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L’essai de Cécile Carayol s’applique à mettre en perspective l’existence d’un langage musical spécifique au cinéma français. Elle dégage ainsi les tendances musicales essentielles des longs métrages contemporains depuis la fin des années 1990 : retour à la tradition des mélodrames américains des années 30 à 50 (Angel, Huit femmes) ; assimilation des codes musicaux du néo-hollywoodisme (Les Rivières Pourpres, Nid de Guêpes…) et symphonisme intimiste (Swimming Pool, Sur mes Lèvres…).
De la réhabilitation du modèle américain au symphonisme intimiste, deux tendances essentielles des longs métrages français contemporains depuis la fin des années 1990, cet essai s'applique a mettre en perspective l'existence d'un langage musical spécifique au cinéma. L'analyse de la musique composée pour taret et Huit /intimes montre un retour à la tradition de, mélodrames américains ries années 1930, 1940 et 1950. Une assimilation des codes musicaux du néo-hollywoodisme s'affirme également à travers les dimensions, épique, lyrique et fantastique, présentes dans des films comme Les Rivières Pourpres, Nid de guêpes, Joyeux Noël ou Jeux d'enfants. Par ailleurs, le symphonisme intimiste observé dans des partitions comme Swimming Pool, Sous le Sable, Sur mes lèvres, De battre mon coeur s'est arrêté, Confidences trop intimes ou Hell s'exprime par une orchestration qui privilégie la transparence des timbres, un lyrisme contenu et développe une empathie émotionnelle avec l'intériorité d'un personnage tout en se détachant d'un synchronisme descriptif. L'appropriation de caractéristiques issues de l'impressionnisme et du minimalisme renforcent la concision et l'épure de cette nouvelle esthétique. L'approche musicologique de cet ouvrage permet d'apporter un éclairage sur la manière dont la musique svmphonique originale se dessine en ce début du XXIe siècle et comment, au regard de ce qui préexiste dans l'histoire de la musique du cinéma français, elle se singularise.
- Préface de Michel Chion
- Le symphonisme, de la tradition hollywoodienne au cinéma français contemporain
Retour au classicisme hollywoodien
Appropriation des codes du néo-hollywoodisme
- Les principes musicaux du symphonisme intimiste : une nouvelle esthétique du cinéma français contemporain
Vers une pensée impressionniste de l’orchestration
Les minimalismes du symphonisme intimiste
Une écriture mélodico-harmonique contemplative
- Entre musique et images : une dialectique singulière
La musique révélatrice de l’inconscient d’un personnage
Swimming Pool : un cas exemplaire de symphonisme intimiste
De battre mon cœur s’est arrêté, vers une abstraction minimaliste totale
- Postface de Gilles Mouëllic
Dès les premières projections dans les salles du cinématographe ou dans les fêtes foraines, les musiciens chargés d'accompagner les images animées ont fait preuve d'un éclectisme salutaire, Mozart, Chopin ou Beethoven côtoyant les airs populaires ou les chansonniers à la mode. L'arrivée du parlant à la fin des années 1920, avec l'apparition du métier de compositeur de film, n'a pas mis fin à cette belle ouverture d'esprit : les juxtapositions, les mélanges ou les croisements en tous genres nourrissent toujours le potentiel créatif des compositions pour les images, rendant difficile la possible définition d'un langage musical propre au cinéma. Pourtant, à l'écoute de la musique symphonique de bandes originales du cinéma français contemporain, il nous apparaît évident que toutes ces musiques étaient destinées, sans aucun doute, au cinéma, impression due tout autant à l'inventivité de l'écriture qu'au modèle de musique de film dont, manifestement, elles se revendiquent. Cette observation a fortement orienté cette recherche vers l'étude de deux convergences représentatives de la musique symphonique originale qui visent à expliquer en quoi des compositeurs contemporains comme Bruno Coulais, Alexandre Desplat, Philippe Rombi, Krishna Levy, Pascal Estève ou Cyrille Aufort développent un langage spécifique depuis la fin des années 1990 avec, d'une part, la réhabilitation du modèle américain et, d'autre part, l'apparition d'une nouvelle forme de symphonisme dont les qualités en feraient une musique originale inventée pour le cinéma.
La reconnaissance, en France, de la spécificité du métier de compositeur pour le cinéma est bien tardive, associée à l'apprentissage de la musique de film comme discipline indépendante. Si Alexandre Desplat a étudié l'orchestration avec Jack Hayes (orchestrateur de films hollywoodiens) à Los Angeles, Cyrille Aufort a suivi des cours de musique appliquée à l'image au conservatoire de Lyon, Philippe Rombi a pensé rejoindre la section de musique de film de l'UCLA à Los Angeles avant d'intégrer finalement l'École normale de Paris et la nouvelle classe de composition spécialisée dirigée par Antoine Duhamel, Bruno Coulais, quant à lui, se contentant d'un stage de formation à la composition de musiques de films. Pendant longtemps, les compositeurs du cinéma français ont été confrontés au poids d'une histoire de la musique aussi riche qu'encombrante : comment composer pour le cinéma sans renoncer à la musique française de concert avec les exigences que cela implique (innover, se renouveler) ? Comment se situer dans cette histoire tout en développant une écriture qui « rende sensible le rythme interne de l'image sans pour cela s'efforcer d'en traduire le contenu sentimental 1 » ? Ces compositeurs ont ainsi longtemps affirmé des choix qui les éloignaient du symphonisme hollywoodien des années 1930 dans lequel les musiciens s'inspirent sans complexe d'un langage préexistant, mis au service des images animées avec une volonté de synchronisme et de mise en valeur des sentiments représentés à l'écran. Venus d'Europe de l'Est ou de l'Allemagne, ces derniers ont très tôt compris que les propriétés du langage de la musique d'opéra postromantique convenaient à la forme narrative d'un film et accompagnaient idéalement les diverses émotions des personnages. Aujourd'hui les compositeurs du cinéma français semblent ignorer volontairement le clivage historique avec le postromantisme américain issu de la musique allemande du XIXe siècle en revendiquant leur admiration pour les symphonistes qui ont marqué l'histoire des relations entre musique et images : Max Steiner, Franz Waxman, Bernard Herrmann, Maurice Jarre, Georges Delerue, Michel Legrand, Nino Rota, Ennio Morricone ou encore John Williams, Jerry Goldsmith, Danny Elfman et Howard Shore.
À l'instar de ce cinéma « à grand spectacle » qui s'est développé depuis une dizaine d'années dans le cinéma français (en partie sur le modèle des blockbusters américains), bon nombre de partitions comme celles de Huit femmes (François Ozon, Krishna Levy, 2001), Angel (François Ozon, Philippe Rombi, 2007), Les Rivières pourpres 2 (Mathieu Kassovitz, Bruno Coulais, 2000), Nid de guêpes (Florent-Emilio Siri, Alexandre Desplat, 2001), Joyeux Noël (Christian Carion, Philippe Rombi, 2004) ou Jeux d'enfants (Yann Samuel, Philippe Rombi, 2002) empruntent aux codes issus de la musique hollywoodienne, à la manière de John Williams lui-même qui, à la fin des années 1970, s'était réapproprié certains principes des partitions du cinéma classique américain 3 en travaillant pour des réalisateurs comme Steven Spielberg (Les Dents de la mer, 1975) ou Georges Lucas (Star Wars, 1977) « qui avaient envie de recréer un cinéma d'émotions collectives 4 ».
Fondée elle aussi en partie sur la réhabilitation de ce modèle hollywoodien, une nouvelle forme de symphonisme apparaît donc dans le cinéma français contemporain. Le principe de cette esthétique étant de concilier deux types d'écriture très divergents, sinon opposés, nous avons choisi de la désigner par les termes « symphonisme intimiste », dénomination « en et condense 5 » toutes ses propriétés musicales. Dans le cas présent, « symphonisme » retient des caractéristiques hollywoodiennes son utilisation d'un orchestre symphonique, une écriture harmonique postromantique et une musique qui développe une empathie émotionnelle avec l'action, tandis qu'« intimiste » s'inscrit davantage dans l'héritage de la musique du cinéma français avec une orchestration qui privilégie la « transparence » des timbres, un lyrisme peu expansif et des interventions musicales ponctuelles qui se détachent d'un synchronisme trop descriptif.
« Intimiste » évoque également une concision et une forme d'épure qui tent par l'intégration du minimalisme 6 et par une colorisation instrumentale issue des techniques d'écriture impressionnistes 7. Un autre paradoxe du symphonisme intimiste est de puiser à la fois sa source d'inspiration dans une esthétique du début du xxe siècle à laquelle les compositeurs du cinéma français ont pendant très longtemps évité de faire référence à partir des musiciens néo-classiques 8 et d'assimiler, par ailleurs, les caractéristiques d'un courant relativement récent. Les partitions majeures du symphonisme intimiste composées entre 1998 et 2005, sont celles de Philippe Rombi pour les films de François Ozon comme Les Amants criminels (1998), Sous le sable (2000), Swimming Pool (2002) ou Cinq fois deux (2003), celles d'Alexandre Desplat pour Xavier Giannoli avec Les Corps impatients (2002) ou pour Jacques Audiard avec Sur mes lèvres (2001) et De battre mon cœur s'est arrêté (2004). Les partitions qui répondent plus ponctuellement à ce symphonisme sont dues à Pascal Estève pour Confidences trop intimes de Patrice Leconte (2003), à Cyrille Aufort pour Hell de Bruno Chiche (2005), ou encore à Krishna Levy avec le générique de fin de Huit femmes (2001) de François Ozon. Si ces films sont loin d'être représentatifs de l'ensemble du cinéma français contemporain, ils renferment un certain nombre de caractéristiques formant une entité singulière.
Dans les films associés au symphonisme intimiste, l'intrigue est centrée sur un personnage, son intériorité et ses fantasmes : l'obsession grandissante de Sarah Morton envers sa muse fantasmée dans Swimming Pool, la quête d'identité de Tom dans De battre mon coeur s'est arrêté, le deuil difficile de Marie face à la disparition de son mari dans Sous le sable, la douleur de Charlotte qui perd peu à peu la vie et l'homme dont elle est éprise dans Les Corps impatients, l'intrusion d'Anna qui bouleverse le quotidien bien ordonné de William dans Confidences trop intimes, ou encore la descente aux enfers d'Andréa manipulé jusqu'à la mort par la jeune femme qu'il aime dans Hell. Introversion, non-dit et inconscient tourmenté sont récurrents ici, mêlés à une dimension de suspense, de mystère qui peut s'exprimer à travers un jeu entre le réel et l'imaginaire. Outre des intrigues voisines, ces films trouvent aussi leur unité grâce à un travail musical très savant qui contribue à en révéler les subtilités.
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