Cinezik : Tout d'abord présentez-vous, vous êtes chanteuse et compositrice d'albums personnels ?
Sabine Happard : Voilà, j'ai un projet solo, j'écris des chansons, j'ai sorti un premier EP. Je chemine ainsi.
Quel est votre rapport avec le cinéma, avez-vous une cinéphilie particulière ?
S.H : Je ne suis pas une spécialiste, mais j'adorais Bruno Dumont avant de le rencontrer pour ce film.
Comment s'est faite la rencontre avec ce réalisateur, qui retrouve Christophe après "Jeanne". On y retrouve sa musique élégiaque qui participe à l'émotion souterraine du film. À quel niveau êtes-vous intervenue ?
S.H : Cette histoire est assez incroyable pour moi. J'ai rencontré Christophe à Paris dans un couscous, par hasard. On a gardé contact. Quelques mois plus tard, je lui ai proposé une chanson, "Le désastre des eaux claires" (à écouter ici), qui est disponible sur mon EP sorti en 2020. Initialement, je l'avais écrite pour qu'il la chante, sans du tout penser au cinéma. Je ne savais même pas qu'il était sur le point de travailler sur une BO pour Bruno Dumont. Christophe a tellement aimé la chanson qu'il l'a proposée au réalisateur. C'est à ce moment-là que je l'ai rencontré. Il a tout de suite aimé la chanson. Il était question au départ que la chanson apparaisse telle que je l’avais accouchée, avec ma voix. On a fait des essais, et les paroles initiales ne collaient pas avec le film. Finalement, Christophe a construit la musique du film autour de ma composition. Je me suis retrouvée à être compositrice du thème principal. Et aussi à fournir des éléments de synthé et de basse à Bruno Dumont. C'était un hasard heureux. Ma musique coïncidait avec le film. Alors que j'ai juste proposé une chanson à Christophe. Et après, tout a pris de l'ampleur, c'était assez magique, assez extraordinaire, car je n'ai pas vraiment encore sorti d'album, c'est une autre échelle ce film. C'était comme un rêve pour moi.
A quel moment du film cette chanson apparaît ?
S.H : La chanson n'apparaît pas sous sa forme chantée, c'est son thème instrumental qui est repris avec des cordes à la fin du générique, avec des variations pendant tout le film. Bien sûr Christophe a fait d'autres compositions de son côté. Mais mon thème apparaît assez régulièrement dans le film pour arriver au générique.
Il y a également deux autres compositions de votre part dans le film ?
S.H : Ce sont des arrangements différents du même thème. Augustin Charnet et Clement Libes ont arrangé ma composition pour des climats différents, et il y a aussi des pistes que j'ai jouées chez moi dans ma chambre avec mon synthé et qui se sont retrouvées là-dessus.
Bruno Dumont s'est donc accaparé votre composition préexistante...
S.H : Il l’a utilisé car ça coincidait bien avec sa vision je suppose. A l’origine, moi, j’ai écrit cette chanson dans l’idée que Christophe l’interprète. Et puis il y a eu cette concomitance avec le film de Bruno Dumont, ce qui a été une expérience incroyable pour moi. Ca a pris une ampleur cinématographique et je ne m’y attendais pas !
Est-ce que vous êtes réintervenue ensuite dans un deuxième temps ?
S.H : Non. Par la suite, Christophe a réalisé la BO, comme un chef d’orchestre, avec ses propres ingrédients, et j’ai trouvé le résultat fabuleux.
On entend aussi la voix de Christophe, sans paroles, sous la forme d'un cri de tristesse, une manière sarcastique de pleurer...
S.H : Je ne suis pas du tout intervenue là-dessus. Il y a bien sûr des bandes que Christophe a fait spécialement pour le film en dehors de ma composition.
Quand Christophe nous a quitté, la BO était-elle entièrement finalisée ?
S.H : Oui. Tout est allé très vite car il est parti juste après la finalisation. On s'est vu tous les trois avec Bruno Dumont en décembre 2019. Christophe a travaillé sur la BO jusqu'en mars. Puis il y a eu le Covid et il est parti (le 16 avril 2020). Donc c'était le dernier soubresaut que j'ai eu la joie de partager avec lui. Il y a un truc un peu mystique là-dedans.
Ce qu'il en reste aujourd'hui, c'est que vous êtes devenu compositrice, sans chanter, pour le film de Bruno Dumont. Quelle compositrice êtes-vous, est-ce que vous avez fait une classe de composition, ou alors vous passez par l'instrument ?
S.H : J'ai interpreté beaucoup de compositeurs classiques et contemporains, et me suis impregnée de ça pendant 10 ans. Ensuite, j'ai complètement arrêté quelques temps. Et cette césure m’a permise de me libérer de la rigidité du conservatoire. Je suis revenue à la musique et la composition par une approche plus intuitive. Je vais chercher un peu comme une enfant des mélodies, c’est assez simple. J’entends des choses et je les retranscrit.
Et la mélodie est importante dans votre travail...
S.H : Comme j'écris des chansons oui. La mélodie est souvent provoquée par des mots. Et vice versa. Dans le format de la chanson, je pense que c'est assez important. J'ai vu que c'était quand même un art à part entière de faire de la musique de film. Au cinéma, il y a un travail qui s’ajoute par rapport à un scénario, une mise en scène etc.
Et ça vous intéresserait d'être une compositrice de musique de film ?
S.H : Tout dépend des films, mais si c'est pour Bruno Dumont je veux bien. C'est un réalisateur qui m'inspire beaucoup. La musique est élevée par le cinéma et inversement, si c’est bien fait, si ça n’est pas anecdotique. Il y a quelque chose de magique dans cet entrelacement, quelque chose qui croît, qui s’élève.
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