,@,Cannes 2023,fille-de-son-pere2023042215,rouet,compositrices, - Interview B.O : Julie Roué (La Fille de son père, de Erwan Le Duc) Interview B.O : Julie Roué (La Fille de son père, de Erwan Le Duc)

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Propos recueillis par Benoit Basirico

- Publié le 24-05-2023




Julie Roué retrouve Erwan Le Duc pour “La Fille de son père” (sortie le 20 décembre 2023), après avoir travaillé avec lui sur "Perdrix" en 2019, autour de la relation d’un père (Nahuel Perez Biscayart) et de sa fille (Céleste Brunnquell) abandonnés par la mère. Des cordes soutiennent la dimension tragique et désespérée du récit tandis que des sonorités (flûtes, harpe, sifflement) insufflent de la fantaisie pour une humeur décalé chère au cinéaste. 

Cinezik : Vous retrouvez Erwan Le Duc après "Perdrix", qui était beaucoup plus dans le registre de la comédie, tandis que ce film est davantage dans le registre de l'émotion, à travers l'histoire d'un jeune père, Étienne, incarné par Nahuel Pérez Biscayart, qui se trouve seul avec sa fille, Rosa, jouée par Céleste Brunkel, depuis le départ de la mère. Il choisit de ne pas le dramatiser, semble être dans le déni et crée une comédie pour épargner sa fille du drame. Est-ce que cet équilibre délicat a influencé la musique ?

Julie Roué : C'est une question qui nous a traversés tout au long, sans jamais être explicitement formulée. Car avec Erwan, je sens qu'il y a un désir constant de comédie. Ce qui est fascinant dans ce film, c'est qu'il y a un drame sous-jacent qui n'est jamais verbalisé. La musique joue un rôle essentiel en exprimant ce drame, car les personnages sont trop renfermés, trop accablés par la tristesse pour l'exprimer. Notamment, il y a une scène où, et c'est une idée qui a émergé lors du montage, les dialogues s'estompent sous la musique, et des paroles plutôt polies sont submergées par une musique qui apporte une dimension dramatique que les mots ne peuvent pas communiquer.

Alors, vous retrouvez Erwan Le Duc après "Perdrix". Cette fois, avez-vous été impliquée plus tôt dans le processus par rapport au film précédent?

Oui, absolument. Nous avons même collaboré sur une série entre-temps, intitulée "Sous contrôle", qui sortira à l'automne. Erwan, Julie Dupré, la monteuse, et moi, nous commençons à nous connaître. C'est un trio qui fonctionne bien. Il y a une alchimie qui s'installe. Je suis souvent dans une démarche de proposition, créant des morceaux que je nomme indépendamment du film, pour qu'Erwan et Julie puissent se les réapproprier. Ils font vraiment ce qu'ils veulent avec, comme s'ils avaient découvert cette musique ailleurs, bien que la musique ait une cohérence intrinsèque. Erwan souhaitait que je joue dans une scène du film, dans le rôle de la professeure de musique. Cela s'est fait naturellement, car nous nous connaissons bien. Pour cette scène, il m'a demandé de jouer un morceau de piano. Je lui ai présenté ma composition quelques jours avant le tournage. Il a à peine eu le temps de l'écouter, et j'ai joué ce que j'avais préparé. Il a commencé à s'habituer à ce morceau et a même synchronisé certains mouvements de caméra avec. Cela a créé une complicité extrêmement gratifiante.

Et cette composition est orchestrale, était-ce un choix dès le départ ?

Cela s'est développé progressivement. Je n'intègre jamais d'éléments électroniques dans les bandes originales que je compose pour Erwan. Il y a un aspect vivant, parfois un peu rugueux, parfois légèrement imprécis, ce qui l'intéresse également. En réalité, les instruments ont été choisis assez rapidement. Cela s'est fait avant le tournage, car j'ai récupéré une maquette que j'avais créée pour "Perdrix" qui n'avait pas été utilisée. En réécoutant cette maquette, il s'est dit que cela pourrait être la musique d'ouverture du film. En fait, il a filmé avec cette idée en tête. Le quatuor à cordes, le piano et la harpe sont directement issus de cette maquette, qui a finalement été remplacée lors du montage, mais qui a influencé le choix des instruments.

Les cordes mélancoliques qui ouvrent le film et annoncent le drame ne sont pas une tonalité que l'on avait entendue dans "Perdrix" (même si c'était une maquette qui avait été mise de côté). Ensuite, on retrouve des sonorités plus légères, comme la flûte, la harpe, et le sifflement, qui étaient déjà présentes dans "Perdrix".

C'est vrai que le sifflement était un élément esquissé dans "Perdrix", et Erwan m'a expressément demandé de le réutiliser. Lorsque nous avons fait une session de brainstorming pour déterminer quels instruments seraient en adéquation avec les personnages, il avait cette envie de sifflement qui, pour moi, est très évocateur. Quant aux cordes, elles étaient présentes dans "Perdrix", mais jouées en pizzicato de manière très discrète, un peu comme des petites bulles. Ici, elles assument un aspect beaucoup plus lyrique. Mais nous restons dans un cadre très intime, avec finalement assez peu d'instruments. Ce quatuor - quatre musiciens - occupe beaucoup d'espace car ils ont une partition très expressive. En fait, cette introduction du film dure 8 minutes et, en 8 minutes, elle raconte un peu à la manière d'un court métrage les 18 premières années de la vie de Rosa. Quand on m'a montré ce début, il y avait un besoin de musique au montage. Julie Dupré et Erwan m'ont envoyé ce mini-film en mentionnant qu'il s'agissait d'un film muet pour lequel je devais composer la musique. C'était un énorme défi de se dire qu'il fallait immerger le spectateur dans le film avec cela, qu'il fallait que cela emporte le film et donne envie de découvrir la suite. Et cela a été une agréable surprise, car j'ai reçu cette séquence sur laquelle des musiques tests de Ravel et Vivaldi avaient été ajoutées. J'ai proposé quelque chose à la manière d'une ouverture de symphonie. Finalement, ce morceau est resté presque tel quel, ils l'ont adopté en disant "Waouh, on ne touche plus à rien", et cela a grandement influencé ce qui s'est passé par la suite dans le film, car ces thèmes d'ouverture reviennent sous différentes formes et nourrissent le développement du film.

En termes de placement, la comédie fait toujours son apparition chez Erwan Le Duc, avec cette fantaisie dans l'idée que la musique ne soit jamais prévisible, toujours en décalage...

Ce n'est pas de mon fait. C'est véritablement lors du montage que sont déterminés les moments où la musique commence et où elle se termine. C'est un processus que nous avons élaboré et qui me plaît énormément, car cela me surprend de voir comment la musique est utilisée, et cela crée des coïncidences fortuites en fait. Ce sont des choses que je n'aurais pas faites moi-même, car je pense que je suis très focalisée sur l'image quand je compose. Tandis que là, je crée un morceau qui finit par être placé à un certain point et cela engendre des synchronicités inattendues que je trouve fantastiques et que je vais développer. Du coup, j'ai presque envie de dire que nous travaillons de cette manière, en capitalisant sur la sérendipité, avec Julie et Erwan.

La monteuse joue un rôle très important et parfois les monteurs ont besoin de musique pour trouver le rythme. Avait-elle déjà votre musique ?

Oui, il y a des éléments qui ont été intégrés progressivement. Il y avait ce morceau d'ouverture qui a été incorporé assez rapidement. Il y a eu d'autres thèmes que j'ai proposés qui ont également été intégrés lors du montage. Mais il y a aussi un moment, par exemple à la fin du film, où Erwan et Julie ont ralenti l'une des musiques. Vraiment, en utilisant leur logiciel de montage, ils ont ralenti la musique de moitié. Et quand j'ai découvert cela, j'ai dit "Waouh, c'est étrange, c'est intéressant, mais c'est étrange". Et surtout, comment allais-je recréer l'étrangeté qui a été créée par le ralentissement, qui était effectué par un algorithme un peu grossier d'Avid, un logiciel de montage. Donc, cela a été presque le plus grand défi, c'est-à-dire de retrouver cet effet insolite qui a été créé par eux, mais qui n'était pas totalement finalisé.

Est-ce que le réalisateur vous laisse une totale liberté ?

Il sait exprimer ses besoins. C'est-à-dire qu'à un moment donné, il se retrouve avec une bibliothèque de thèmes, et s'il manque celui qu'il lui faut, il est capable de me dire "Il faudrait un thème qui soit plutôt comme ceci ou cela". Mais j'ai quand même l'impression de jouir d'une grande liberté. Ensuite, je travaille en faisant de nombreuses propositions. Il y a aussi beaucoup de choses que vous n'entendrez jamais et qui vont rester dans les cartons pour ressortir dans le prochain film. C'est peut-être pour cela qu'il n'est pas toujours nécessaire de préciser les choses. Je fais des propositions dans de nombreux sens différents. La cohérence se crée presque grâce au montage, grâce à un choix qui n'est pas le mien.

Il y a une scène à la mer où le passé resurgit, une magnifique scène sur la plage. Et là, la musique occupe une place prépondérante, importante, presque romanesque.

En effet, il s'agit d'un arrangement que j'ai réalisé à partir d'un chant de supporters de football intitulé "You'll Never Walk Alone", qui était très présent dans le scénario. En fait, Erwan aurait aimé l'intégrer partout, mais c'était trop coûteux. On l'entend d'abord comme une sonnerie de téléphone, et pour tous les supporters de foot, ce morceau a une signification particulière. Nous n'en avons pas encore parlé, mais le football est omniprésent, le personnage d'Etienne est entraîneur et est passionné par ce sport. Et donc, ce thème est repris au piano de manière très douce, alors qu'on le connaît généralement comme un chant entonné par des supporters qui hurlent. Ce contraste intéressait Erwan. Il voulait créer de l'émotion à partir d'un thème qui est, à l'origine, très viril. J'ai travaillé pour développer ce thème de manière très délicate.

Le fait d'arranger un morceau préexistant contribue-t-il à intégrer ce morceau dans l'unité du film ?

Peut-être, d'autant plus qu'il est joué en piano solo. Mais également, l'une des intentions d'Erwan par rapport à ce piano solo était de le relier constamment à ce qui se passe à l'image. En fait, à un moment donné, on voit l'un des personnages jouer du piano. Et l'idée est que le thème du piano que je viens de mentionner pourrait être joué par elle. C'est un élément qui est toujours présent, que la musique ait une connexion avec l'histoire.

En effet, il y a cette jeune femme, incarnée par Maud Wyler, qui est pianiste dans le film.

Oui, elle joue du piano. Elle avait mon arrangement, elle avait la partition. On la voit dans l'image du film. Elle est en train de déchiffrer et de jouer l'arrangement que j'avais fait. Le montage a fait en sorte que finalement, le moment où on la voit jouer ne correspond pas à ce qu'on entend. Mais dans l'idée, cela aurait pu être sa performance. J'ai fait de mon mieux pour faire en sorte qu'on croie que c'est elle qui joue à ce moment-là.

Dans le film "Perdrix", vous aviez utilisé le piano de chez votre mère. Erwan Le Duc avait alors gardé cette version de la maquette... qu'en est-il sur ce nouveau film ?

J'ai maintenant mon propre piano, qui a un siècle d'existence, et possède sa propre personnalité, que j'affectionne beaucoup. Pour "Perdrix", j'avais enregistré sur le piano de ma mère, et Erwan avait adoré les bruits, comme les craquements du tabouret. Je ne m'y attendais pas, mais il est vraiment sensible au son, aux imperfections, ce qui se reflète d'ailleurs dans son cinéma, où il aime explorer les détails inattendus.

Et en ce qui concerne ce nouveau film, avez-vous d'abord réalisé une maquette en utilisant des sons virtuels avant de passer à l'enregistrement final?

Absolument, pour tout, sauf pour un morceau irlandais. Il y a une scène dans le film qui est assez onirique, et Erwan m'a dit: "C'est peut-être le moment de sortir ta cornemuse". Il savait que j'avais joué de la cornemuse irlandaise quand j'étais plus jeune, donc je n'ai pas hésité un instant, j'étais enchantée. Je n'ai plus de cornemuse car je l'ai vendue, mais j'ai utilisé une flûte irlandaise, un tin whistle. Je dois dire que je suis assez fière d'avoir réussi à intégrer un petit air irlandais qui contraste avec le reste de la bande originale du film.

 

 

Propos recueillis par Benoit Basirico

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Interview B.O : Julie Roué (La Fille de son père, de Erwan Le Duc)


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