,@,de-boysson,taste-of-apples2023022612,compositrices, - Interview B.O : Anne de Boysson (The Taste Of Apples Is Red, de Ehab Tarabieh) Interview B.O : Anne de Boysson (The Taste Of Apples Is Red, de Ehab Tarabieh)

,@,de-boysson,taste-of-apples2023022612,compositrices, - Interview B.O : Anne de Boysson (The Taste Of Apples Is Red, de Ehab Tarabieh)

Propos recueillis par Benoit Basirico
Dans le cadre du festival Music & Cinéma Marseille

- Publié le 24-07-2023




Anne de Boysson signe la musique du drame israélien de Ehab Tarabieh, “The Taste Of Apples Is Red” (présenté au Festival Music & Cinéma de Marseille en avril 2023, après Toronto en 2022, mais qui n’a pas encore de date de sortie en France) avec une partition lancinante de cordes accompagnant le personnage central, un vieil homme (Sheikh Kamel) dont le frère a disparu pendant la guerre israélo-arabe. Les notes soutiennent ce passé douloureux et accompagnent comme des vagues successives le cheminement intérieur de Sheikh, tout en préservant des respirations. Le silence de l'introspection alterne avec la musique de la tristesse. Un piano et un hautbois viennent enrichir l'instrumentation toujours dans le registre de la douceur, contrastant avec la violence environnante. 

Un titre de la BO en écoute :

 

Cinezik : Dans quelle mesure la musique prolonge l'aspect métaphysique et spirituel du récit avec ce vieil homme en deuil ?

Anne de Boysson : Pour la communauté Druze, la beauté de la vie réside aussi dans sa fragilité, intimement liée à la mort. Comme le réalisateur Ehab Tarabieh me l'expliquait, il existe un proverbe qui stipule qu'à chaque naissance d'un enfant, une autre personne trépasse. C'est-à-dire qu'à l'arrivée d'un nouveau-né, un aîné - un grand frère ou une grande sœur - décède. Ainsi, la naissance est à la fois un événement magnifique et tragique, car on sait qu'une personne au sein du village ou de la famille est en train de mourir. Ce concept est exactement le sujet de son film. Nous avons d'abord travaillé sur la scène de naissance et celle de la mort de Mustapha, le frère de Sheikh Kamel. Cette scène s'est avérée être un élément central du film. Initialement, j'ai composé une musique plutôt joyeuse, car je considérais avant tout l'aspect de la naissance. Mais il m'a corrigée, soulignant l'importance de bien saisir que la mort est toujours présente. Il voulait justement fusionner ces deux aspects à ce moment précis du film.

Dans le domaine du placement musical, nombreux sont les moments silencieux, les moments où la musique semble absente. Ce travail de placement a aussi été une affaire de collaboration, de discussion, ou le réalisateur savait-il précisément où la musique allait intervenir ?

Il y avait des moments centraux, comme celui de la naissance, qui ont fait l'objet de nombreuses discussions. Ce qui était particulièrement agréable, c'est que nous étions d'accord sur le fait qu'il ne fallait pas surcharger le film de musique, qu'il s'agissait d'un film intimiste. Et pour apprécier la musique, il faut savoir apprécier les silences également.

L'enjeu d'équilibrer la présence musicale passe par un mouvement de vague, la musique arrive puis se retire. Comment avez-vous écrit ce processus ?

C'est comme une respiration, un souffle. Ce qui m'a intéressée, c'est que dans cet univers très minimaliste, très intime, j'ai décidé d'utiliser des cordes et du hautbois pour représenter cette respiration et cette fragilité. J'ai beaucoup joué sur les harmoniques, sur des sonorités légèrement fragiles, où l'on sent la corde qui s'éveille, qui commence à vibrer, et qu'il y a un humain derrière. C'est donc cette vie, cette respiration, qui est entrecoupée de silence. Ce personnage est assez taiseux, il parle très peu, la musique est donc en quelque sorte sa voix intérieure. D'autant plus qu'il se remémore son lourd passé. Et en réalité, le passé est lourd pour tout le monde, il n'est pas le seul à être taiseux, son frère l'est également, tout comme sa fille qui souffre en silence. Le passé est d'une lourdeur absolue. La musique intervient un peu comme un troisième personnage, racontant quelque chose qui n'est pas montré à l'écran. Cette musique, je l'espère, vient soutenir ce souffle.

La musique offre un contraste, un complément, elle n'ajoute pas au côté pesant, elle est presque éthérée. En ce qui concerne la géographie du film, il n'était pas question de faire une musique qui reflète le pays, une musique traditionnelle ?

Non, c'était une volonté absolue de Ehab qui voulait que la musique ne soit pas spécifiquement orientale ou moyen-orientale, pour donner un aspect plus universel. Il y a un côté introspectif. Chaque spectateur dans le monde peut se reconnaître à travers ces personnages. C'est la force de la musique.

Et dans la collaboration, le réalisateur est aussi musicien, cela a-t-il facilité le dialogue ?

Oui, cela m'a beaucoup aidé, car il respectait beaucoup mon travail. Il a joué du violon pendant une quinzaine d'années. Nous avions donc un langage commun. Mais ce que j'ai vraiment apprécié dans cette collaboration, c'est qu'il me laissait totalement libre, pour respecter la musicienne que je suis.

Il se retenait de fournir des consignes précises sur le thème ou le style d'écriture ?

En effet, il m'a transmis une idée générale, notamment au sujet de la métaphysique, et en exprimant son souhait que la connotation ne soit pas orientale, mais c'était tout. De plus, il n'a pas fourni une liste de références spécifiques à écouter.

Il y a des scènes extrêmement puissantes dans le film, des larmes, des décès, de la tristesse. En tant que compositrice, vous cherchez à aborder ces émotions avec une certaine pudeur ? Quelle est votre relation avec les émotions au cinéma ?

En réalité, je suis très réceptive à ce qui n'est pas explicitement dévoilé. Ici, il y a des larmes, de la tristesse, c'est un film à la fois très intime et très brut, mais pourtant, il y a cette retenue presque totale de la part de tous les personnages. On dissimule sa souffrance, et cela se répercute dans la musique. Et il est vrai que dans les films, je suis particulièrement sensible à ce qui est suggéré.

Dans le cadre de la collaboration, avant de procéder à l'interprétation avec les vrais instruments, est-ce que, comme de nombreux compositeurs actuels, vous travaillez aussi sur votre ordinateur ? Est-ce également frustrant pour vous, qui êtes attaché aux vrais instruments, de travailler de manière numérique ? 

La partition réunit un quatuor, c'est-à-dire deux violons, un alto et un violoncelle, une formation au plus près de l'intimité. Mais pour le reproduire, les sons enregistrés, les samples, sonnent très mal. Je me souviens qu'au début, j'avais tenté d'ajouter un peu de reverb pour améliorer un tant soit peu la qualité sonore. Mais Ehab m'a dit "Je n'arrive pas à me projeter Anne, c'est impossible. J'ai l'impression soit que l'orchestre est trop lointain, soit quand tu mets un violon trop près, cela ne ressemble plus vraiment à un violon." Alors, j'ai trouvé la solution en enregistrant ma sœur à chaque maquette que je faisais pour lui. Ma sœur, Madeleine de Boisson, est violoniste. Elle joue à la fois du violon et de l'alto. Je l'enregistrais au plus près des cordes. Ehab appréciait le fait que la corde grince, qu'elle se mette en mouvement. C'est cela qui nous a ensuite influencé lors de la prise de son en studio, car la SACEM nous a accordé une bourse pour ce film, ce qui a été merveilleux. Cela nous a permis d'enregistrer dans des conditions réelles, de travailler dans un excellent studio, ce qui a été fantastique. Par conséquent, je n'ai presque pas utilisé d'instruments sur ordinateur, à part quelques synthétiseurs, mais plutôt en arrière-plan, un peu éthérés, comme des fantômes.

Qu'est-ce qui vous séduit particulièrement dans la composition de musique de film et pourriez-vous nous donner un aperçu d'un autre projet sur lequel vous travaillez actuellement ?

Ce que j'apprécie vraiment dans la musique de film, c'est la possibilité de passer d'un sujet à un autre. Trouver la musique appropriée pour chaque film. Je travaille actuellement sur une série d'animation qui aborde un thème de prince et de princesse, mais dans un style contemporain. C'est formidable car je peux intégrer à la fois du clavecin et des basses électriques lourdes. Du coup, je me suis initiée au beatbox à la flûte, car je joue de la flûte traversière. Je me suis dit pourquoi ne pas essayer ça. Et c'est précisément cet aspect hybride qui me plaît. Je suis très attachée à la sonorité des instruments. J'apprécie l'enregistrement avec des musiciens car il y a une vibration unique. Ajouter des synthétiseurs peut être excellent, mais j'aime préserver cet aspect authentique et humain.

 

Propos recueillis par Benoit Basirico
Dans le cadre du festival Music & Cinéma Marseille


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