EN
VOIR
PLUS
RETOUR
La musique n'est en soi pas obligatoire pour faire un film, de nombreux cinéastes s'en sont passés (Les Oiseaux de Hitchcock, Belle de Jour de Luis Buñuel). Quoique non essentielle, sa présence s'est pourtant faite naturelle au fil de l'histoire, à tel point que l'on n'imaginerait plus un film hollywoodien sans la moindre note. Elle fait partie des règles et participe à la normalisation d'un cinéma codifié.
Alors qu'aux États-Unis cette nécessité est rarement remise en question, en France, certains réalisateurs refusent par principe toute musique dans leur film, tels Maurice Pialat, Éric Rohmer ou encore Robert Bresson qui l'a théorisé en 1975 dans ses Notes sur le cinématographe: «Pas de musique d'accompagnement, de soutien ou de renfort. Pas de musique du tout (sauf bien entendu la musique jouée par des instruments visibles)». Il a toutefois contredit son précepte dans certains de ses films. Mathieu Amalric : «Pendant très longtemps, je n'ai pas pu imaginer avoir le droit d'avoir une musique de film. Tout simplement. C'est quelque chose qui pouvait me faire peur, par pudeur, par croyance dans ce qu'on fait. Et sur La Chambre bleue (2015), protégé par Simenon, j'ai pu penser qu'on avait droit à une musique qui prenne en charge la brûlure et l'attirance irrésistible et innommable entre deux corps, et aussi l'angoisse et la tragédie amoureuse ».
Certains réalisateurs se posent la question de l’utilité, sans a-priori. Décider de recourir ou non à la musique passe par la définition de son rôle, qui doit être pertinent et ne pas se réduire à une illustration ou un redoublement. Laurent Perez Del Mar a suivi ce type de raisonnement pour La Tortue rouge (2016): « On voulait que la musique soit présente à des moments où elle était nécessaire. Pour la scène du tsunami, très brute, avec uniquement du bruitage, en regardant la scène, j’ai fini par faire écouter quelque chose au réalisateur car la partition amène une autre dimension. La nature est très brutale et violente et je voulais apporter de l’empathie et une dimension romanesque. Ensuite, le réalisateur ne pouvait plus voir cette scène autrement».
On pourrait penser que les compositeurs sont les principaux défenseurs de leur contribution, comme lorsque Francis Lai affirme qu’elle est indispensable à l’image : «Je trouve qu’un film sans musique serait comme s’il manquait un acteur». Mais certains réalisateurs sont tout aussi déterminés dans leur désir d’impliquer la musique. Le cinéaste polonais Krzysztof Kieślowski connaissait très bien la fonction d’une partition et ce qu’elle pouvait amener dans ses films. Dans La Double Vie de Véronique (1991), elle est située au premier plan.
Pour son compositeur Zbigniew Preisner, «Kieślowski a fait ses films sur la base de la musique, comme d’autres le font sur le choix de l’acteur». Autre témoignage dans ce sens, celui de Arnaud Desplechin qui intègre la musique pour rendre ses films plus accessibles: «J’aime le cinéma populaire et je trouve qu’il y a dans la musique une adresse pour le spectateur, une façon de le prendre par la main, de l’accompagner dans la scène, ce qui est très important pour moi. Ce deuxième narrateur qui n’est pas le metteur en scène, c’est le compositeur».
Aussi, malgré leur fonction, certains compositeurs n’hésitent pas à prendre eux-même la décision de la retirer. C’est au final le film qui décide. Par exemple, pour Tomboy (2011), la réalisatrice Céline Sciamma hésitait à mettre de la musique, c’est son compositeur Para One qui a pris la décision de ne pas en mettre : « Je me tire une balle dans le pied professionnellement, mais c’est pour le bien du film à mon avis, un film qui appelait ce côté très simple avec juste du son et du silence ». Cette honnêteté donne confiance au cinéaste, comme le dit Denis Dercourt: «Ce qui est rassurant pour moi, c’est que Jérôme Lemonnier ne pousse pas à la consommation. C’est presque le contraire. S’il ne sent pas la nécessité de musique, il refuse d’en faire. Du coup, j’ai très confiance. S’il sent qu’il n’y a pas besoin, c’est qu’il n’y a pas. Ensuite de mon côté, je n’imagine plus le film sans, elle est intrinsèquement liée au récit».
Extrait de cet ouvrage :
LA MUSIQUE DE FILM, COMPOSITEURS ET RÉALISATEURS AU TRAVAIL
(Benoit Basirico, Hémisphères Editions)
Interview B.O : Audrey Ismaël (Le Royaume, de Julien Colonna)
Interview B.O : Audrey Ismaël (Diamant brut, de Agathe Riedinger)