer sur DARK KNIGHT ou INCEPTION par exemple. Pour revenir à mon travail, il m'est arrivé de me voir refuser des maquettes car j'y avais inclus des éléments plus solistes ou lyriques car ce n'était pas vendeur.
Est-ce que l'on vous aide pour l'orchestration ?
E.K : Jusqu'à BIG CITY, je voulais tout orchestrer moi-même puis je me suis rendu compte avec l'accumulation des projets que je n'ai plus le temps de le faire. Ainsi, sur MA PREMIERE FOIS, Cyrille Aufort a fait les orchestrations, son travail était de la mise au propre de ce que j'ai écrit, et aussi d'apporter un regard neuf au moment où je n'ai plus de recul.
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