10000-nuits-dans-la-jungle2021042802,marguerit,harari,Cannes 2021, - Interview : Olivier Marguerit & Arthur Harari (Onoda, 10 000 nuits dans la jungle) Interview : Olivier Marguerit & Arthur Harari (Onoda, 10 000 nuits dans la jungle)

10000-nuits-dans-la-jungle2021042802,marguerit,harari,Cannes 2021, - Interview : Olivier Marguerit & Arthur Harari (Onoda, 10 000 nuits dans la jungle)

Propos recueillis par Benoit Basirico - Publié le 11-07-2021




[Cannes 2021 - Ouverture Un Certain Regard] Pour ONODA, choc cannois, film de guerre tourné au Japon sur un soldat qui ne veut capituler malgré l'arrêt du conflit, le compositeur Olivier Marguerit retrouve Arthur Harari après le thriller "Diamant noir" (2016), avec deux thèmes qui reviennent (dont une variation de la Pavane de Gluck), sous une forme douce en décalage à la violence guerrière, tandis que les italiens Sebastiano De Gennaro, Enrico Gabrielli, Andrea Poggio, Gak Sato complètent la B.O. Au cinéma le 21 juillet 2021 .

"Le thème marque davantage la solitude du personnage dans la jungle que son implication dans la guerre."

 

Cinezik : Après DIAMANT NOIR, vous changez de géographie avec le Japon. Etait-il question au départ que la musique convoque cette géographie ? Il y a notamment des chansons entendues à la radio...

Arthur Harari : Non, ce n'était pas du tout une piste envisagée de faire une musique japonaise ou orientale. Je n'ai pas pensé les choses comme ça. C'était même le contraire, l'idée de trouver une couleur qui ne soit pas identifiée à une nation ou une culture particulière. J'ai essayé de construire un point de vue qui ne soit pas identifié, qu'on ne sache pas trop d'où venait le regard. Je voulais qu'on soit dans un cheminement avec les personnages, qui sont certes des Japonais, mais vivent une expérience qu'aucun autre japonais n'a vécu. Ils deviennent des hommes. En revanche, comme il y avait ces chansons, notamment deux qui structurent le film, je savais qu'il y aurait une présence de sonorités japonaises. La chanson diffusée dans la jungle donne une sonorité locale. Pour moi ça suffisait. Il fallait donc dialoguer avec ces chansons-là, mais on ne l'a pas fait en terme mélodique en allant chercher les accointances.

Il y a donc ce personnage qui donne le titre du film, on est dans sa folie et en même temps le film questionne son héroïsme, est-ce que la musique devait intervenir au niveau du personnage ?

A.H : De mon point de vue de réalisateur, je ne réfléchis pas ainsi. Je ne réfléchis pas en thèmes par personnage, que ce soit dans ce film ou dans "Diamant noir". Je pense de manière plus organique. Pour moi la musique représente quelque chose entre la respiration et la palpitation interne du film. Au même titre que les éléments, le vent, la transpiration, la musique devient un motif obsédant identifiable par le spectateur pour créer une sorte d'intimité avec le film. Même si le film représente un secret.

Olivier, vous avez donc écrit deux thèmes pour le film...

Olivier Marguerit : Il y en a un que j'ai vraiment écrit, et un second qui est une adaptation de Gluck. J'ai proposé le thème très longtemps avant le début du tournage quand Arthur m'a parlé du projet. Il m'a fait lire le scénario. C'est un peu difficile de dire qu'il est lié à un personnage ou une situation, le film n'avait pas encore d'identité à ce moment-là. Je connaissais l'appétit d'Arthur pour un thème fort qui puisse revenir régulièrement pour donner une vraie couleur. Il fallait qu'on trouve ça. Et dans ce thème il y a beaucoup de mouvement harmonique et de chromatisme qui vont chercher des dissonances. Je me disais que cette recherche harmonique pouvait donner l'impression d'être perdu, comme le personnage qui perd le contact avec la réalité et qui s'enferme dans une réalité intérieure. Ça pouvait être une direction intéressante. Mais à ce moment-là on était au tout début de l'élaboration du film. C'est bien plus tard que ce thème est revenu et s'est imposé, notamment au moment où il rentre dans cette jungle et qu'il devient attrapé par elle.

Sur ce travail d'un motif obsédant, il y a une continuité avec "Diamant noir"...

O.M : Il y a cette même idée d'un thème "ligne claire". Chez Arthur, il y a toujours cette idée un peu mentale du personnage qui s'enferme dans quelque chose et la musique doit le laisser transparaître.

Votre thème de ONODA a une certaine douceur qui contraste avec la violence de la guerre...

O.M : De la même façon qu'Arthur ne voulait pas qu'on teinte le thème de façon exotique pour coller au Japon, je pense que la musique ne devait pas devenir une musique de film de guerre classique. Il fallait faire un pas de côté. Ce qui est toujours plus élégant. Je me souviens sur "Diamant noir", on a eu la discussion pour la scène de braquage de la necessité de la musique. Et en fait c'était plus fort qu'il n'y en ait pas. Et donc les moments où on attendrait de la musique dans "Onoda", dans les moments presque clichés de film de genre, c'est là qu'elle s'absente. Le thème marque davantage la solitude du personnage, dans la jungle, que son implication dans la guerre.

Au-delà du voyage géographique et mental, il y a aussi un voyage dans la cinéphile du réalisateur où on prend plaisir à capter une soif de film d'aventure, une soif de western, est-ce que ces références ont pu se traduire musicalement ?

A.H : De manière un peu transversale et inattendue je pense. J'ai fait écouter à Olivier et aux musiciens italiens avec lesquels il a collaboré des musiques très différentes les unes des autres. Celle qui me revient en tête - car c'était pour un moment clé du film - c'est la musique d'un film du réalisateur philippin Lino Brocka, "Manille". Un film que j'adore. Et à un moment un peu tardif j'ai fait écouter ce thème. Même pour "Diamant noir" je t'avais fait écouter le thème d'un autre de ses films. Ces musiques des années 70, je les trouve géniales, il y a des sonorités dont on ne sait pas d'où elles viennent. Je ne connaissais pas la musique traditionnelle des Philippines, elle convoque des choses classiques avec une douceur mélodique, et en même temps c'est presque strident. Dans le cas de "Manille", il y a un synthé de l'époque lors d'une scène de dialogue entre deux amants où la partition dure quasiment 10 minutes. Cela crée un état glissant assez doux et bancal, un mélange de douceur et d'apprêté. Des choses que j'aime beaucoup. Mais sinon, je n'ai pas le souvenir d'avoir fait écouter des musiques de films. Peut-être la musique de Pat Garrett & Billy the Kid de Sam Peckinpah par Bob Dylan. C'est une BO que j'adore, qui a une dimension folk, c'est la musique de la campagne, avec un côté folklorique. Et dans "Onoda", il y a une chanson de guerre de soldats qui est une chanson folklorique un peu ancestrale. J'avais dans l'idée que le film avait une dimension folk. Même si maintenant on peut ne pas forcément y penser. Le western est une des expressions de la culture folk américaine. Et dans le cinéma philippin il y a un recours à la chanson folklorique, avec son côté "troubadours". Ça se rapproche de ce que fait Dylan dans Pat Garrett. J'avais aussi en tête "Il était une fois en Amérique" pour la puissance mentale et proustienne du thème. Et en même temps quand on veut trop aller là-dedans c'est un piège. C'est juste pour avoir des repères.

Le film évite d'autres pièges, notamment celui de Sergio Leone et le fait d'attribuer aux personnages le rôle de musicien, comme l'harmonica dans "Il est une fois dans l'Ouest". Il n'y a pas non plus le côté méditatif d'un Werner Herzog, on n'y pense, mais très vite le film s'en éloigne. On n'est pas dans l'hystérie de Klaus Kinski. Musicalement il n'y a pas eu non plus l'idée de faire une note tenue pour accompagner le côté méditatif...

A.H : Le contraste qu'il y a dans "Aguirre," entre la fièvre, la violence du film, le délire transgressif, et une douceur dans le voyage, amène au côté psychédélique, soutenue par la musique géniale de Popol Vuh. Je ne l'ai pas revu pour "Onoda", mais même si ce n'est pas traité pareillement, il y a cette même dimension de contraste. C'est une plongée dans quelque chose qui dure trop longtemps, une guerre qui devait être terminée. Mais il y a quelque chose de plus souterrain au film : une étrange expérience de sérénité.

On identifie parfaitement les thèmes d'Olivier. Ils sont au premier plan. Ils ont aussi une vertu narrative pour structurer le périple. En revanche il y a des compositeurs italiens crédités (Sebastiano De Gennaro, Enrico Gabrielli, Andrea Poggio, Gak Sato), leur participation est moins identifiée.

A.H : Pour moi c'est une bonne chose. Je voulais d'une manière ou d'une autre qu'Olivier continue le travail entrepris dès "Diamant noir". Il a ainsi composé un thème en amont. Il y avait déjà une pré-histoire avec lui. Et pour être très clair, il fallait contractuellement des italiens pour une question de coproduction. Je me suis alors demandé comment créer une unité à partir de cette association. Il y a donc une sorte de partage entre le thème amené par Olivier, la réinterprétation qu'il fait du thème de Gluck, et un thème principal que les italiens ont amené, qui est aussi une réinterprétation d'un thème médiéval. Et beaucoup d'atmosphères et de textures sonores qui viennent habiter le film. Mais à un moment donné je me suis demandé comment ces gens qui ne se connaissent pas, qui n'ont pas la même couleur musicale, peuvent à un moment s'allier. Le collectif italien, je les avais identifiés parce qu'ils sont regroupés autour d'Andrea Poggio, musicien de chanson pop italienne. Il est extrêmement fin, c'est un lettré de la musique. Il propose une dentelle sonore qui met en valeur le texte et sa voix. Ça ne ressemble pas à ce que fait Olivier mais c'est un musicien de pop également. C'est un lien aussi avec ce que je peux faire avec Herzog. Je n'ai pas envie de travailler avec des musiciens qui font spécialement de la musique de film, ou de la musique qui est censée être de la musique de film. J'aime l'idée d'aller chercher les musiciens de pop. Olivier a plusieurs cordes à son arc, il peut faire du classique, de la bossa, du jazz, toute forme de musiques populaires. Je voulais qu'on n'identifie pas d'où viennent les choses, ni géographiquement ni temporairement. Quand je regarde le film aujourd'hui c'est un tout. Je suis hyper reconnaissant de cette possibilité de fusion qui a eu lieu. Et au final il y a une forme d'unité qui me va très bien.

La meilleure musique de film est celle qui s'absente, il y a une autre musique dans le film qui est celle de la nature, l'eau, la pluie, le vent...

A.H : Il fallait que le voyage dans le son du film soit celui du personnage, cela devait prendre du temps, le mixage a duré longtemps. Pendant le mixage on peut redéfinir le rapport au film. L'oreille doit prendre toute sa place. Le mixeur est le même que celui de "Diamant noir". On a fini par entendre la même chose. Et comme on a compris que la place de la musique n'allait pas être envahissante, il y avait l'espace pour déployer le son.

Pour conclure Olivier, en tant que premier spectateur du film, quel est votre regard sur le film et le placement de musique ?

O.M : Je suis très content de la rareté de la musique, c'est très important qu'elle arrive à des moments très choisis. Dans un film comme celui-ci, qui tient sur les ambiances de jungle, la perte de repères du héros, une musique qui serait trop présente nuirait au récit. J'étais effectivement un des premiers spectateurs, j'ai découvert le film en fin de montage, j'ai tout de suite perçu que c'était un grand film.

 

Propos recueillis par Benoit Basirico

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Interview : Olivier Marguerit & Arthur Harari (Onoda, 10 000 nuits dans la jungle)


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