par Thibault Vicq
- Publié le 10-06-2020L’électronique à la répétition entêtante permet de suivre le personnage principal dans des longs plans séquences qui sont autant de tunnels vers sa propre évasion. Les arcanes du pouvoir prennent la forme d’une déconnexion à la réalité, d’un carré VIP de club imbibé d’une vapeur de malédiction. Et c’est le corps présent et la tête ailleurs que ce haut responsable évolue dans le film, sûr de lui, tentant par tous les moyens de dissimuler sa culpabilité. L’album dessine des chemins linéaires tumultueux, guidés par des basses cyniques ornementées d’un motif rythmique omniprésent, jusqu’à un finale plongé dans le silence.
Les six pistes qui composent la BO sont associées à l’exercice du pouvoir et à la mobilisation du « réseau ». L’homme politique joué par Antonio de la Torre vit un quotidien de divertissement et de petits arrangements entre amis jusqu’à ce qu’une affaire éclate au grand jour et le rattrape. Le soundsystem spatialisé et graduel d’Olivier Arson peut aussi bien correspondre aux bouffées d’adrénaline de ce jeu du chat et de la souris avec les autorités juridiques (le cœur qui bat avec plus ou moins d’intensité), qu’à son existence éloignée du grand public, entre une continuité d’affaires secrètes et de pots-de-vin (un leitmotiv qui trotte en tête sans cesse). La force de la musique réside dans sa parfaite complémentarité des images et dans sa dimension inattendue. Elle convoque le souvenir, le contexte ou la pensée grâce à un sound design très riche, mais n’exclut pas la superposition des couches du récit.
Des accords atonaux, voire soudainement dramatiques, accordent une évolution lente au fil de ce mouvement perpétuel sous un ciel couvert. La diversité des éléments qui se greffent les uns après les autres fait échapper le beat à la routine. Avec des terminaisons nerveuses ou des nappes gazeuses vibre le destin d’un homme intouchable, dont le rythme résolu continue de laisser son empreinte. El Reino est une course trépidante en temps réel, que sa musique érige brillamment en portrait complexe et en mise en scène vertigineuse de la politique contemporaine. Le destin collectif s’oppose en un même corps aux intérêts individuels, tandis que le personnage se confond avec son environnement, jusqu’à ce que la cynique danse (presque rituelle) supplante les menaces sonores.
par Thibault Vicq
Interview B.O : Audrey Ismaël (Le Royaume, de Julien Colonna)
Interview B.O : Audrey Ismaël (Diamant brut, de Agathe Riedinger)