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Le Mixage est la phase ultime de la fabrication d'une B.O, visant à équilibrer les différentes parties de la bande sonore (bruitages, dialogues... et musique). Un premier mixage a d'abord lieu pour la musique elle-même (le mixage-musique, coordonné par le compositeur), puis avec les sons et dialogues du film dans un second temps (étape finale coordonnée par le mixeur du film pendant laquelle le compositeur n'est pas nécessairement convié).
Ouvrage : La musique de film, compositeurs et réalisateurs au travail
Un métier important pour le compositeur est celui du mixeur, qui assure la dernière étape de post-production en harmonisant les sons de toutes origines (dialogues, musiques, effets, ambiances, bruitages...) afin d’obtenir un équilibre global entre toutes ces sources parfois significativement indépendantes. Ainsi, il peut décider (en accord avec le réalisateur) de baisser le niveau sonore de la musique au profit de bruits de portes ou de chaises. Le musicien n’est pas forcément invité à cette étape. Nino Rota n’allait jamais au mixage des films de Fellini car il lui faisait confiance, tandis que Henry Mancini insistait toujours pour y assister afin de protéger sa musique. Le compositeur René Aubry a cessé de s’y rendre après sa première tentative: «Pour mon premier film, je voulais assister au mixage final, mais le musicien n’a pas son mot à dire, j’ai depuis jugé inutile de renouveler l’expérience. Un mixage est souvent un choix de production ». Il découvre alors les transformations lors de la première projection.
À ce titre, le mixage constitue un moment délicat, propice aux frustrations d’un compositeur soucieux que sa musique soit au premier plan, d’autant plus que souvent, le réalisateur est enclin à vouloir privilégier les autres sons. La musique peut même y être modifiée, des stèmes (les pistes d’une même famille d’instrument) peuvent disparaître. Le mixeur peut par exemple, pour faire entendre un son spécifique dans une scène, ôter les percussions trop bruyantes de la partition. Antoine Duhamel confirme le caractère problématique du mixage : « Combien de fois j’ai assisté au mixage en découvrant que la musique a été sacrifiée, coupée ou déplacée. Ce sont des réalités du métier qu’il faut apprendre à manipuler. Il y a une certaine humilité indispensable à acquérir». Pour Jean Prodromidès, cela dépend des cinéastes: «Les mixeurs ont toujours tendance à écraser la musique au profit des dialogues, ils en ont même peur. Mais il faut dire que mon travail auprès d’Andrzej Wajda (Danton, 1983) était très agréable, je m’entendais très bien avec lui. Il avait un sens très aigu du mixage, qui était toujours en fonction de la situation dramatique. La musique recouvrait même parfois les dialogues ». Le mixeur Vincent Arnardi (nommé à l’Oscar du meilleur son pour Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain de Jean-Pierre Jeunet, 2001) est partisan d’échanges apaisés: «Les relations entre le mixeur et le musicien peuvent être en effet conflictuelles, mais on est tous au service d’un réalisateur, on doit se comporter comme des collaborateurs responsables, éviter de vouloir prendre le pouvoir par rapport à l’autre. On doit être positifs et trouver l’harmonie entre nous, pour le bien du film». L’oreille nécessairement musicale d’un mixeur qui serait également compositeur ne peut qu’être bénéfique à une entente harmonieuse. Bien que pourvu de ces deux qualités, Luc Meilland précise qu’un autre mixeur complétait ce travail pour Mercenaire (de Sacha Wolff, 2016), car il est important d’avoir un autre point de vue: «J’ai fait un travail sonore préparatoire, notamment sur les coquillages. L’idée était de pouvoir me servir de cette matière. Mais après, j’ai laissé faire le mixeur du film Édouard Morin qui choisissait les volumes de chaque élément. En étant le compositeur, je ne peux pas écouter de manière suffisamment détaché pour juger de la pertinence des placements. Mais je ne suis pas du genre à lâcher totalement l’affaire, j’ai quand même donné mon avis». Le mixeur peut ainsi contribuer à un nouveau regard sur le film et lui tendre une dernière oreille.
On oppose souvent les mixages français et américain. En France, le son serait privilégié tandis qu’à Hollywood, la musique serait prépondérante. Laurent Petitgirard l’atteste avec virulence : « Le mixeur français est l’ennemi du musicien. C’est un cartésien qui veut entendre ses bruits, tout entendre! Si une voiture passe à un kilomètre, il faut entendre le bruit qu’elle fait. Il est incapable de mettre, si cela s’avère intéressant, la musique au premier plan comme dans un film américain. Il y a un besoin de réalisme constant.Par moment, avec ma musique, j’ai l’impression d’avoir tapé très juste sur l’émotion d’une scène, et malgré tout il faut me battre contre la chasse d’eau du voisin et les miaulements du chat». Il existe pourtant des mixeurs français qui prêtent attention à la musique. Bruno Coulais a pu saluer le travail de Didier Lizé (Les Choristes de Christophe Barratier, 2004). Le jeune mixeur Lionel Guenoun dialogue constamment avec le compositeur pour éviter de le trahir. Pour lui, «ce n’est pas parce que je vois un son à l’image que je dois l’entendre. C’est ce que m’a appris Jean-Pierre Laforce (qui a mixé Incendies de Denis Villeneuve) qui a des choix artistiques audacieux. J’essaie de m’inscrire dans cette lignée de mixeurs qui utilisent le son comme une matière au service du film». De son côté, le français Vincent Arnardi reste attentif à la musique, car il considère que c’est elle que le public va retenir: «Quand quelqu’un dit qu’il a adoré la bande son d’un film, il se réfère à la musique. Il ne parle pas du son proprement dit. Ce qui prouve que les gens assimilent le son à la musique et non pas à un ensemble de sonorités dont fait partie la musique». Il contribue même parfois à faire naître des collaborations: «Pour Le Noir (te) vous va si bien, Jacques Bral avait perdu son musicien (Karl-Heinz Schäfer), et pour lui c’était un drame car il avait fait toutes ses musiques. Lorsqu’il m’a contacté pour ce film, il m’a dit qu’il n’avait pas de musicien, alors je lui ai présenté Nathaniel Mechaly que j’avais rencontré sur Revolver (de Guy Ritchie, 2005). C’est la preuve que le mixeur peut aussi être l’allié du compositeur ».
Le mixage constitue aussi un enjeu de mise en scène, il ajoute du sens au film, il détermine un point de vue et un sens de l’espace. Dans Le Tableau (de Jean-François Laguionie, 2011), lors d’une scène de bataille, quelques personnages discutent reclus dans une tente. Le montage alterne entre combats extérieurs et discussions en intimité. Le compositeur Pascal Le Pennec a écrit une partition pour l’ensemble de la séquence. Le réalisateur et son mixeur ont ensuite décidé d’en diminuer le volume sur les images d’intérieur, indiquant à l’auditeur que la musique lointaine correspond à la guerre se déroulant au dehors. À l’inverse, dans la scène finale de la fusillade dans Le Deuxième Souffle (de Alain Corneau, 2007), la musique de Bruno Coulais prend progressiblement le pas sur le bruit des armes, comme pour signifier que le gangster est abattu et accompagner son chemin vers l’au-delà : les bruits environnant s’éloignent. Comme le certifie Alain Jomy, un mixage pertinent sait sortir du souci de réalisme consistant à tout donner à entendre, au profit de choix conformes aux objectifs du projet global: «Le souci du naturalisme empêche de prendre des risques. Je me bats constamment avec les mixeurs pour faire gommer des choses». Bruno Coulais poursuit dans ce sens: «Il n’y a rien de pire que ces mixages lisses où l’on n’ose pas vraiment. L’audace extrême de Benoît Jacquot me plait». Le mixage peut aussi prendre une dimension affective, comme le raconte Vincent Arnardi à propos de Jean-Pierre Jeunet: «Il est très proche de la magie de son enfance. Il aime les boîtes à musique. Il est sensible à des petits détails de la vie de tous les jours, comme le bruit d’une casserole qui cogne dans un évier. Ce sont des sons qui ont imprimé sa jeunesse». Le mixage, comme la musique, est la somme de choix artistiques et émotionnels.
Extrait de cet ouvrage :
LA MUSIQUE DE FILM, COMPOSITEURS ET RÉALISATEURS AU TRAVAIL
(Benoit Basirico, Hémisphères Editions)
Interview B.O : Audrey Ismaël (Le Royaume, de Julien Colonna)
Interview B.O : Audrey Ismaël (Diamant brut, de Agathe Riedinger)